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Le pays des mille collines : les erreurs meurtrières de l’Histoire

Le pays des mille collines : les erreurs meurtrières de l’Histoire

Publié le par Maxime Berges (Source : Bernadette Rey Mimoso-Ruiz)

Le pays des mille collines : les erreurs meurtrières de l’Histoire

Journée d’étude du vendredi

24 mars 2023


Colonie européenne de 1885 à 1961, le Rwanda est passé successivement de la tutelle allemande à celle du royaume de Belgique, et aurait sans doute peu attiré l’attention s’il n’avait connu une guerre civile et les massacres de 1994, induits par l’organisation sociale structurée par les colons. En effet, à l’équilibre ancestral qui partageait la société entre Tutsi, Hutu et Twa, selon le schéma archaïque (éleveurs, agriculteurs, artisans), les colons ont substitué une hiérarchie fondée sur des critères raciaux, accordant une suprématie aux Tutsis, à l’aune d’une esthétique qu’est venue renforcer la légende d’une origine hébraïque. Ainsi, Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda rapportent-ils des extraits de l’ouvrage en trois volumes du belge R. Bourgeois qui décrit la population : 

Les Hutu […] sont généralement trapus et brachycéphales » ils « possèdent tous des cheveux crépus et présentent un prognathisme accentué. Ce sont des cultivateurs « serfs » assujettis aux Batutsi politiques. Ces derniers […] ont « les membres fortement allongés » et « le nez souvent sémitique sinon arménoïde », mais « ils sont nettement négritisés » […] Ils seraient en fait « d’origine sémitique pré-mosaïque » comme les éleveurs israélites.

Autant dire que s’instaure une hiérarchie au sein de la population, faisant des uns les serviteurs des autres, en raison de leurs caractéristiques physiques dans une imagerie féodale et rappelant clairement l’ethnoracisme nazi. Ce classement trouve sa concrétisation juridique dans l’établissement de livrets d’identité, établis selon le modèle déjà en vigueur au Congo : « Il y est prévu une question sur "l’origine", mentionnant "peuplade, tribu, chefferie". Au Rwanda, cela donne, dans l’ordre ce qu’on appelle aujourd’hui l’ethnie (tutsi, hutu, ou twa), la référence munyarwanda et la colline (identifiée en outre par le nom du chef local) ».

En ayant fait des Hutu des sous-citoyens jusque dans les manuels scolaires, l’administration coloniale préparait la violence qui a suivi l’indépendance où « Les enfants chéris du colonisateur, les Batutsi sont devenus du jour au lendemain des Rwandais juste tolérés dans leur pays ». Du fait de leur minorité (17%), ils deviennent au nom de la démocratie, les privilégiés à soumettre, et portent le sceau de la colonisation dont il faut se libérer par le biais d’un bouc émissaire. Les événements complexes qui ont suivi et qui pourraient faire l’objet de communications au sein de cette journée d’étude, ont nourri une haine grandissante dont le génocide de 1994 constitue l’acmé. Si Benjamin Schene intitulait le chapitre VII de son ouvrage, Le piège ethnique, « Une réconciliation était impossible », les évolutions récentes, la pacification et le renouveau rwandais laissent croire à une renaissance. 

Ces préliminaires posés, le questionnement autour du Rwanda ne s’éteint pas pour autant. Une littérature abondante lui est consacrée, se voulant éclairante sur les responsabilités de la France en particulier quant à ce génocide de la fin du xxe siècle, triste réplique de celui perpétré par les nazis un demi-siècle auparavant. Tout comme ont pu le faire certains Juifs, les Tutsi ont émigré dans les pays voisins dans un premier temps, et plus tard vers la France où les récits et témoignages sont si nombreux qu’ils constituent un volet de la littérature franco-africaine, alors que le français, longtemps langue officielle est supplanté peu à peu par l’anglais et n’est plus parlé que pour 5% à 10 % des 12 millions d'habitants. Les causes en sont multiples et reposent principalement sur l’usage de l’anglais par le président Paul Kagame, longtemps réfugié en Ouganda, et la stigmatisation de la langue attachée à la colonisation, mais aussi parce que l’État français apporte de moins en moins son soutien aux structures culturelles, au Rwanda comme ailleurs, comme en témoignent les fermetures de certains instituts. 

L’élection de Louise Mushikiwabo - ministre des Affaires étrangères du Rwanda - au poste de secrétaire générale de la Francophonie, laisse entrevoir une réhabilitation de la langue délaissée au lendemain du génocide. Pierre Cochez, envoyé spécial à Kigali, observe que : 

Les Rwandais ont décidé de parler kinyarwanda, français et également anglais. Depuis son enfance, chaque Rwandais parle en famille et avec ses amis le kinyarwanda. Alors, ici, nul besoin d’emprunter aux anciens colonisateurs – en l’occurrence les Belges – leur langue pour se comprendre. C’est cette nécessité qui pousse, dans d’autres pays d’Afrique, les Mozambicains à parler le portugais, les Congolais à manier le français, les Zimbabwéens à utiliser l’anglais. […] Symboliquement, le nouveau Président, Paul Kagame ne s'exprime qu'en anglais ou kinyarwanda. En outre les relations entre Paris et Kigali ont alterné entre le mauvais et l'exécrable.

