Revue algérienne des lettres RAL : Appel à contributions pour le Volume 10, n° 1, 2026 - Résonances psychanalytiques dans la création littéraire francophone
Revue algérienne des lettres RAL
Appel à contributions pour le Volume 10, n° 1 I 2026
Résonances psychanalytiques dans la création littéraire francophone
Numéro thématique coordonné par Sabrina Fatmi
Depuis les travaux de Sigmund Freud, la psychanalyse entretient avec la littérature une relation féconde et complexe. Entre fascination et méfiance, cette rencontre n’a cessé d’être l’objet de divers questionnements.
Historiquement, en mobilisant à la fois les savoirs scientifique et littéraire pour élaborer la théorisation de la psyché humaine, Freud a posé les bases d’un dialogue entre les deux disciplines. Son approche se concentrait essentiellement sur l’engagement inconscient de l’écrivain dans sa propre création littéraire, ainsi que sur la manière dont cela se répercutait sur le lecteur. Dans cette perspective, il interrogea la fonction du fantasme créateur pour comprendre les mécanismes psychiques dans la création littéraire sans laisser supposer l’existence d’un inconscient dans le texte lui-même, envisagé dans sa dimension esthétique.
Cette approche, centrée sur l’auteur et le lecteur, est rapidement mise en veilleuse par les chercheurs post-freudiens qui viennent enrichir ce champ d’investigation. La psychobiographie avec des travaux comme Edgar Poe, étude psychanalytique de Marie Bonaparte (1933) et la psychocritique de Charles Mauron (1963) déplacent l’attention freudienne en interrogeant les traces de l’inconscient de l’auteur à même le texte, ce qui marque le passage à une psychanalyse du texte. Jacques Lacan, quant à lui, inaugure dans les années 1950 la lecture-commentaire psychanalytique de Poe où il précise que l’inconscient n’est plus celui de l’auteur mais celui du langage lui-même. L'Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari (1972), dans le sillage des réflexions d’André Green et de Bernard Pingaud, vient repenser la notion d’«inconscient du texte » et ouvre la voie à une lecture du texte en tant que champ de production du désir, et non comme espace de refoulement. Enfin, la textanalyse de Jean Bellemin-Noël et Paul-Laurent Assoun achève la formalisation et la consolidation de cette étude consacrée aux traces du désir et de l’inconscient dans le texte indépendamment des intentions de l’auteur.
Ces recherches montrent que la littérature est bien plus qu’un simple objet esthétique ou divertissant. Elle constitue un véritable laboratoire de l’inconscient où se rejouent les processus psychiques les plus fondamentaux. Des mécanismes tels que la mémoire traumatique, les fantasmes ou les désirs refoulés se reflètent souvent dans la narration, le rythme et les métaphores utilisées, et confèrent à l’œuvre une profondeur que seule une lecture attentive et psychanalytique peut révéler.
Loin d’être purement théoriques, ces dynamiques psychiques trouvent une résonance concrète dans de nombreuses œuvres contemporaines. Ainsi, L’Amant de Marguerite Duras explore le labyrinthe des désirs enfouis et les jouissances interdites, tandis que Chanson douce de Leila Slimani met en scène la frustration latente entre l’amour maternel et la pulsion de mort. De son côté, L’Inceste, de Christine Angot, fait apparaitre la mémoire traumatique et la parole comme tentative de délivrance et de construction du moi. Annie Ernaux, quant à elle, explore dans La honte les zones les plus intimes du traumatisme, celles qui altèrent sa relation à la mémoire et au monde.
La littérature africaine n’est pas en reste puisque des récits comme Une si longue lettre de Mariama Bâ ou La saison de l’ombre d’Aminata Sow Fall montrent comment les pressions sociales façonnent les mécanismes de défense et influencent la construction psychique des personnages. Dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma, l’enfance traumatisée par la guerre met en lumière les pulsions de survie face à l’horreur. Chez Assia Djebar, le « je » dans L’Amour, la fantasia apparait à la fois singulier et pluriel tandis que le « moi » devient un espace de recomposition symbolique engagé dans une tentative de réparation collective. Nedjma de Kateb Yacine, met en scène la blessure identitaire comme un symptôme du tourment existentiel général. Le corps de ma mère de Fawzia Zouari, de son côté, explore les conflits intergénérationnels où le deuil et la transmission se confondent avec une quête de soi marquée par l’ambivalence et le trauma. Samir Toumi dans son roman l’Effacement montre l’effet inconscient de la mémoire traumatique sur l’individu et utilise la perturbation psychique comme symbole d’une fragilité collective. Enfin, Nulle autre voix, de Maïssa Bey, dresse le mutisme comme refuge vital face à l’acte extrême.
Ainsi, des voix multiples et variées témoignent de la manière dont la littérature contemporaine fait entendre l’écho persistant de l’inconscient et offre un espace d’expression des blessures intimes et collectives où le langage se fait travail de symbolisation du trauma.
Ce constat invite à repenser les modalités par lesquelles la littérature met en scène les fractures intérieures de l’humain, réactualise ses traumas, et réinvente ses fantasmes et ses refoulements. Les outils de compréhension fournis par la psychanalyse, tel que la question du double, les fantasmes originaires, le délire, le rêve, «l’inquiétante étrangeté », l’«éphémérité», la mélancolie lucide, le désir, ou encore la problématique du tabou et la question du deuil et de la mort, constituent encore des repères de haute importance dans la recherche d’aujourd’hui.
