Séminaire organisé par le Centre d’études japonaises (CEJ) de l’Inalco (LanguesO’)
L’Empire des signes, paru en 1970, aura bientôt 50 ans. Les nombreuses études sur Roland Barthes considèrent souvent cet ouvrage comme un de ses chefs d’œuvre, un tournant décisif dans son itinéraire.
Pourtant la manière dont ce livre compromet dans sa fantaisie un pays réel ne semble guère intéresser les commentateurs, qu’ils prennent au pied de la lettre la rhétorique auto-justificatrice de son auteur (ce « Japon » est fictif), ou qu’ils considèrent que Barthes a touché juste dans sa compréhension d’un pays mystérieux. Telle est d’ailleurs l’approche principale, extrêmement favorable, de L’Empire des signes en France : une brillante introduction à la culture japonaise, un guide indispensable pour tous les voyageurs.
Cette réception acritique est d’autant plus surprenante qu’elle contraste vivement avec les analyses bien moins enthousiastes produites au Japon comme dans le monde anglo-saxon, qui ne semblent guère retenir l’attention hexagonale.
N’est-il pas paradoxal pourtant que L’Empire des signes, à la recherche d’un fascinant paradis de l’écriture, cherche à échapper à notre triste sémiocratie occidentale de manière caricaturalement binaire, opposant sans cesse un « chez nous », plein, agressif, qui donne la nausée, à un « là-bas », vide, érotique, immensément désirable ? Pourquoi le Barthes des Mythologies, critique à l’égard des regards colonialistes, le Barthes épris d’éthique, flatte-t-il ici sans réticence certains stéréotypes éculés sur l’empire du soleil levant ?
Ce séminaire, organisé par une équipe de spécialistes du Japon, a pour vocation d’ouvrir le dialogue avec les spécialistes d’autres disciplines, à commencer par ceux de l’exotisme et des études barthésiennes. Il se propose de privilégier trois axes : historique, critique et constructif.
L’Empire des signes est le livre d’une époque, celle des années 1960, d’un état particulier de la France, du Japon, des relations internationales, alors que le monde, à peine sorti de l’après-guerre, finit de se décoloniser. Au cœur de la fièvre intellectuelle française de l’époque, il hérite du japonisme d’avant-guerre, malgré les apparences qu’il se donne, et catalyse des inflexions nouvelles, souvent venues d’Allemagne ou du monde anglo-saxon.
L’Empire des signes ne prétend « en rien représenter ou analyser la moindre réalité », mais « prélever quelque part dans le monde un certain nombre de traits ». Que penser de ces fragments ainsi saisis ? De leur fiabilité ? De leur consistance ? De la manière de les présenter ? Comment Barthes y a-t-il eu accès ? Et quelles sont ces images auxquelles le livre donne un rôle si important ?
Ne peut-on enfin revisiter les « traits » ici retenus, pour leur redonner d’autres dimensions, moins univoques, qu’il s’agisse de la langue, du théâtre, du haiku, du Zen, de l’espace, de la cuisine, de la violence, des corps ? Ne peut-on espérer produire ainsi des éléments de nippologie, des fragments d’un discours japonologique, enfin sensibles aux conflits d’interprétations qui se jouent aussi là-bas ? Autrement dit quitter l’empire des signes pour réinsérer ce pays bien réel dans des chaînes de sens ?
L’enjeu est simple, et considérable. Il s’agit de sortir du néo-japonisme lénifiant qui grève le rapport de la France au Japon et, au delà, à l’ensemble des altérités du monde.
Les séances sont généralement organisées le mardi matin à 10h au CEJ, Inalco, 2 rue de Lille, 75007 Paris. La participation est libre.
Calendrier :
Séance 1 : 6 octobre 2015
Séance 2 : 10 novembre 2015
Séance 3 : 12 janvier 2016
Séance 4 : 8 mars 2016
Séance 5 : 10 mai 2016
Contact : elozerand@free.fr