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Les saisons au château (Périgueux)

Les saisons au château (Périgueux)

Publié le par Marc Escola (Source : Dominique Picco)

XXXIIIe RENCONTRES D’ARCHÉOLOGIE ET D’HISTOIRE EN PÉRIGORD

 Les saisons au château

25, 26 et 27 septembre 2026, à Périgueux

Pour son 33e colloque annuel, l’association des Rencontres d’archéologie et d’histoire en Périgord a retenu le thème des saisons au château. Il ne s’agit pas ici de refaire un colloque, qui a bientôt vingt ans : Le château au quotidien : les travaux et les jours[1] mais d’aborder les saisonnalités du château sous un autre angle au prisme de recherches historiques récentes et de découvertes archéologiques nouvelles.

Dérivé du verbe serere, « semer » et « planter », la saison est étymologiquement le temps des semailles, mais aussi un laps de temps jugé favorable, opportun pour faire quelque chose, et désigne par métonymie l’aboutissement d’une réalisation. Ce double-sens est bien visible dans la grande variété d’expressions élaborées depuis le XIIe siècle. Les unes (saison fraîche/chaude, saison des pluies, etc.) mettent plutôt l’accent sur les caractéristiques climatiques des saisons et leurs conséquences sur les pratiques agricoles, associées au temps astronomique (révolution terrestre, équinoxes, solstices), d’autres désignent ce qu’il est opportun de faire (de saison, saison des amours) ou pas (hors saison), sans oublier bien sûr le panel des intermédiaires qui se jouent des deux sens, la période favorable de l’année où des visiteurs peuvent affluer en un lieu, définissant, par exemple, la notion de haute – et par défaut, basse – saison touristique. Si la structure de l’année calendaire en quatre saisons (printemps, été, automne, hiver) est valable pour les régions de la zone tempérée, force est de constater qu’elle ne s’applique pas partout et que la variabilité climatique de la saison se distingue, dans son rapport au temps, de la notion de saisonnalité qui désigne le caractère saisonnier et cyclique d’un phénomène social, religieux, politique, économique qui n’est pas nécessairement lié au temps qu’il fait.

Il y a une forme de provocation, assumée, que d’inviter à interroger « Les saisons au château », dans la mesure où la demeure castrale ne tisse que tardivement des liens explicites avec la représentation calendaire des saisons. Les perceptions antiques des saisons, grecques puis romaines, davantage liées au monde méditerranéen, proposent une explication du monde selon les révélations de la religion[2]. Néanmoins, l’architecte romain Vitruve, repris par tous les grands architectes de la Renaissance, d’Alberti à Palladio, accordait dans son célèbre Traité[3], toute son attention non seulement à l’emplacement mais aussi à l’exposition des villas. Celle-ci était rigoureusement choisie en fonction des saisons, à partir de critères fondés entre autres sur le chaud et le froid et sur l’ensoleillement.

Les sujets agricoles associés aux mois font plus nettement leur apparition vers les Ve-VIe siècles de notre ère et ce n’est qu’au cours des IXe-Xe siècles que le monde carolingien rompt plus nettement avec les thèmes religieux antiques, et élabore, sur la base d’une pensée plus descriptive du monde, un modèle – celui de la représentation agricole des mois, davantage axé sur la chaleur que sur la sécheresse ou la lumière, déplaçant le centre de gravité culturel sur une perception plus septentrionale. Pourtant, alors que les saisons nourrissent une bonne part des calendriers antiques insérés dans des ouvrages profanes et religieux, le thème des saisons météorologiques n’est pas celui qui connait le plus grand succès au Moyen Âge. Certes, si les calendriers de Reims, Chartes, Cluny, Notre-Dame de Paris ou celui du psautier de Metz, articulent judicieusement saisons et mois, l’immense majorité des calendriers médiévaux recensés et étudiés par P. Mane pour les XIIe-XIIIe siècles[4] et complétés par G. Comet pour les XIVe-XVe siècles[5], présente d’abord des mois que notre œil restitue ensuite en saisons, marqué qu’il est du paradigme des quatre saisons. Les médiévaux utilisent plus le thème des saisons pour illustrer ou expliquer la dimension mystique de l’existence – les saisons servant à qualifier les quatre âges de la vie chez Hildegarde de Binguen ou Matfre Ermangaud par exemple, ce que l’énumération des saisons climatiques du printemps à l’hiver reprend. 

