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"Regarde de tous tes yeux, regarde!". L'art contemporain de Georges Perec

Publié le par Marc Escola

Regarde de tous tes yeux, regarde - L'art contemporain de Perec

du 27 juin 2008 Au 12 octobre 2008

Musée des Beaux-Arts à Nantes.

A l'occasion du trentième anniversaire de la publication du roman de Georges Perec, La Vie Mode d'emploi,Jean-Pierre Salgas propose une lecture perecquienne de l'artcontemporain de ces quarante dernières années. Cette exposition réunitdes oeuvres issues de collections publiques et privées et de celles duMusée.

Beaucoup de jeunes artistes se réclament aujourd'hui deGeorges Perec alors que l'écrivain, malgré quelques collaborations avecdes artistes et en dépit d'une complexe passion pour la description desimages, ne fut pas particulièrement intéressé par l'art contemporain.

Depuis Les Choses (1965) jusqu'au Cabinet d'amateur(1979) il avait coutume de dire qu'il n'avait cessé de travailler dansquatre directions qui s'entrecroisent : sociologique, ludique,autobiographique et romanesque.
Avec le recul, il apparaît que lesquatre grandes catégories énoncées par l'écrivain traversent égalementla création plastique contemporaine depuis 1960. C'est donc tout l'artcontemporain qui pourrait être repensé et reclassé selon les champs deGeorges Perec.

L'exposition s'articule autour de ces quatre grandes catégories,alternatives aux habituels classements selon les médiums, lesgénérations, les nationalités, les genres ou la chronologie voire lanotoriété. Sous la forme d'un puzzle se déployant dans tout le patio,l'exposition est construite autour de La Boite en valise deMarcel Duchamp lequel avait été nommé membre de droit de l'OuLiPo en1962, par Raymond Queneau, désignant ainsi celui dont la démarche est àl'origine de l'art contemporain.

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Voir le site nantes.fr.

Consulter la liste des artistes exposés.

Lire l'article d'Henri Rouillé sur paris-art.com.

Lire sur remue.net un autre article : "Une petite exposition monumentale", assorti d'une bibliographie.

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Communiqué du commissaire scientifique de l'exposition (Jean-Pierre Salgas):


LeMusée des Beaux - Arts saisit l'occasion du trentième anniversaire dela publication du roman de Georges Perec, La Vie mode d'emploi, pourproposer «Regarde de tous tes yeux, regarde» soit une lectureperecquienne de l'art contemporain de ces quarante dernières années.Cette exposition réunit des oeuvres, de quelque soixante dix artistes,issues de collections publiques et privées et de celles du Musée.

A la suite de Raymond Queneau et de ses Exercices de style de 1947,puis de la fondation de l'Ouvroir de littérature potentielle en 1960,Georges Perec fut sûrement l'écrivain qui face à une littérature«moderne», le Nouveau Roman, a le plus fait de la littérature un «artcontemporain». Beaucoup de jeunes artistes se réclament aujourd'hui deGeorges Perec (1936-1982) alors que l'écrivain, malgré quelquescollaborations avec des «peintres» et en dépit d'une complexe passionpour la description des images, ne fut pas particulièrement intéressépar ce que nous appelons «l'art contemporain» (depuis 1960 ) dont ilfut pourtant banalement contemporain. «Regarde de tous tes yeux,regarde» a d'abord pour objectif d'éclairer ce paradoxe.

Aprèsle succès de La Vie mode d'emploi (1978), Perec avait coutume de direqu'il n'avait cessé de travailler dans quatre directions quis'entrecroisent : sociologique, ludique, autobiographique etromanesque. Depuis Les Choses (1965) jusqu'au Cabinet d'amateur (1979)il explorera ses voies. « La première de cesinterrogations peut être qualifiée de « sociologique » : commentregarder le quotidien ; [...] La seconde est d'ordre autobiographique[...] La troisième, ludique, renvoie à mon goût pour les contraintes,les prouesses, les « gammes », à tous les travaux dont les recherchesde l'OuLiPo [...] La quatrième concerne le romanesque, le goût des histoires et des péripéties » Georges Perec. Notes sur ce que je cherche.
Le Figaro, 8 décembre 1978.

