Actualité
Appels à contributions
Humanité et animalité à l’épreuve de la guerre (1914-1989) (revue Essais)

Humanité et animalité à l’épreuve de la guerre (1914-1989) (revue Essais)

Publié le par Marc Escola (Source : Manon Dubouilh)

Humanité et animalité à l’épreuve de la guerre (1914-1989)

À la suite de la journée d’études organisée en distanciel le 16 avril 2021 à l’Université Bordeaux Montaigne, nous construisons un numéro sur le même thème pour la revue Essais.

Alors que la recherche contemporaine accorde une place grandissante aux études animales, de l’éthologie à la zoopoétique en passant par l’éthique animale, les notions d’humanité et d’animalité soulèvent toujours de nombreuses interrogations, à commencer par l’existence d’une frontière infranchissable entre les humains et les autres vivants. S’opposent à ce sujet les tenants de la « fin de l’exception humaine » (Schaeffer, 2007) et ceux qui affirment au contraire l’incommensurabilité de l’espèce humaine.

Face à l’explosion de violence que constitue une guerre, les frontières de l’humanité se trouvent réinterrogées, repoussées. Le soldat est confronté à sa propre brutalité, la bestialité devient une condition de survie. Il faut pourtant se convaincre que l’animal, c’est l’Autre, pour supporter de lui ôter la vie. Animalisation, racisme, antisémitisme déplacent au sein même de l’espèce la frontière entre ceux qui sont considérés humains et les autres. L’humanité des uns se trouve balayée pour préserver, dans une morale hypocrite, celle des autres.

Pour autant, au cœur de la guerre, l’animalité n’est pas seulement celle des hommes, mais aussi celle des bêtes qui travaillent et meurent avec les soldats, comme l’a montré Éric Baratay (2013) au sujet de la Première Guerre Mondiale. De cette expérience commune naît parfois une fraternité inter-espèce, alors même que la solidarité humaine est mise en défaut. Les rapports entre humains et animaux demeurent, à la guerre comme ailleurs, ambivalents et souvent paradoxaux, ce qui ouvre à la perspective d’une histoire animale et d’une étude littéraire des représentations animales dans les récits de guerre.

De cette souffrance, imposée aux bêtes lors de ces conflits et partagée avec certains humains, peut naître une réflexion philosophique sur les notions d’animalité et d’humanité, ou une étude au prisme de l’éthique animale. Néanmoins, le projet de ce numéro ne se limite pas aux sciences humaines et, dans la lignée d’Éric Baratay, il sera l’occasion d’ouvrir nos horizons à d’autres savoirs du vivant, comme l’éthologie. Ce retour à l’animalité enrichit les pistes historiques et littéraires explorées.

En effet, qu’il s’agisse de récits en partie autobiographiques ou de fictions, la littérature rappelle la présence des animaux sur le front, à l’instar des chevaux omniprésents chez Claude Simon. Au-delà de cette cohabitation avec des animaux de chair et d’os, tout un bestiaire inspire les représentations que se font les combattants de l’ennemi. Les rapports aux animaux, dans leur diversité culturelle, prennent une signification politique, de même que les métaphores animales sont employées pour donner à des personnages ou des groupes humains le statut de victime, de prédateur, ou encore de vermine. La bande-dessinée et les romans graphiques offrent de belles illustrations de cet usage métaphorique, s’inspirant parfois de la fable, comme le fait Art Spiegelman dans Maus. La représentation graphique voire cinématographique de la bestialité s’efforce de parcourir la violence ineffable de la guerre, tentant d’explorer le traumatisme individuel et collectif. Ainsi, Dave Mc Kean, dans son roman graphique, Black Dog. Les rêves de Paul Nash (2016) voyage dans la mémoire de l’artiste surréaliste. Les images animales de cette biographie fantasmée interrogent l’imagination créatrice du peintre. Le chien noir, aux multiples rôles, fil conducteur de l’ouvrage, nous accompagne dans les hantises de l’artiste qui peignait des tranchées surréalistes.

Nous avons choisi de limiter ce numéro à l’étude d’un court vingtième siècle afin de garantir une certaine unité thématique, dans l’idée que les conflits qui y ont éclaté atteignent une ampleur sans précédent. Aussi s’agit-il d’explorer les frontières mouvantes entre humanité et animalité, de la Première Guerre Mondiale à la chute du Mur de Berlin, en passant par la Seconde Guerre Mondiale qui a marqué un tournant dans les processus de déshumanisation. Pensé à l’échelle de ces événements, le projet s’intéresse à la littérature et à l’histoire mondiales, à travers des contributions en français, mais aussi en anglais, italien, espagnol ou allemand. Nous souhaitons ainsi que cet espace de réflexion soit enrichi par des propositions de traductions d’articles ou de comptes-rendus d’ouvrages critiques.