Quelles que soit leur valence, les saisons intègrent la question du comput calendaire occidental et forgent un calendrier médiéval composite où surnage un pan de sciences héritées de l’Antiquité et transmises par les traductions latines des traités arabes et grecs (présence récurrente de zodiaques) égaré en Chrétienté, les façons agricoles de la vigne et du blé rappelant l’importance liturgique du vin et du pain dans un monde profondément christianisé. Jusqu’au XIIe siècle, le corpus de calendriers et de textes (poèmes, textes astronomiques dont sont exclus ici les nécrologes et martyrologes spécifiquement dédiés au comput liturgique) prend majoritairement place au sein du décor des églises (peinture, inscription) et est observable par un large public de fidèles. Au XIIIe siècle, alors que s’impose le modèle des encyclopédistes (V. de Beauvais, B. l’Anglais) fondé sur la description météorologique et agricole des mois, les calendriers disparaissent des lieux publics religieux pour apparaître dans des édifices civils mais surtout dans les manuscrits. Cette tendance s’accentue aux XIVe-XVe siècles, le calendrier intègre en effet de nombreux livres d’heures, quelques traités agronomiques également, et dialogue ouvertement avec le monde des élites aristocratiques rurales et de plus en plus urbaines. C’est bien dans le manuscrit médiéval enluminé, tel les fameuses Riches heures du duc de Berry, que saisons et château entretiennent un lien désormais explicite. À partir de l’extrême fin du XVe siècle et jusqu’au XIXe siècle, l’impression diffuse à nouveau largement le calendrier dans la sphère privée et populaire, comme l’illustre le Calendrier des Bergers, le plus copié parmi ceux qui figurent dans les almanachs.

Dans le paysage des saisons météorologiques et agricoles, le château apparait plus souvent en arrière-plan alors qu’il est généralement l’emblème du pouvoir de celles et ceux qui commandent et utilisent les plus beaux livres d’heures. Quels sont les messages et la portée symbolique de ces représentations et de ces pratiques sociales ? Comment varie la réception de ces messages selon la diffusion manuscrite ou imprimée des calendriers ? Existe-t-il des saisonnalités propres et différenciées des « habitants » du château ? Quelles sont celles qui sont perceptibles de façon cyclique et annuelle et celles qui agissent dans la longue durée de vie du château ? Du pôle de pouvoir au monument patrimonial, comment évoluent les pratiques saisonnières qui prennent place au sein du château ? 

Les XXXIIIe Rencontres d’archéologie et d’histoire en Périgord proposent d’investir ces sujets en faisant appel à un large panel de sciences sociales (archéologie, littérature, histoire et histoire de l’art, sociologie, etc.) autour des axes suivants :

1-Pouvoir castral et saisons : représentations textuelles, iconographiques et archéologie

Images et textes sont les sources plus anciennement exploitées par les historiennes et historiens. Parmi les images : calendriers[6], almanachs, fresques, peintures, gravures et autres représentations iconographiques plus ou moins allégoriques du cycle des saisons[7], sans oublier bien sûr pour les périodes plus récentes la photographie, le cinéma et la bande dessinée qui inscrivent des châteaux dans leur environnement. Quant aux textes qui permettent de suivre l’occupation du château au gré des saisons et de questionner cette saisonnalité[8], il s’agit de chroniques, d’écrits du for privé (correspondance, livre de raison, etc..), de littérature, d’articles de presse voire d’agendas, sans omettre les inventaires après décès qui décrivent des intérieurs fort différents selon qu'ils sont dressés en hiver ou en été.

Plus récemment, l’apport de l’archéologie est essentiel quant à notre compréhension de l’occupation intermittente et saisonnière du château par le seigneur : ainsi l’exceptionnel site du castrum d’Andone, fouillé par André Debord, offre-t-il de mieux cerner les stratégies politiques ayant amené les comtes d’Angoulême à s’installer à Andone[9].

Ces multiples sources permettent aux spécialistes de toutes les périodes d’entrevoir la place et le rôle du château dans le paysage de la représentation des mois et des saisons que ce soit sous une forme explicite (l’édifice castral) ou implicite (personnages et attributs seigneuriaux).