Si le français perd sa popularité et son usage, il demeure une langue d’expression littéraire dans l’exil. Les migrations des populations, vers les pays voisins marquent l’incohérence des frontières établies lors de la décolonisation, ce qui pourrait faire l’objet d’une étude ethno-géographique. Celles qui se dirigent vers l’Europe, Belgique ou France, s’inscrivent davantage dans la logique des ex-colonisés et relèvent principalement du droit de l’asile. Néanmoins, les migrants ont porté témoignage de leur vécu, soit dans des ouvrages biographiques, soit dans des fictions, qui sont autant d’exutoires, les uns guidés par une forme de responsabilité pour justifier leur statut de « rescapé », les autres, se détournant du réel trop lourd pour le transposer dans une création réconfortante.

Une littérature naît, et interroge le lecteur quant à sa légitimité, si l’on se souvient de l’affirmation d’Adorno qui déclarait « barbare » d’écrire un poème après Auschwitz. Pourtant, dès « 1998, une dizaine d’écrivains africains, vivant au Tchad, au Kenya, au Sénégal ou en Europe, se sont engagés dans un projet de résidence d'écriture au Rwanda cet été, sur le thème : "Écrire par devoir de mémoire" . Devant une telle tragédie, « le silence des Africains est des plus assourdissants, en particulier celui des intellectuels », observe Nocky Djedanoun, écrivain installé à Lille, responsable de l'association Arts et Médias d'Afrique. »

Ainsi, suivent-il les pas de Primo Levi (Le Devoir de mémoire), d’Elie Wiesel ou de Imre Kertész, accordant aux mots le pouvoir de marquer l’Histoire. A contrario des écrits sur la Shoah émanant de juifs épargnés ou survivants, l’initiative appartient ici à des Africains subsahariens pour s’élever non seulement solidaires, mais aussi pour dire au monde que l’Afrique ne se réduit pas à des hommes armés de haine et de machettes.

À cet élan africain répond toute une production de réfugiés en Europe qui a été mise en lumière par l’octroi du prix Renaudot à Scholastique Mukasonga en 2012 pour Notre-Dame du Nil et il est à parier que le trentième anniversaire va susciter de nombreuses publications, d’autant que les enquêtes ont progressé et les connaissances se sont affirmées.

La mémoire appartient désormais non seulement aux Rwandais, mais à l’humanité toute entière. Mais, plus d’un quart de siècle s’est écoulé et peut laisser craindre que le voile de l’oubli, jeté sur ce moment de l’histoire par d’autres drames n’occulte les visages et les corps de toutes les victimes. Il apparaît donc nécessaire que la recherche poursuive ses travaux, tant sur le plan juridique, géographique, historique, sociologique, psychologique et littéraire afin de réunir d’autres voix, d’autres éléments propres à nourrir un mémorial, non pour figer le passé, mais au contraire, pour en débusquer les zones d’ombre, analyser les conséquences contemporaines, et appréhender la créativité qui triomphe de la mort.

Une journée d’étude portée par la Chaire Francophonies et Migrations dans le cadre de son projet LAMVEC (Les Afriques, Mouvements, Vulnérabilités Et Créativité) sera organisée le 24 mars 2023 et s’articulera sur plusieurs axes :

- Mythe et colonisation
- Migrations (Afrique/Europe) 
- Raconter l’irracontable 
- Le Rwanda aujourd’hui : mémoire et résilience 
- Droit international 

Les propositions sous forme de résumés (2000 signes maximum) devront parvenir avant le 1er novembre 2022. Une bibliographie des ouvrages étudiés/consultés ainsi qu’une notice biographique seront appréciées. 

Elles seront envoyées à 

Olivier Damourette : olivier.damourette@ict-toulouse.fr 
Bernadette Rey Mimoso-Ruiz : bmr.toulouse@gmail.com ou  bernadette.mimoso-ruiz@ict-toulouse.fr 
Enguerrand Serrurier enguerrand.serrurier@ict-toulouse.fr 

En prolongement de la journée d’étude, les textes retenus par le comité scientifique feront l’objet d’une publication, en janvier 2024, aux Presses universitaires de l’Institut Catholique de Toulouse dans la collection « Humanités », série Francophonies.