Il apparaît alors essentiel de réinterroger la pertinence du regard psychanalytique appliqué à la littérature, tant les problématiques issues de leur rencontre restent foisonnantes et porteuses de sens :
- La psychanalyse peut-elle encore servir de modèle herméneutique face aux approches contemporaines comme la sociocritique, les études postcoloniales, la question de la déconstruction ou encore les études culturelles qui s’attachent à analyser les processus de mémoire collective et les (re)constructions identitaires ?
- L’inconscient freudien est-il encore pertinent pour lire le texte à l’ère de l’autofiction et de la fragmentation du moi ? Se loge-t-il dans la biographie de l’auteur, dans le tissu textuel, ou dans le regard du lecteur ?
- Comment la psychanalyse permet-elle d’éclairer les formes d’écriture du je, du double, du délire ou encore de la sublimation du moi littéraire ?
- Dans quelle mesure l’écriture peut-elle être envisagée comme une mise en scène du refoulement, du désir, du manque ou de la résilience ?
- L’écriture littéraire peut-elle être pensée comme une catharsis moderne, une échappatoire thérapeutique ou un lieu de dépassement d’une mémoire traumatique ?
En somme, qu’apporte aujourd’hui la psychanalyse à la lecture littéraire et inversement, que révèle la littérature des zones d’ombre de la théorie psychanalytique ?
Ces questionnements et d’autres, seront au cœur de ce numéro spécial que propose la Revue algérienne des lettres RAL et qui a pour vocation d’appréhender comment la Psychanalyse, étude des processus psychiques dits inconscients, entre en résonnance avec la réalité littéraire contemporaine. L’objectif serait de mobiliser les différents concepts psychanalytiques afin d’en mesurer la pertinence dans l’analyse littéraire actuelle tout en respectant l’intégrité de l’œuvre et la singularité de l’écriture. On pourrait, à titre indicatif, envisager les orientations de recherche suivantes :
- Création et motifs/fantasmes inconscients
- Ecriture égocentrée ou le narcissisme à l’œuvre
- Le Moi et son double, sujets d’écriture
- Fonction cathartique en littérature
- Écriture et échappatoire thérapeutique
- Roman familial et figures parentales/ héritages œdipiens
- Délire, névrose, psychose comme fonctionnement d’écriture
- Refoulement et inquiétante étrangeté
- Écriture de la perversion et perversion de l’écriture
Bibliographie indicative
APFELBAUM. L. 2006. « L’alliance de la littérature et de la psychanalyse » dans Libres cahiers pour la psychanalyse. N°13. In Press. Paris. P. 127-135.
ASSOUN P-L. 2014. Littérature et Psychanalyse. Ellips-Edition. Paris.
ASSOUN P-L. 2022. Le désir. L’objet qui nous fait vivre. Éditions In Press. Paris.
ASSOUN P-L. 2014. Lacan. Presses Universitaires de France. Que sais-je ? n°3660. Paris.
BELLEMIN -NOËL J. 1978. Psychanalyse et littérature. PUF. Paris.
BELLEMIN -NOËL J. 1979. Vers l’inconscient du texte, PUF. Paris.
BELLEMIN -NOËL J. 1983. Gradiva au pied de la lettre. PUF. Paris.
BONAPARTE M. 1933. Edgar Poe, une étude psychanalytique, Denoël et Steele. Paris.
CLANCIER A. 1973. Psychanalyse et critique littéraire, Privat. Toulouse.
DERRIDA. J. 2025. Psychanalyse et critique littéraire (1969-1970). Éditions du Seuil. Paris.
FREUD S. 1973. La Naissance de la psychanalyse. PUF. Paris.
FREUD S. 1985. Le créateur littéraire et la fantaisie (Der Dichter und das phantasieren), in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Gallimard. Paris.
FREUD S. 1986. Le délire et les rêves dans la « Gradiva » de W. Jensen. Gallimard. Paris.
FREUD S. 1909. Le roman familial des névrosés. PUF. Paris.
FREUD S. 1985. L’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche), in L’inquiétante étrangeté et autres essais. Gallimard. Paris.
GREEN A.1992. La Déliaison. Belles Lettres. Paris.
LAVAGETTO. M. 2002. Freud à l’épreuve de la littérature. Seuil. Paris.
MAURON CH. 1962. Des métaphores obsédantes au mythe personnel : Introduction à la psychocritique. Librairie José Corti. Paris.
MAURON CH. 1948. Mallarmé l’obscur. Gallimard. Paris.
MAURON CH. 1950. Introduction à la psychanalyse de Mallarmé. La baconnière. Genève.
MAURON CH. 1957. L’inconscient dans l’œuvre et la vie de Racine. Slatkine. Genève.
MAURON CH. 1966. Le dernier Baudelaire. José Corti. Paris.
MAURON CH. 1968. Phèdre. José Corti. Paris.
PINGAUD B. 1979. Comme un chemin en automne. Gallimard. Paris.
RANK O. 1932. Don Juan, une étude sur le double. Denoël Steel. Paris.
MESSATI. S. 2019. « La psychanalyse à la lettre : Freud et la littérature » dans Revue El-Bahith des Sciences Humaines et Sociales. Vol. 11, No 2, p. 107-112.
BOUATNIN. A. 2023. « Le psychocritique : le psychanalyste de l’écrivain » dans Multilinguales, Vol. 19. [En ligne], 19 | 2023, mis en ligne le 15 juin 2023, consulté le 01 décembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/multilinguales/10098
Dates importantes
Lancement de l’appel à contributions : 3 décembre 2025
Date limite de réception des articles pour évaluation : 30 mars 2026
Mise en ligne du numéro : fin juin 2026
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Langues de rédaction et de publication : français, anglais, espagnol