Avec le recul, il apparaît que les quatre grandes catégories énoncéespar l'écrivain traversent également la création plastique contemporainedepuis 1960. C'est donc tout l'art contemporain qui pourrait êtrerepensé et reclassé selon les champs de Georges Perec. «Regarde de toustes yeux, regarde» organise son propos à partir de ces quatre champs etpropose de « montrer «l'art contemporain » contemporain de Perec lecontemporain ».

L'exposition s'articule autour de ces quatregrandes catégories, alternatives aux habituels classements selon lesmédiums, les générations, les nationalités, les genres ou lachronologie voire la notoriété. Elle montre que la plupart des grandsartistes de notre époque arpentent les mêmes champs d'investigation quePerec. François Morellet voisine avec Claude Closky, Daniel Firman avecJohn Armleder, Jean-Louis Garnell et Bertrand Lavier; ChristianBoltanski avec On Kawara et Hans-Peter Feldmann...ou Philippe Cazal etGérard Gasiorowski avec Edouard Levé, pour n'en citer que quelques uns....

L'exposition est construite autour de La Boite en valisede Marcel Duchamp lequel avait été nommé membre de droit de l'OuLiPo en1962, par Raymond Queneau, désignant ainsi celui dont la démarche est àl'origine de l'art contemporain. En contrepoint de cette exposition, lemusée a demandé à l'artiste Ernest T de réunir dans la salle blanche un«cabinet d'amateur», librement inspiré de l'ouvrage éponyme de Perec etcomposé à partir des collections de peinture ancienne du Musée desBeaux-Arts.

L'exposition sera présentée au Musée des Beaux-Artsde Dole du 21 novembre 2008 au 21 février 2009. Le catalogue del'exposition est édité chez Joseph K.( textes de Marcel Benabou ,Jean-Luc Joly , Bernard Magné , Christelle Reggiani , André Rouillé ,Jean-Pierre Salgas )

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Un article était consacré dans Libération à cette exposition:

"Perec de préférence

Arts. Vingt-six ans après sadisparition, l'auteur de «la Vie mode d'emploi» continue d'inspirer lacréation contemporaine. Démonstration magistrale au musée desbeaux-arts de Nantes.

Envoyé spécial à Nantes Henri-François Debailleux

QUOTIDIEN : lundi 18 août 2008

Regarde de tous tes yeux, regarde ! Musée des beaux-arts deNantes, 10 rue Georges-Clemenceau (44). Jusqu'au 12 octobre. Rens.: 02 51 17 45 00. Catalogue 128 pp., 20 €. L'exposition sera ensuiteprésentée au musée des beaux-arts de Dole (39) de novembre à févrierprochain.


«Regarde de tous tes yeux, regarde !», l'intituléde l'exposition, sous-titrée «L'art contemporain de Perec», estmagnifique. Il correspond à la phrase d'envoi de la Vie mode d'emploi, un livre dont on fête cette année le 30e anniversaire.

Fantôme. Perec lui-même l'avait empruntée à Jules Verne (auteurnantais) qui en avait fait le titre du chapitre V de la deuxième partiede Michel Strogoff. Un chapitre où le héros est faitprisonnier. Son bourreau, qui s'apprête à lui brûler les yeux avec unsabre chauffé à blanc, lui dit de regarder sa mère qu'il va donc voirpour la dernière fois. Mais les larmes qui lui montent alors aux yeuxvont le protéger de la chaleur du sabre et, partant, de l'aveuglement.Bref, une histoire d'oeil. Et de mère aussi, ce qui prend encore plusson sens lorsqu'on sait que Perec avait perdu la sienne, victime de laShoah.

