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La violence (revue Actes sémiotiques)

La violence (revue Actes sémiotiques)

Publié le par Marc Escola (Source : Juan Alonso Aldama)

ACTES SÉMIOTIQUES

Projet de dossier (2021) : La violence

sous la dir. de Juan ALONSO-ALDAMA, Denis BERTRAND et Tarcisio LANCIONI.

 

La rédaction des Actes Sémiotiques vous invite à envoyer vos propositions de contribution en français, en italien, en espagnol, en portugais ou en anglais (max. 1000 caractères espaces compris), accompagnées d’un bref profil bio-bibliographique (max. 10 lignes) avant le 15 SEPTEMBRE 2020.

Date de notification d’acceptation : 15 OCTOBRE 2020. Date de remise du texte définitif : 15 FEVRIER 2021.

Les articles, entre 25000 et 35000 signes maximum, seront soumis à une procédure d’évaluation « en double aveugle ».

Pour les consignes de rédaction, voir : https://www.unilim.fr/actes-semiotiques/2958.

Le dossier est édité par Juan ALONSO-ALDAMA, Denis BERTRAND et Tarcisio LANCIONI.

Les propositions d’article sont à envoyer aux quatre adresses suivantes :

as@unilim.fr, juan.alonso@neuf.fr,  denis.bertrandcotar@gmail.com et tarcisio.lancioni@gmail.com.

 

Texte d’orientation

La violence est constamment au centre de la scène médiatique. Les arts en ont élaboré d’innombrables représentations, et des chercheurs comme Pierre Clastres ou René Girard l’ont identifiée comme l’un des moteurs fondamentaux de l’histoire culturelle. Toutes les sciences sociales s’y intéressent, mais toujours comme s’il s’agissait d’un phénomène en soi évident, que chacun est capable de reconnaître : une « donnée de fait », sans que l’on se demande de quoi on parle vraiment quand on parle de « violence ». Avec toutes les évidences intuitives qu’il suscite, le spectre sémantique de la violence est très large : il mêle les traits modaux du « pouvoir », de la « force » (en allemand réunis sous l’expression Gewalt), du contrôle ou de la domination, à la manifestation de phénomènes passionnels extrêmes – de la haine à l’épouvante – et à l’irruption soudaine et impérieuse de la Mort.

La sémiotique, pour sa part, a souvent analysé des situations et des scènes violentes, ou qui impliquent la violence, en traitant le sens de phénomènes aussi bien collectifs tels que le terrorisme, la guerre, les luttes sociales, que privés comme « la scène de ménage ». Elle a considéré la présence implicite de la violence dans les stratégies et les dynamiques narratives qui caractérisent la dimension polémique de la circulation des valeurs : c’est ce que révèlent plusieurs entrées du dictionnaire de Greimas et Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, (« agresseur », « appropriation », « punition », ...), de même que la manifestation de cette violence appelée par certaines configurations passionnelles telles que la jalousie, la colère, la vengeance. Cependant, elle n’a jamais, elle non plus, fait de la violence un objet propre de réflexion et d’analyse.

Avec la présente proposition, nous invitons la communauté sémiotique à transformer les nombreuses théories implicites qui caractérisent la « scène de violence » en un objet d’étude explicite, afin d’interroger ses dimensions signifiantes et d’offrir également aux autres sciences sociales quelques clés de lecture articulées du sens de la violence.

En premier lieu, comme on l’a dit, la violence peut être décrite comme un résultat discursif particulier de la configuration polémique de la circulation des valeurs.

Une dimension narrative de la violence est donc donnée, qui pourrait nous permettre d’élaborer une première articulation de ses formes, en distinguant différentes valeurs propres à chaque moment du schéma narratif ; violence au sein des stratégies de persuasion ; violence pédagogique d’acquisition et d’imposition de compétences (initiations, rôles thématiques contraignants) ; violence pragmatique de confrontation interactionnelle ; violence de punition ou de rétribution négative consécutive au jugement (la « splendeur des tortures » dont parlait Foucault) ; violence légitime et violence légale (son usage « proportionné »), etc. Une diversification narrative qui implique aussi la prise en compte des modes d’existence possibles de la violence, qui n’est pas donnée exclusivement telle qu’elle est réalisée, mais qui peut aussi se présenter comme actualisée, menaçante, ou potentialisée, mise en réserve, comme le montrent bien les réflexions de Louis Marin sur le pouvoir.

