
Poésie européenne et apatridie (1900-2016)
Journée d’études
Laboratoire de Recherche « Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française », CNRS, Nancy
4 mai 2017
(English below)
« La parole poétique est, dans son essence même, un risque, celui de l’apatridité. Habiter la parole – il s’agit d’une limite inatteignable -, c’est avoir quitté l’espace et le temps usuels pour un chemin qui ne mène nulle part. » (Jacques Sojcher, La Démarche poétique).
Alors que le thème de l’exil a fait l’objet d’une attention soutenue dans les études littéraires, celui de l’apatridie reste encore largement inexploré. Si l’on considère l’exilé comme celui qui quitte un lieu donné avant d’arriver dans un autre, la lisibilité de cette transition est remise en cause dès lors que les territoires ne peuvent plus être conçus comme des espaces limités et confinés. En effet, dans la mesure où « apatride » désigne une position de sujet qui n’est plus identique à celle du citoyen, il est en outre possible d’être « apatride » à l’intérieur de l’État, « contenu au sein de la polis comme son extérieur intériorisé » (Judith Butler), faisant ainsi l’expérience d’une moindre capacité à prendre part à un monde et un langage communs (Hannah Arendt). Tout en reprenant certains aspects de la condition de l’exilé (à travers les topoï de la dépossession, du déplacement et de la non-appartenance), l’apatridie, qu’elle soit choisie ou forcée, soulève ainsi nombre de problématiques supplémentaires relevant de l’espace, de l’identité civile et de l’accession à la parole entre autres.
Lors de cette journée d’études on s’interrogera sur l’apatridie comme paradigme susceptible d’éclairer l’évolution des conceptions poétiques en Europe depuis 1900, la poésie étant « ce genre qui se pense et se laisse penser par un état d’exception au sein du langage » (Michael G. Kelly). L’exceptionnalité qui caractérise le poétique peut selon certaines définitions être appréhendée à travers l’atténuation qu’elle opère des catégories de l’identité individuelle, du lieu et de la présence. Or, si une partie du risque du poème consiste dans le fait qu’il précarise la parole, la poésie est néanmoins susceptible de trouver dans sa vulnérabilité et son caractère provisoire une position génératrice de nouvelles possibilités d’énonciation et apte à interroger des conceptions centralisées du sens et de l’autorité.
Présentant un paradigme susceptible d’éclairer l’œuvre de poètes dont les trajectoires sont marquées par les questions de migration et de plurilinguisme (Guillaume Apollinaire, Paul Celan, Yvan Goll, Gherasim Luca, Tristan Tzara), l’apatridie permet de faire valoir la différence qui est le propre de la poésie, sollicitant ainsi plusieurs champs de réflexion possibles. En quoi « l’apatridie » pourrait-elle présenter un modèle apte à élaborer une théorisation du poétique, à rendre compte du système figuratif ou métaphorique du poème, ou à éclairer la posture de reprise ou de rejet de modes versificatoires classiques ? En quoi l’énoncé poétique permet-il de retracer voire de détourner le déplacement cognitif ou spatial qui conduit à l’état d’apatridie ? Les études pourront faire une place particulière aux problématiques linguistiques à divers niveaux : sémantique (présence plus ou moins assumée de lexiques renvoyant à l’exil, la perte, l’espace ou la dépossession identitaire) ; morphologique et syntaxique (en particulier, s’agissant du passage du poète d’une langue à l’autre et de la façon dont la langue hôte absorbe, remodèle ou gomme les traces de la langue d’origine) ; et/ou stylistique.
Les communications peuvent aborder les sujets suivants sans toutefois s'y limiter :
— Spatialité et lieu : exil et non-appartenance
— Poètes apatrides
— Étrangeté linguistique, traduction, plurilinguisme
— Poésie et polis
— Caractère provisoire de l’énoncé poétique
— La poésie dans les littératures sans état
— Modèles poétiques/institutionnels/culturels
Nous invitons les chercheurs à soumettre des propositions de communication d’une durée de 20 minutes sur des auteurs de n’importe quelle langue européenne. Les propositions sont à adresser par courriel, en anglais ou en français, avant le 18 novembre 2016 aux deux adresses suivantes : veronique.montemont@univ-lorraine.fr et Greg.Kerr@glasgow.ac.uk
Organisateurs: Greg Kerr et Véronique Montémont, ATILF, Centre National de la Recherche Scientifique et Université de Lorraine, Nancy.
