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Appels à contributions
Philip Roth (Implications Philosophiques)

Philip Roth (Implications Philosophiques)

Publié le par Romain Bionda (Source : Merand)

La revue Implications Philosophiques lance un appel à contributions autour de l’œuvre de Philip Roth. Le dossier entend réunir des textes variés : analyses conceptuelles et littéraires ; récits d’expériences de lecture et études thématiques de portée philosophique.

 

Roth conduit, dans son œuvre, une pensée de nature philosophique, sans mobiliser pourtant l’analyse conceptuelle ni même se référer explicitement à des auteurs. Ses références, quand elles apparaissent, sont essentiellement littéraires (Hawthorne, Conrad, T. S. Eliot, entre autres). La question se pose alors du genre de vérité que produit la littérature, mais également des méthodes qu’elle emploie pour ce faire. Le dossier est ainsi l’occasion de redéfinir les limites et croisements des champs philosophique et littéraire, de leurs modalités spécifiques d’investigation et de leurs résultats. L’œuvre de Roth produit-elle des vérités philosophiques ? Remodèle-t-elle le concept même de vérité ?

 

Un trait saillant de l’écriture de Roth nous paraît être sa densité et son ambition d’exhaustivité, non au sens d’une systématisation ou totalisation du réel, mais au sens d’une méticuleuse transcription des détails susceptibles de donner la plus riche intelligibilité aux phénomènes. Roth ne se détourne jamais de l’infinie complexité du réel, quitte à y perdre pied. On peut d’ailleurs dire que c’est la propension du réel à déborder l’intelligence qui constitue le moteur de l’écriture. Il y a une sorte de surmenage du penseur par le réel et sa variabilité, et c’est ce surmenage dont l’effort d’exhaustivité est la marque dans l’écriture romanesque, qui n’a pas recours au concept philosophique pour le subsumer.

 

Le vertige du réel, celui d’être pris dans le « torrent du devenir » qu’évoque Nietzsche dans ses Considérations inactuelles (II), où toute chose est réversible ou vouée à se dissoudre « en une multitude de points mouvants », culmine dans Le Théâtre de Sabbath, dont l’un des thèmes centraux est la mutabilité des choses. Roth dira, dans ses entretiens avec Alain Finkielkraut datant de 1999, que le héros du roman, Mickey Sabbath, est précisément conscient de ce qu’aucune technique ne permet d’éviter le chaos, le désordre ou le « repoussant ». Ces derniers sont la matière même de la condition humaine ; ils en constituent une donnée indépassable. Mickey Sabbath sait qu’il est impossible de dompter le réel, aussi choisit-il d’ « incarner » radicalement, de « laisser entrer le repoussant ». À ce titre, il est aux antipodes de Lou Levov, le père du héros de la Pastorale Américaine. D’origine juive polonaise, Lou Levov croit trouver dans l’ « américanisation » de sa famille une méthode imparable pour tenir le danger à l’écart et assurer la « prévisibilité » de l’existence de ses enfants et petits-enfants. Or qu’advient-il ? Le désastre. « Ce n’est pas en tant que Juifs mais en tant qu’Américains qu’ils vont connaître la catastrophe. Mon but, dit Roth dans les mêmes entretiens, n’est pas de souligner la stupidité de l’ironie, mais de montrer que le chaos existe effectivement et change de forme constamment. (…) Nous essayons de le maîtriser ici, il glisse comme une savonnette et apparaît ailleurs. »

 

            Voilà bien l’une des problématiques fondamentales de l’œuvre de Roth : l’incontrôlabilité du réel, et tout ce qui vise à s’en protéger illusoirement. Dans le cas de l’écrivain Nathan Zuckerman, fameux « double cérébral » et narrateur d’une série de romans de Philip Roth, comme dans celui du héros de Némésis, Bucky Cantor, l’hyper-rationalisation du réel et son interprétation superstitieuse constituent respectivement une manière d’interposer un filtre entre soi et ce qui est « gratuit, contingent, absurde et tragique » (Némésis). Que l’intelligence sépare les deux personnages ne change rien à cette angoisse, non seulement de la mort, mais de la gratuité des choses. Jusque dans Un homme, Philip Roth est hanté par ce que nous pourrions appeler la tyrannie de la contingence, et le fait que cette dernière puisse conduire au suicide comme seule issue. Ce trait de l’œuvre de Roth est sans ménagement pour son lecteur. Nous suggérons son approfondissement dans les articles du dossier.

 

Une autre problématique majeure des romans de Roth est l’identité. La griserie du masque et l’opportunité que représente la littérature d’être autre que soi-même. Sans doute est-ce en étroite dépendance avec un thème existentiel récurrent de l’auteur : celui de la perception dépersonnalisée et hallucinée de sa propre vie. Le roman permet d’échapper à soi mais il est de toute manière impossible à l’auteur d’être lui-même, au sens d’une parfaite coïncidence à soi comme à une substance fixe. Celui qui observe, contemple et doute, installe entre son existence sociale et sa vie intérieure une irrémédiable distance voire fracture. Ainsi le roman est-il la démonstration des frontières vacillantes du « soi » à travers le jeu abyssal des usurpations d’identités.

