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Appel à contributions pour le n° 13 de la revue en ligne Litter@ Incognita 

Appel à contributions pour le n° 13 de la revue en ligne Litter@ Incognita

Publié le par Marc Escola (Source : Pauline Boschiero)

Appel à contributions - Litter@ Incognita

Numéro 13 : “Temps à l’œuvre, temps des œuvres”

(printemps 2023)


« Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais, mais si on me le demande et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus », écrit saint Augustin dans ses Confessions[1]. Ainsi est le temps, impalpable et fugace, qui nous contient et nous contraint, nous échappe ou nous poursuit, voire nous effraie. Source de controverses philosophiques et de désaccords scientifiques, la notion de temps passionne autant qu’elle divise. Si, pour les sciences naturelles, le temps se mesure, certain·e·s, comme Henri Bergson, s’appliqueront à démontrer que le temps physique et le temps vécu ne désignent pas la même chose. Pour Bergson, il nous faut, pour penser le temps de l’humain, l’extraire de la donnée spatiale, dans laquelle la science physique a enfermé le temps. Son travail de conceptualisation du temps hors de la notion d’espace le conduit notamment à définir ce qu’il nomme la « durée », c’est-à-dire le temps intime, subjectif, celui de la conscience[2].

Si l’objet « temps » donne lieu à tant de postures différentes, voire radicalement opposées, c’est bien parce que, précisément, il n’est pas objectivable. Il est à la fois le contenant et le contenu – grande est la tentation de confondre le temps avec ce qu’il se passe dans le temps ou ce qui passe avec le temps. Il est la mesure et l’intime, l’indicible et l’évidence. Nous le passons, le tuons, le cherchons, le recherchons[3], nous en manquons parfois : notre langue regorge d’expressions, plus ou moins imagées, qui mettent en scène notre relation au temps. Infiltrant les jours et le langage, ces nombreuses métaphores prouvent à quel point l’humain est un être à cycles, à rythmes, à Histoire et à mémoire.

Le joug des jours qui passent – avec, en toile de fond, le spectre de la finitude – conduit à un désir de dépassement de cette contrainte implacable. Ainsi, naissent les fictions les plus troublantes qui tentent de dépasser ou de déformer la loi du temps. Certain·e·s se sont saisi·e·s de ces problématiques de manière frontale en abordant, par exemple, la question du voyage temporel. Si le roman de H.G. Wells[4] semble être une référence dans le domaine, les XIXe et XXe siècles ont vu fleurir de nombreuses fictions sur le sujet – jeux vidéo, bandes dessinées, séries et films, romans estampillés ou non « science-fiction », etc. D’autres, prenant la forme de paraboles, d’uchronies, de dystopies, voire d’utopies, abordent par le détour la question du temps.

Par ailleurs, l’époque que nous traversons pousse nécessairement à une réflexion sur la place du temps au sein d’un système capitaliste mondialisé. En effet, si « le temps, c’est de l’argent », c’est surtout du travail – la force de travail de chacun·e ne signifie pas seulement des compétences et des qualités, mais également du temps, « à vendre ». Il y a lieu, dans ce contexte qui incite à une logique productiviste, de s’interroger sur les conditions de création et sur notre lien à l’œuvre en tant que récepteur·trice·s soumis·e·s à l’œuvre du temps.

Au sein de ce prochain numéro, que nous souhaitons pluridisciplinaire, il s’agira donc de traverser, sinon le temps, du moins ses vertiges en termes de représentations temporelles, ainsi que d’interroger les contextes de leur création, mais également d’explorer les effets du temps sur le corps ou sur la matière.

Nous invitons les chercheur·se·s et jeunes chercheur·se·s de toute discipline à interroger le vaste sujet du temps à l’œuvre et du temps des œuvres. Nous proposons quelques axes de réflexion non exhaustifs afin de guider les contributeur·trice·s.

Axe 1 : Représenter le temps

Nous faisons appel à des articles consacrés à la représentation du temps dans des œuvres appartenant à tous les moyens d’expression artistique : l’intérêt de ce numéro naîtra du dialogue qu’il entend instaurer entre ces derniers. 

