Anne Simon
La Rumeur des distances traversées. Proust, une esthétique de la surimpression
Paris, Classiques Garnier, coll. Bibliothèque proustienne, 2018
EAN : 9782406071532
381 pages
Prix : 49 €
La chambre éclairée par la lanterne magique, où s’ouvre « la trappe invisible par où les fantômes apparaissent », est chez Proust le lieu des songes signifiants, des possessions malgré soi, des assouvissements extrêmes. Dans cette nuit inquiète s’anime un sujet en proie à une énigmatique « transvertébration » qui entrecroise de primordiales formes de soi – bisexuation, inceste, hybridation homme-bête, revenance, judaïsme… Une esthétique de la surimpression caractérise ces deux expériences de frayage et de passage que sont l’écriture et la vie. Proust comme être traversé et traversant, tel est le sujet de ce parcours qui, initié il y a une trentaine d’années, rend compte de la puissance philosophique d’un roman hanté par « la rumeur des distances traversées ».
Directrice de recherche au CNRS, Anne Simon est directrice du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/EHESS, Paris), où elle anime le Pôle Proust et le programme Animots. Elle est l’auteure de : Trafics de Proust (Hermann, 2016), Proust e la filosofia contemporanea (trad. par G. Grasso, Solfanelli, 2013), Proust ou le réel retrouvé (PUF, 2000 ; Champion, 2011, 2018), À leur corps défendant (avec C. Détrez, Seuil, 2006). Elle a publié une quinzaine de collectifs, dont « Proust et l’Orient » dans Akhbar Aladab/Les nouvelles littéraires (en arabe, Caire, 2007) et « Proust et les sciences sociales » (vidéos en ligne, CRAL-CNRS/EHESS, 2015).
Transvertébrations : la revenance et la vie 11
Désossement, dévertébration, transvertébration 13
Apparitions, possession, vocation 19
De la transvertébration à l’esthétique de la surimpression 26
PREMIÈRE PARTIE
PUISSANCE PHILOSOPHIQUE DU ROMANESQUE
« Un sujet philosophique pour une grande œuvre littéraire »
Projet désavoué ou révolution romanesque ? 37
Du cadrage au glissement 39
Vérité du romanesque 43
Mais qu’est-ce qu’« un sujet philosophique » ? 48
Phénoménologie et référence
Proust et la redéfinition du réel 53
Le référent en procès 55
Littérature vive, littérature sous tension :
la dynamique du réel 59
Une fausse question : l’art ou la vie ? 63
Latence et référence 65
Le côté phénoménologique de la recherche
Proust et Husserl 71
Une reconsidération phénoménologique du sujet 73
Une écriture de l’intérieur 79
L’« architecture du visible »
Microlecture de la fin de Sodome et Gomorrhe 81
L’entrelacsdu corps et du fantasme, du passé et du présent 83
La prégnance de l’invisible : stylistique d’une phrase
de Sodome et Gomorrhe 87
La surface et la profondeur 92
L’herméneutique impossible
Ricoeur à l’épreuve de Proust 95
Proust et la tension référentielle 98
Les partis pris de l’herméneutique philosophique 102
Méconnaissance de Proust
Foucault 115
Proust, écrivain de l’institution ? 115
De l’auteur de la Recherche au personnage Barthes/Blanchot 121
Panoptismes de Proust et Foucault 123
Savoir et biopouvoir : spécificités proustiennes 126
DEUXIÈME PARTIE
INCORPORATIONS
Histoire de l’optique et recherche littéraire
Le rayon visuel chez Proust 133
Anubis, Narcisse 134
De l’intercorporéité à l’interdisciplinarité 137
Une optique proustienne ? 146
Voir le temps 150
Voir le regard qui nous regarde
Voyeurisme et pétrification 153
Le voyeurisme et l’alibi de l’étude de mœurs 157
Jeux de miroirs, jeux de regards : le voyeur médusé 159
Proust ou le corps expressif malgré lui 167
Validité de l’erreur herméneutique et du mensonge 169
Inflexions personnelles 175
Un regard « venu des profondeurs » 176
La parure, extension intelligible du corps 178
« La même et pourtant autre »
Le travail de la différence 183
« La généalogie physiologique » 185
Sournoiserie, dissimulation :
Gilberte-Mélusine, ou la femme parfaite 190
« Le Temps cherche des corps » 195
La quatrième dimension 197
Le corps féminin en perspective 200
Du monstre au Dibbouk 203
L’extra-temporalité au cœur de la temporalisation 206
Figurations et défigurations du réel et du temps 211
La vraie littérature, c’est la vie 212
Memento mori 216
TROISIÈME PARTIE
COMMERCES