À la croisée des war studies et des animal studies, ce questionnement prendra la forme d’un numéro interdisciplinaire, ouvert aux sciences humaines, y compris à l’étude des œuvres artistiques, autant qu’aux apports des sciences animales. Des articles mixtes, mêlant différentes disciplines et méthodologies, voire écrits à quatre mains, seront appréciés.

Aussi ce numéro accueillera-t-il des approches historiques, philosophiques, sociologiques, ethnologiques et littéraires – notamment comparatistes. Les articles relevant de l’éthologie ou impliquant un savoir éthologique seront bienvenus. Le seront également les contributions en histoire de l’art, cinéma, arts plastiques et graphiques.
 

Trois axes guideront les contributions :

L’humain face à sa « part animale » : l’animalité humaine entre vulnérabilité et bestialité

Métaphores animales dans les représentations littéraires et artistiques de la guerre

Bestialité et rationalisation dans les crimes de guerre

Fragilité de la vie humaine et rappel de son animalité

Réflexion sur les frontières entre humanité et animalité

Communautés humaines-animales : des animaux soldats à la « grande boucherie »

Enrôlement des animaux dans les conflits humains

Relations entre les humains et des animaux sur le front

Les vécus animaux, leur histoire et leur récit

Déshumaniser l’ennemi, quand l’Autre devient animal

Métaphore de la chasse dans les représentations de la guerre

Métaphore de l’élevage et de l’abattage dans les représentations de la guerre

Représentations animales de l’ennemi (vermine, bête sauvage)

*

Les projets d’article devront comprendre environ 1000 mots et être accompagnés d’une notice bio-bibliographique. Les projets de traduction d’articles ou de courtes fictions sont les bienvenus, et prendront la forme d’une ou deux pages traduites. Les projets de comptes-rendus d’ouvrages seront également étudiés.

Les projets devront être envoyés pour le 30 septembre 2021 à :

manon.dubouilh@gmail.com

jodie-lou.bessonnet@u-bordeaux-montaigne.fr

Une réponse aux auteur.ices sera adressée en octobre et la remise des articles se fera en février 2022. Les consignes seront alors spécifiées mais sont déjà accessibles sur OpenEdition : https://journals.openedition.org/rfp/4286.

*

Bibliographie indicative

Audoin-Rouzeau Stéphane, Combattre : une anthropologie historique de la guerre moderne, XIXe – XXIe siècle, Paris, Éditions du Seuil, 2008.

Baratay Éric, Bêtes des tranchées. Des vécus oubliés, Paris, CNRS Éditions, coll. « Le Passé recomposé », 2013.

- Le Point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Paris, Seuil, coll. « L’Université Historique », 2012.

- (dir.), Croiser les sciences pour lire les animaux, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2020.

Beaupré Nicolas, Écrire en guerre, écrire la guerre : France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS Éditions, 2006.

Bekoff Marc et Jane Goodall, Les Émotions des animaux, Paris, Payot et Rivages, coll. « Rivages poche. Petite Bibliothèque », 2018.

Bourke Joanna (ed.), War and Art: A Visual History of Modern Conflict, London, Reaktion Books, 2017.

Chambers Emma (ed.), Aftermath: Art in the Wake of World War One, London, Tate Publishing, 2018. 

Dagen Philippe, Le silence des peintres. Les artistes face à la Grande Guerre, Paris, Fayard, 1996.

De Fontenay Elisabeth, Le Silence des bêtes. La philosophie à ľépreuve de ľanimalité, Paris, Points, Coll. « Essais », 2015.

Desblache Lucile, La Plume des bêtes. Les animaux dans le roman, Paris, Harmattan, coll. « Espaces littéraires », 2011.

Farrell Jennifer, with a contribution from Donald J. La Rocca, “World War I and the Visual Arts”, The Metropolitan Museum of Art Bulletin, V. 75, n°2, Automne 2017.

Gauthier Christophe, David Lescot et Laurent Véray (dir.), Une guerre qui n’en finit pas. 1914-2008, à l’écran et sur scène, Paris, Éditions Complexe, 2008.

Hobsbawn Eric J., L’Âge des extrêmes : Histoire du court XXe siècle, Paris, Éditions Complexe, 2003.

Mosse George L., De la grande guerre au totalitarisme : La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2015.

Schaeffer Jean-Marie, La Fin de l’exception humaine, Paris, Gallimard, coll. « NRF essais », 2007.

Simon Anne, « Les études littéraires françaises et la question de l’animalité (XXe-XXIe siècles) : bilan et perspectives en zoopoétique », Épistémocritique. Volume 13. Littérature et savoirs du vivant, 2014.