En littérature et au cinéma, que ce soit dans la fiction ou dans l’œuvre (auto)biographique, nous nous intéressons au temps comme sujet : temps vécu, durée, relativité du temps, attente, silences, influence du temps sur les personnages, temps subi[5], motif de la fuite du temps…

De plus, l’étude des moyens artistiques qui permettent de matérialiser le temps dans les différents langages artistiques, voire le temps utilisé comme matière même de l’œuvre, nous intéressent particulièrement, qu’il s’agisse, selon l’expression d’Étienne Souriau, d’ « arts du temps[6] » : musique, danse (rythme, silence, tempo), littérature (divisions du temps, ellipses, analepses et prolepses, emploi des temps et autres moyens grammaticaux d’expression du temps, référentiel…) ; mais aussi, dans les « arts de l’espace » (arts plastiques, sculpture, photographie…), que l’on « embrasse d’un seul coup d’œil[7] », des moyens utilisés pour matérialiser le temps (vanités, symboles du memento mori…) et de l’utilisation même du facteur temps (art contemporain, installations[8]…).

Axe 2. Temps de l’œuvre et de l’artiste

En décembre 1999, un collectif de chorégraphes rassemblé sous le nom des « Signataires du 20 août » lançait un cri d’alerte quant à leurs conditions de travail[9], et notamment quant à la manière dont le « Marché Institué de la Création » (MIC), si bien nommé par Muriel Plana[10], ôtait aux artistes leur statut décisionnaire sur un élément capital, le temps : celui de penser, de créer, de jouer, et de rester. 

Plus de vingt ans plus tard, force est de constater que les conditions de travail, et en particulier les contraintes liées à la temporalité, ne se sont pas véritablement améliorées, et ce dans toutes les disciplines de la création artistique. Ainsi, les relations entre temps et économie pourront faire l’objet d’études pour le présent numéro : comme le constatent et l’affirment plusieurs créateur·ice·s, la temporalité d’une œuvre – celle de son processus de création, des collaborations entre les artistes, ou encore de sa diffusion – agit directement sur ses paramètres esthétiques (sa durée, mais aussi sa mise en scène, sa dramaturgie pour les arts vivants; sa « longueur », son rythme, sa périodicité pour la littérature ; sa forme, son temps et son espace d’exposition pour les arts plastiques). La question du contexte de création et/ou de diffusion devient alors centrale : comment fait-on pour s’accommoder, voire transformer en facteur de créativité, des contraintes de temps imposées par les acteurs du marché de la création ? Et, si l’on refuse de telles conditions, comment parvient-on à produire aux marges de cet espace-temps « institutionnalisé » ? Enfin, quand les durées de représentations et de tournées, de diffusion et d’exposition, s’écourtent toujours davantage, comment gère-t-on les questionnements liés à la trace, à la mémoire, et à la reproductibilité[11] ?

Axe 3 : Temps et altération

Si le temps est un « processus insensible, infiniment lent qui échappe à la conscience » et « s’écoule sans aspérité, sans contraste[12] » il est toutefois le châtiment ordinaire qui altère fatalement les matières et les corps. Le temps travaille et malmène la Forme jusqu’à la dissoudre. « Fardeau qui déforme les êtres, [il] pèse sur les épaules, tord les échines, [et] couvre de mauvaise graisse les corps gloutons[13] ». Murielle Gagnebin établit un lien direct entre passage du temps, vieillissement et laideur : marques inéluctables et indélébiles de notre condition de mortels[14]. Si le temps, véritable puissance dissolvante, déforme, défigure, complique, violente et désagrège les Formes, nous pourrons nous demander dans ce numéro comment les arts prennent en charge cette altération, la subissent et/ou la mettent en scène. Formes fictionnelles (narratives, poétiques, dramatiques…), arts plastiques et arts vivants (mises en scène théâtrales, chorégraphies, performances…) pourront être interrogés selon différentes perspectives :

– Le vieillissement et l’usure des corps pris dans le temps de la fiction et/ou dans le temps de la représentation de l’œuvre. Comment représenter l’altération en cours des corps ? Comment marquer significativement le passage du temps sur eux ?
– Le corps de l’artiste mis à l’épreuve et éprouvé par le temps de la représentation. Comment le temps de la représentation marque-t-il les corps en jeu ?
– Enfin, nous pourrons aller jusqu’à nous demander comment la durée de la représentation (de ces représentations « monstres » comme les appelle Jean-Loup Rivière[15]) altère les spectateur·trice·s.


 
MODALITÉS DE SOUMISSION

Les propositions de contributions en français – titre et résumé de 500 mots maximum – accompagnées d’une brève notice biobibliographique (affiliation institutionnelle, axes de recherche, publications majeures) sont à envoyer à l’adresse électronique de la revue Litter@ Incognita : littera.incognita@gmail.com 

Les articles seront soumis de manière anonyme à l’évaluation d’un comité scientifique composé d’enseignants-chercheurs de l’Université Toulouse II Jean Jaurès.