« Maintenant regardez »
Renoncer, attaquer, une révolution littéraire 223
Reproduire pour renoncer : Proust et les héritages culturels 225
Engranger l’inassimilable : révolution et réception 228
Inventer style et monde 233
L’« arrière-plan de silence » du style de Proust 239
Faire silence 240
« Silence du langage absolu » 243
De la vie muette aux formes du silence 245
Aurores, clairs de lune et autres couchers de soleil. De la
persistance du cliché à la déconstruction du panorama 253
Vues panoramiques : la quête d’une nature poétique 256
Déconstruire et réinvestir les clichés 259
Entre paysage-prétexte et paysage-palimpseste 263
Surprises de la perspective 266
Vertiges de Nerval
De Sylvie à la Recherche 271
Brouillage des focalisations et désorientation textuelle 273
Des conclusions divergentes :
de la fin de Sylvie au Temps retrouvé 278
D’hommage en pastiche :
de la fin de Sylvie à la fin de Du côté de chez Swann 280
Deux héros gémeaux, deux narrateurs différents 284
Cohen et Proust
Réécritures, dénégations, engagements 287
Portraits-charges et caricatures :
distinctions sociales et déclassements 289
« La durée, vieille Juive errante » :
des constructions narratives ramifiées . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
Écrire et lire en temps de guerre : « À quoi bon Proust ? » . . .. 299
Proust lecteur de Maeterlinck
Affinités sélectives 303
L’épineuse question des premières œuvres et de « la mort » 304
Défense et illustration du « Virgile des Flandres » :
les essais des années 1900 309
Maeterlinck palimpseste 312
De l’histoire naturelle aux histoires surnaturelles
Hybridités proustiennes 319
Fictionnalisation de l’histoire naturelle 323
Déplacements du darwinisme social 332
Altérité des bêtes réelles 335
Fonction anthropologique des animaux mythologiques 340
Monstres temporels :
de l’évolution darwinienne à la désagrégation proustienne 343
Autoportraits zoologiques 347
Bibliographie 351
Index des noms 371
Extrait de l’introduction – Transvertébrations : la revenance et la vie
Parmi les nombreux mots inventés par Proust, « transvertébration », à l’orée de la Recherche, intrigue. Mot-valise ? Faute d’inattention puis négligence à la relecture des dactylographies et des épreuves ? Goût immodéré pour des « vertèbres » ailleurs tout aussi incongrues, et qui ont fait couler à flots l’encre de la critique ? Toujours est-il que ce « mot dur à dire » comme l’est celui, deleuzien, de « déterritorialisation », me semble suffisamment important pour en faire l’ouverture d’un recueil d’études qui condense un parcours de l’œuvre de Proust initié il y a une trentaine d’années. « On a parfois besoin d’inventer un mot […] barbare pour rendre compte d’une notion à prétention nouvelle », se justifie le philosophe. La transvertébration renvoie pourtant moins à une notion qu’à une expérience inaugurale qui institue une façon, dimensionnelle, d’envisager l’ensemble des champs de l’existence, et de leur donner forme. Pour en saisir les multiples et fantastiques ramifications, il importe de revenir sur l’histoire de ce terme, qui fait apparaître, dans la chambre mythique de « Combray », la première occurrence du préfixe trans- (« de part en part », « au-delà de », « à travers ») aussi cher à Proust que l’est le préfixe re- qui ouvre – à rebours – la Recherche. Cette traversée des différentes couches de sens associées à la transvertébration nous fera ensuite pénétrer le corps-palimpseste d’un narrateur peuplé de revenants, évocateur de temporalités tantôt interpolées, tantôt intriquées. La vie et l’art déploient une esthétique de la surimpression sur laquelle je reviendrai enfin en proposant un parcours synthétique de l’ensemble des contributions réunies dans ce recueil. Cette esthétique, poétique autant que sensorielle, temporelle autant que spatiale, est aussi une proposition herméneutique, qui envisage le sens dans sa confrontation à une « résistance », à un obstacle : « Ne vous laissez […] jamais arrêter par les mots et les images que l’on aura tracés pour vous, mais regardez “au travers” ! »
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On peut lire sur nonfiction.fr un article sur cet ouvrage :