 

Il n’en est pas moins, comme l’écrit le narrateur d’Opération Shylock, un « mensonge » ou subterfuge permettant à l’auteur d’exprimer « son indicible vérité ». Il existe un soi intime, certes dynamique et non statique, qui s’exprime à travers les mystifications, les expériences de perte de familiarité, et tente de s’y cerner. La Contrevie conceptualise l’écriture comme un « exhibitionnisme honteux ». L’écriture est un désir de se trouver et de se dire transcendé par l’investigation philosophique – anthropologique – que l’imagination de l’auteur opère à travers « l’hypothèse ludique » qu’est la fiction.

 

Le roman permet ainsi d’être autre mais est viscéralement mû par un désir d’expression de soi qui se dépasse en univers plus grand que soi. L’altérité acquiert dans ce mouvement un sens plus profond que celui du masque : elle est ce qui éclate les limites du narcissisme et rend le roman plus sage que son auteur. Une telle exigence de sagesse imprègne l’œuvre de Roth, même et surtout si son écriture traduit une gradation dans l’incertitude et le désemparement. Aussi ses romans sont-ils toujours plus ouverts.

 

On peut observer, par exemple, que dans Portnoy et son complexe, le héros est l’auteur principal des thèses exprimées : il se révolte contre sa famille et devient une sorte de juge exclusif qui n’a pas d’égal intellectuel. À mesure que les romans progressent dans le cycle Zuckerman, et jusqu’aux romans de vieillesse, l’intelligence est au contraire éclatée et polyphonique. Les thèses sont ainsi portées par des personnages et, dirions-nous, des « contre » personnages, sans que Roth ne donne réellement l’avantage à l’une sur l’autre. La raison devient dialogale et la vérité plus difficile à atteindre. « Comprendre avec Cervantes le monde comme ambiguïté, écrit Milan Kundera dans L’art du roman, avoir à affronter, au lieu d’une seule vérité absolue, un tas de vérités relatives qui se contredisent (vérités incorporées dans des ego imaginaires appelés personnages), posséder donc comme seule certitude la sagesse de l’incertitude » : voilà le propre du roman.

 

À la lumière de ces deux axes problématiques, nous proposons une liste non exhaustive de thèmes traversant l’œuvre de Roth, et qui pourraient être explorés à travers un ou plusieurs romans choisis :

 

  • L’enfance, la filiation et les liens générationnels (révolte ou identification aux valeurs du père ?), le judaïsme, la judaïté (qu’est-ce qu’être juif ?), l’individu devant la communauté ;

 

  • La littérature (qu’est-ce qui meut l’écriture ? Comment le romancier fabrique-t-il ses personnages ? Quelle est la finalité de la littérature ? Comment l’écriture et la lecture deviennent-elles des remèdes existentiels face aux vicissitudes mêmes qu’elles mettent en scène ?) ;

 

  • La honte, l’imposture, la dépression (comment la dépression métamorphose-t-elle la perception de soi et du monde ? Comment redéfinit-elle l’identité ?), la paranoïa (comprise ou non dans le spectre symptomatique dépressif : quelle est la plus ou moins grande continuité entre les phénomènes psychopathologiques et les états de conscience « normaux » ?) ;

 

  • La solitude (l’isolement devant le surmenage du réel ; l’angoisse de l’autre), la vieillesse (comment vivre avec la conscience de cette dégradation promise ?), le corps (la sexualité, l’addiction, la maladie) ;

 

  • L’adversaire politique et l’idéologue.

 

Ces thèmes sont indicatifs et peuvent être intégrés à différents types d’analyses à dimension philosophique. Il restera possible aux auteurs de discuter avec moi du format de l’article.

 

 

Informations pratiques

 

 

Coordination du dossier : Margaux Merand

 

Contact : m.merand@implications-philosophiques.org (ou margauxme@gmail.com)

 

Nous invitons les auteurs à soumettre des propositions qui devront être de 750 mots maximum (formats .doc, .rtf), et seront accompagnées du nom de l’auteur, de son statut, de son affiliation institutionnelle, ainsi que d’une adresse mail. Les textes seront soumis à des relecteurs en double aveugle.

 

Les articles finaux devront compter entre 20 000 et 35 000 signes. Pour plus d’informations sur nos normes éditoriales, merci de consulter la fiche mise à disposition :http://www.implications-philosophiques.org/wordpress/wp-content/uploads/2009/12/Mise-en-page-IP.pdf.)

 

Les articles sont à envoyer à l’adresse suivante : m.merand@implications-philosophiques.org (ou margauxme@gmail.com)

 

Calendrier

 

Date limite de réception des propositions : 1er décembre 2019

Notification de la première phase de sélection : 1er janvier 2020

Soumission des articles complets : 15 avril 2020

Acceptation définitive des articles : 1er juillet 2020

Publication : été 2020