Ce premier axe de la recherche suggère donc d’envisager la syntagmatique narrative et passionnelle de la violence, voire son inscription dans un schéma spécifique, à l’encontre de l’image dominante de son irruption soudaine et irréductible. Le débat contemporain sur la requalification judiciaire du supposé « crime passionnel » en « féminicide » porte en partie sur son inscription dans un processus de séquences annonciatrices (autour, par exemple, du schème narrativo-passionnel de l’« emprise »).

Si les modèles narratifs de la polémicité peuvent offrir une première clé pour l’articulation de la « violence » comme phénomène de sens, c’est certainement au niveau de l’organisation discursive de la scène violente qu’une série de « défis » intéressants pour le travail de description et de théorisation sémiotiques se profile. La syntaxe narrative de la conflictualité produit, du fait même de son niveau de généralité, un effet d’« écrasement » qui occulte la dimension corporelle, et plus spécifiquement charnelle, de la violence. Cela implique que ce terme soit précisément défini et doté d’un statut conceptuel à travers l’ensemble de relations qu’il induit et les caractéristiques propres à ses diverses configurations : violence et non-violence, violence intentionnelle et violence des éléments naturels (le vent, la terre, la mer), rationalisation et impulsivité entre la violence programmée (cf. la torture) et la violence incontrôlée (cf. la fureur), entre ses manifestations aspectuelles et stratégiques permettant de distinguer les violences compulsives et occasionnelles d’un côté (cf. le « passage à l’acte »), durables et itératives de l’autre (cf. les violences conjugales).

Ces manifestations ne concernent pas seulement les différents modes d’aspectualisation du processus de la violence, mais aussi la diversité de ses formes passionnelles, avec leurs rôles thématiques et pathémiques spécifiques, et leurs façons variées d’impliquer le corps-chair. À ce propos, Gilles Deleuze avait déjà souligné, sur le cinéma de Losey, comment la manifestation de la violence peut être vue à partir de la façon dont elle met en vibration les corps de ceux qui la pratiquent et de ceux qui la subissent, et l’inscrit dans leur propre chair à travers la douleur. Qu’il s’agisse de corps singuliers ou de corps collectifs – également dotés d’une chair qui peut être blessée comme dans le cas de la violence communément appelée « symbolique » –, ou qu’il s’agisse de corps « énonciatifs » qu’implique l’existence même de la violence en tant que scène, également mise en vibration par les modes de présence et de présentation de la violence elle-même, dans tous les cas, son incarnation est pour la sémiotique une question centrale.

Au-delà de la « scène de la violence », sa phénoménalité s’inscrit enfin dans des formes de vie plus générales et englobantes. Celles-ci sont caractérisées, d’un côté, par la mise en congruence des éléments figuratifs, modaux, aspectuels et axiologiques qui définissent toute forme de vie d’un point de vue sémiotique, et, de l’autre, par la puissance même de leurs codifications culturelles. Codifications qui les figent, les « canonisent » et déterminent leur statut socio-sémiotique, entre stéréotypie, glorification ou scandale à conjurer : on peut penser à des configurations thématiques telles que le sadisme et le masochisme, à des rituels hybrides ludico-mythiques (tels que les combats de coq ou les corridas), à la complaisance envers la « cruauté » célébrée de telle ou telle « vie criminelle », à l’esthétisation de rôles pathémiques extrêmes (cf. la tragédie), à l’« éthisation » de la violence comme une nécessité morale, à la fascination de la catastrophe, à la jouissance, la fruition ou l’exaltation littéraire (« sublime, forcément sublime »), bref, à la confrontation plus générale de la violence avec le champ ouvert des axiologies.

Sur la base de ces réflexions liminaires, on peut suggérer, à titre d’orientation, quelques thèmes possibles de développement :

-La violence comme stratégie : violence persuasive (la torture comme instrument rhétorique ?)

-La somatisation de la violence : corps violents et corps violentés, douleur et souffrance

-La violence et les formes de vie : violence instituée et violence instituante (violence privée et violence