Bibliographie non exhaustive

Littérature 
Diop, Boubacar Boris, Murambi, le livre des ossements, Paris, Zulma, 2014.
Courtemanche, Gil, Un dimanche à la piscine à Kigali, [2000], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006. 
Hatzfeld, Jean, Une saison de machettes, Paris, Seuil, 2003. 
Engelbert des collines, Paris, Gallimard, 2014.
Ilboudo, Monique, Murekatete, Lille, Fest’ Africa / Bamako, Éd. Le figuier, 2000.
Lamko, Koulay, La Phalène des collines, [Paris-Kigal, Éd. [Kiuljaama, 2000], Paris, Serpent à plumes, coll. « Motifs », 2002.
Mujawayo, Esther, Survivants. Rwanda, dix ans après, La Tour-d’Aigues, Éd. de L’Aube, 2004.
Mukasana, Yolande, La Mort ne veut pas de moi, Paris, Robert Laffont, 1997.
Mukasonga, Scholastique, Inyenzi ou les Cafards, Paris,  Gallimard, coll. « Continents Noirs », 2006.
Notre-Dame du Nil, Paris, Gallimard, coll. « Continent noir », 2012.
Runangwa, Révérien, Génocidé, Paris, Presses de la Renaissance, coll. « Témoignage », 2013 .
Sehene, Benjamin, Le feu sous la soutane, Paris, Éd. L’Esprit frappeur, 2005.
Tadjo, Véronique, L’ombre d’Imana. Voyage jusqu’au bout du Rwanda, Arles, Actes Sud, 2001.
Umuraza, Chantal, Une jeunesse rwandaise, Paris, Karthala, 2008.
Uwambaje, Béatrice, Le Silence des collines, Paris, L’Harmattan, 2019.
Waberi, Abdourahman , Moisson de crânes. Textes pour le Rwanda, Paris, Le Serpent à plumes, 2000.

Essais
Ancel, Guillaume  Rwanda, la fin du silence : Témoignage d'un officier français, préface de Stéphane Audoin-Rouzeau, Paris, Les Belles Lettres, 2018.
Association Tubeho Family, Rwanda 1994 Paroles de rescapés : Témoignages du génocide perpétré contre les Tutsi, Paris, L’Harmattan, 2020.
Audoin-Rouzeau Stéphane, Une initiation. Rwanda (1994-2016), Paris, Seuil, 2017.
Barril, Paul, Paroles d'honneur - La vérité sur les génocides au Rwanda, Paris, Éd. Télémaque. 
Bideri, Diogène, Rwanda 1994. La couleur d’un génocide, Paris, L’Harmattan, 2019.
Boudet, Jean-François et Paul Lens, Justice française et génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2021.
Braeckman, Colette, Rwanda : Mille collines, mille douleurs, Bruxelles, Éd. Nevicata, 2014. 
Brewaeys, Philippe et Louis Michel, Rwanda 1994 : Noirs et Blancs menteurs, Bruxelles, Éd. Racine et Lannoo, 2013.
Chrétien, Jean-Pierre et Marcel Kabanda, Rwanda racisme et génocide. L’idéologie hamitique, Paris, Belin, 2016.
Chrétien, Jean-Pierre, L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, coll. « Historique », 2000.
Coquio, Catherine et Claude Lefort, Rwanda : Le réel et les récits, Paris, Belin, 2004.
Degune, Hervé, Un idéologue dans le génocide rwandais, Paris, Mille et Une Nuits, 2010.
Doridant, Raphaël et François Graner, L' État français et le génocide des Tutsis au Rwanda, Marseille, Éd. Agone, 2020
Dumas, Hélène, Le Génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Seuil, 2014.
Kimonyo, Jean-Paul, Rwanda : Un génocide populaire, Paris, Karthala, 2008.
Lugan, Bernard, Rwanda : un génocide en questions, Monaco, Éd. du Rocher, 2014.
Mihigo, Kizito, Rwanda. Embrasser la réconciliation : pour vivre en paix et mourir heureux, Independently published, 2020.
Nahimana Ferdinand, Le Rwanda: Emergence d'un État, Paris, L’Harmattan, 1993.
Onana, Charles, Rwanda, la vérité sur l'opération Turquoise: Quand les archives parlent, Paris, Éd. L’Artilleur, 2019.
Piton, Florent, Le génocide des Tutsi du Rwanda, Paris, La Découverte 2018.
Poincaré, Nicolas et Gabriel Maindron, Rwanda : Gabriel Maindron, un prêtre dans la tragédie, Paris, Éd. de l’Atelier, 1995.
Poreau, Brice, Rwanda : une ère nouvelle, Paris, L’Harmattan, 2020.
Prunier, Gérard, Rwanda : le génocide, Paris, Éd. Dagarno, 1998.
Rever, Judi et Cédric Julien, Rwanda. L'éloge du sang - Les crimes du Front patriotique rwandais, 
Schene, Benjamin, Le piège ethnique, préface de Noël Mamère, Paris, Éd. Dagarno, 1999.
Sebunuma, Déogratias, Rwanda : Crimes d'honneur et influences régionales, Éd. Umusozo  (numérique) 2016.
Soumare, Zacharia, Le génocide rwandais dans la littérature africaine francophone, Paris, L’Harmattan, 2013.