Bibliographie :
Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism (New York: Harcourt, Brace and Company, 1951)
Judith Butler & Chakravorty Spivak, Who Sings the Nation-State? Language, Politics, Belonging (Oxford: Seagull, 2007)
Michael G. Kelly, ‘Pureté de l’impur. Robert Desnos et Le Grand Jeu’, Robert Desnos: Surrealism in the Twenty-First Century, ed. By Marie-Claire Barnet, Eric Robertson and Nigel Saint (Oxford: Peter Lang, 2006), 43-56
Jacques Sojcher, La Démarche poétique (Paris: Union générale d’Éditions, 1976)
European Poetry and Statelessness (1900-2016)
Workshop
‘Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française’ Research Laboratory, CNRS, Nancy
4 May 2017
While the theme of exile has enjoyed extensive attention in literary studies, that of statelessness is to date largely unexplored. If we consider the exile as one who has left a given place and subsequently arrives at another, the legibility of that transition becomes questionable once the bounded intactness of territories can no longer be assumed. Indeed, insofar as ‘stateless’ designates a subject position which is no longer identical with that of the citizen, it is additionally possible to be stateless within the state, ‘contained within the polis as its interiorized outside’ (Judith Butler), thereby experiencing a diminished kind of participation in a language and a world held in common (Hannah Arendt). Sharing aspects of the condition of exile (through the topoï of dispossession, displacement and non-belonging), statelessness, whether elective or forced, thus elicits an additional set of problematics concerning space, civil identity, and the accession to speech among others.
This workshop will explore the extent to which the paradigm of statelessness can be seen to illuminate evolving conceptions of poetry, ‘ce genre qui se pense et se laisse penser par un état d’exception au sein du langage’ (Michael G Kelly), in Europe since 1900. The exceptionality characterising the poetic may in some understandings be grasped through its attenuation of categories of personhood, place and presence. Yet if part of the risk of the poem is its placing of speech in extremis, poetry nonetheless also bears the potential to turn its position of vulnerability and/or provisionality into one which generates new possibilities of enunciation and interrogates centralised conceptions of meaning and authority. Offering a paradigm by which to consider the work of poets (among them Guillaume Apollinaire, Paul Celan, Yvan Goll, Gherasim Luca or Tristan Tzara) whose trajectories are marked by issues such as migration and multilinguality, statelessness more broadly speaks to poetry’s difference, prompting a range of possible areas of reflection. In what sense might ‘statelessness’ offer a model to theorise the status of the poetic, to account for the figurative or metaphorical framework of individual poems, or to elucidate the adoption or rejection of established poetic forms? How might the poetic utterance figure - and deflect – the cognitive or spatial displacement which produces the condition of statelessness? Contributors may wish to accord special consideration to linguistic issues: at a semantic level (through the presence to a greater or lesser degree of lexicons related to exile, loss, space or the dispossession of identity); at that of morphology or syntax (particularly concerning the movement of poets between languages and the ways in which the host language absorbs, restructures ou erases traces of the native language); and/or at that of stylistics.
Potential themes may include:
— Spatiality and place: exile and non-belonging
— Stateless poets
— Linguistic estrangement, translation, multi-linguality
— Poetry and the polis
— Provisionality and the poetic utterance
— Poetry within stateless literatures
— Poetic/cultural/institutional models
Contributions in English or French of 20 minutes on any European language are invited for this workshop. Proposals should be sent by email before November 18th 2016 to the following addresses: veronique.montemont@univ-lorraine.fr and Greg.Kerr@glasgow.ac.uk
Organisers: Greg Kerr and Véronique Montémont, Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française research laboratory, Centre National de la Recherche Scientifique, Nancy.
Bibliography :
Hannah Arendt, The Origins of Totalitarianism (New York: Harcourt, Brace and Company, 1951)
Judith Butler & Chakravorty Spivak, Who Sings the Nation-State? Language, Politics, Belonging (Oxford: Seagull, 2007)
Michael G. Kelly, ‘Pureté de l’impur. Robert Desnos et Le Grand Jeu’, Robert Desnos: Surrealism in the Twenty-First Century, ed. By Marie-Claire Barnet, Eric Robertson and Nigel Saint (Oxford: Peter Lang, 2006), 43-56
Jacques Sojcher, La Démarche poétique (Paris: Union générale d’Éditions, 1976)