Calendrier prévisionnel :

Soumission des propositions avant le 20 septembre 2022.

Annonce des résultats de la sélection des propositions : semaine du 27 septembre 2022.

Soumission des articles complets des auteurs sélectionnés aux fins d’évaluation : 07 novembre 2022.

Publication des articles évalués : mars 2023.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE

BENJAMIN Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, trad. Lionel Duvoy, Paris, Éditions Allia, 2013

BERGSON Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, Presses Universitaires de France, 1927

HARTOG François, Chronos, Paris, Gallimard, 2020

JANKELEVITCH Vladimir, La Mort, Paris, Flammarion, 1966

LE BRETON David, Anthropologie du corps et de la modernité, Paris, Presses Universitaires de France, Quadrige, 2013

PLANA Muriel, Mondes à venir. L’art de l’anticipation au théâtre, Paris, Éditions Orizons, 2022

PROUST Marcel, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 2019

RICOEUR Paul, Temps et récit (I, II, III), Paris, Éditions du Seuil, 1983-1985

SAINT AUGUSTIN, Les Confessions, traduit par Joseph Trabucco, Paris, Garnier Flammarion, 1964

SOURIAU Étienne, La Correspondance des arts. Éléments d’esthétique comparée, Paris, Flammarion, 1969
 
[1]           SAINT AUGUSTIN, Les Confessions, traduit par Joseph Trabucco, Paris, Garnier Flammarion,1964, p. 264.

[2]           BERGSON Henri, Essai sur les données immédiates de la conscience, Paris, Presses Universitaires de France, 1927.

[3]           Songeons à l’œuvre de PROUST Marcel, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 2019.

[4]           Voir WELLS H.G., La machine à explorer le temps, Paris, Folio, 2016.

[5]           À titre d’exemples, nous songeons à la représentation du temps des travailleur·se·s, des ouvrier·e·s soumis·e·s à la pression productiviste et capitaliste (comme c’est le cas dans La journée d’une infirmière d’Armand Gatti) ou à la charge mentale des tâches domestiques (comme dans la pièce Modèles de Pauline Bureau, où Laure Calamy figure une mère prise dans un rythme de vie effréné, tout comme dans le récent film À plein temps d’Eric Gravel où elle tient le rôle principal).

[6]           SOURIAU Étienne, La Correspondance des arts. Éléments d’esthétique comparée, Paris, Flammarion, 1969, p. 28 : musique et littérature « ne se donn[ent] que déroulées, pour ainsi dire, en longueur de temps » tandis que dans les « arts de l’espace », l’œuvre « peut dire tout son être dans l’intuition d’un instant ».

[7]           Ibid., p. 28.

[8]           Tel est l’objet, par exemple, des « Melting Men » de Néle Azevedo ou de « Grow » de Daan Roosegaarde.

[9]         Voir GOURFINK Myriam, CHAPUIS Yvane, PERRIN Julie, Composer en danse. Un vocabulaire des opérations et des pratiques, Dijon, Les Presses du réel, 2020, p. 161.

[10]         Voir PLANA Muriel, « Aux marges du Marché Institué de la Création : deux espaces pauvres de représentations féministes et queer », dans Courau T. et Palais M-T. (dir), Politique des représentations queer : performa(r)tivité identitaire et ar(t)chive, Sociocriticism, n°35-1, 2020 : « J’utilis[e] […] cet acronyme (qui calque de manière amusante le très technique MIC (modulation par impulsions et codée) pour désigner une réalité dominante d’organisation du marché de l’art (tous les arts, littérature comprise) en régime postmoderne (1980 à nos jours) ».

[11]         L’ouvrage de référence sur le sujet étant celui de BENJAMIN Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, trad. Lionel Duvoy, Paris, Éditions Allia, 2013.

[12]         LE BRETON David, Anthropologie du corps et de la modernité, Presses Universitaires de France, Quadrige, Paris, 2013, p. 213.

[13]         GAGNEBIN Murielle, Fascination de la laideur, Champ Vallon, L’or d’Atalante, Seyssel, 1994, p. 45.

[14]         JANKELEVITCH Vladimir, La Mort, Paris, Flammarion, 1966, p. 171.

[15]         RIVIERE Jean-Loup, « Monstres », Le monde en détails, Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 2015, p. 94-95.