Ce n'est pas la première fois que le musée des beaux-arts de Nantesorganise une exposition à partir d'un écrivain. On se souvientnotamment de celle, passionnante, qui, en 2005, était consacrée àMallarmé. Mais la singularité de l'actuelle manifestation, c'estqu'elle ne se promène pas «autour» de Perec (1936-1982) comme ontournerait autour d'un pot, mais qu'en quelque sorte, elle le traverse,habitée par l'esprit (le fantôme ?) d'un écrivain souvent cité enréférence par bon nombre d'artistes actuels. Selon les termes deJean-Pierre Salgas (le commissaire avec Blandine Chavanne, ladirectrice du musée, et Alice Fleury), «Perec fut sûrementl'écrivain qui, face à une littérature "moderne", le Nouveau Roman, ale plus fait de la littérature un art contemporain.» Autrement dit : qu'est ce qui fait, par le filtre de sa posture, qu'une oeuvre relève ou pas de l'art contemporain ?

L'exposition prend comme point de départ et de paternité, au centre du patio, la Boîte-en-valisede Marcel Duchamp. C'est peu connu, mais ce dernier avait été nommé,en 1962, membre de droit de l'OuLiPo (Ouvroir de LittératurePotentielle) par Raymond Queneau avec lequel il était ami.

Points cardinaux. Après cette belle ouverture, le parcours s'articule à partir des quatre chantiers de réflexion évoqués par Perec dans Notes sur ce que je cherche : «Lapremière de ces interrogations peut être qualifiée de "sociologique":comment regarder le quotidien […] La seconde est d'ordreautobiographique […] La troisième, ludique, renvoie à mon goût pour lescontraintes, les prouesses, les "gammes", à tous les travaux, dont lesrecherches de l'OuLiPo […] La quatrième concerne le romanesque, le goûtdes histoires et des péripéties». Le quotidien, l'autobiographie,le ludique et le romanesque : quatre mots inscrits au sol et qui, telsdes points cardinaux, se partagent équitablement tout l'espace.

On découvre ainsi dans le premier cité, un très beau tableau de Martial Raysse, la Belle mauve,photo noir et blanc d'un visage de femme. L'artiste a rehaussé de mauveune paupière et collé sur l'autre oeil un plumeau rose. L'oeuvre voisineavec la Multiprise, en fonction, de Mathieu Mercier, l'installation historique Horn (1981) de Tony Cragg, un collage et une huile d'Erró, etc.

Figure de style. C'est évidemment dans le secteur «ludique» que sont présentés les deux tableaux, en diptyque, Cavalièrement de François Morellet, reproduction de configurations du jeu d'échecs, ainsi que NANTESETNANTESETNANTES…,un palindrome en lettres directement collées sur la cimaise dont ellesfont le tour - puisque la figure de style ne marche ici que si ellefonctionne en boucle, sans s'arrêter. Cette oeuvre de Morellet (dont lenom est évoqué dans la Vie mode d'emploi) est l'une des rares àavoir été spécialement réalisée pour l'occasion, toutes les autres -une centaine de quelque soixante-dix artistes - provenant decollections privées et surtout publiques, notamment du musée de Nantes.On retrouve donc là à la fois des oeuvres connues, comme celle de SolLeWitt, d'autres qu'on voit peu, comme un étonnant Anniversaire de Claude Lévêque ou Mondal…,une toile de Gérard Gasiorowski, et d'autres encore qui n'ont été quetrès rarement montrées, comme la très belle installation Tout projet commence par une histoirede Richard Baquié. On est de même invité à regarder chaque oeuvre à lafois pour elle-même et en même temps dans son rapport avec ses voisineset avec la contemporanéité.

La grande force de l'exposition est d'ailleurs là, dans lapertinence du choix d'oeuvres très variées d'artistes qui ne sonthabituellement pas présentés les uns à côté des autres, ce qui crée, ducoup, des rapprochements inédits et métamorphose l'ensemble del'exposition en un formidable jeu de passages, de coq-à-l'âne, detélescopages et de rebondissements qui créent des dialogues surprenantsque Perec lui-même aurait sans doute goûtés. «Regarde de tous tes yeux,regarde !» est une très belle définition d'une exposition moded'emploi."