2-Formes de la « saisonnalité » au château : pratiques et/ou matérialité

            Comment les sources signalent-elles l’existence de « saisons » au château ? S’agit-il de nos quatre saisons ou d’autres formes de temporalité ? Les saisonnalités médiévales, modernes et contemporaines du château s’inscrivent-elles dans les mêmes cycles ? Cela pourrait être étudié à travers plusieurs aspects, sans caractère exhaustif :

            -Saisonnalité de la présence seigneuriale au château et donc de son occupation : quelles sont tout d’abord les raisons d’être d’une saisonnalité qui est loin d’être uniquement climatique ? Au Moyen Âge et au début de l’époque moderne, le seigneur va d’une fortification à une autre pour préparer ou mener des opérations militaires, pour rencontrer des représentants de forces armées[10]. Puis vient le temps des déplacements et des séjours des cours d’une province à l’autre soit, bien souvent, d’un château à l’autre ; celui des seigneurs ubiquistes qui partagent leur temps entre leurs châteaux et d’autres résidences, en ville ou à la cour, en fonction de leurs « activités professionnelles ou de loisirs » comme la chasse ou encore des magistrats « en vacances » pendant l’arrêt des sessions des parlements, sans oublier le développement de pratiques nouvelles (villégiature, saisons culturelles…). Au XIXe siècle les saisons sont décalées par rapport à notre calendrier actuel, les vacances scolaires, et de ce fait les séjours au château, sont plus tardifs ; de surcroît, voyages et séjours dans les villes d'eau viennent s'intercaler au début de l'été, etc...

                  - Formes de l’occupation saisonnière au château : quelles sont les incidences de la présence et de l’absence du seigneur sur l’organisation de la vie au château ? La préparation des séjours des maîtres des lieux est synonyme de nombreux travaux extérieurs et intérieurs. Leur présence se traduit dans la gestion des dépendants (perception des droits, renouvellement des baux...), la conduite des récoltes (vendanges...) et des aménagements pour optimiser leur confort : système de chauffage ou de rafraichissement (glacières, salons de fraîcheur, appartement d’été). Lors de leur séjour les cuisines sont mobilisées au service de la table châtelaine. De nouveaux usages sportifs apparaissent à partir du XIXe siècle : ils entrainent la conversion de bâtiments ou la construction de nouveaux ou encore l’aménagement de terrains adjacents au château. 

            -Lorsque le seigneur est absent, pour quelques mois voire plus en cas d’exil, de disgrâce ou de ruine, quand le châtelain est un vieillard qui y mène une vie totalement monotone, ou encore lorsque le propriétaire de plusieurs châteaux, conservés en vue d’un futur partage successoral, délaisse un château sans jamais y résider au profit d'un autre, plus commode ou plus beau, le château connaît alors une vie sans saison. Au Moyen Âge, seule une faible garnison assure la mainmise sur le territoire jusqu’à la prochaine présence châtelaine. À toutes les époques, une grande partie du château se vide alors de ses meubles et de son personnel, souvent réduit au régisseur, au gardien voire à un "ménage de campagne" de deux ou trois domestiques, dont le rôle, essentiel, maintient et/ou symbolise l'autorité du maître ou de la maîtresse. 

3-Le château : un monument de hautes saisons 

 Sur la longue durée, la saisonnalité de l’occupation des châteaux a largement évolué. Classiquement, au cours du second Moyen Âge et à l’époque moderne, le temps du château s’organisait autour des quatre saisons du calendrier : saison des semailles et du réveil de la terre (printemps), saison des offensives militaires puis des déplacements des cours ou de différentes formes de villégiature (été), saison des récoltes et de la gestion des terres et des personnels (automne), saison de l’endormissement et du départ vers les villes (hiver). L’époque contemporaine, et ce dès le XIXe siècle, invente d’autres saisonnalités, souvent marquées par leurs discontinuités. Les châteaux ayant perdu leurs propriétaires traditionnels connaissent un renouveau à travers leur utilisation par les hygiénistes comme sanatorium ou centre de vacances estival pour petits citadins avides de grand air, plus largement par les mouvements de fond du voyage pittoresque et du tourisme. 

Dans la continuité du mouvement antiquaire et dans le contexte nouveau de la création des institutions de conservation archivistique et monumentale, le XIXe siècle est celui du voyage pittoresque des membres des sociétés savantes. Ces excursions vers les vestiges et les ruines interpellent sur le sens du temps et de l’histoire de cette époque très nostalgique d’un passé mis à bas par la Révolution. Les antiquaires des sociétés dessinent les contours de leurs anciennes provinces qui pèsent plus lourd dans les mémoires que les jeunes départements. Ils élaborent une conscience provinciale sur la base de lieux privilégiés (châteaux mais aussi monastères), sur des thèmes, des images, des objets de curiosité, comme le costume, sans oublier bien sûr la langue ; ils construisent une géographie pittoresque de leur province dont plusieurs aspects sont encore prégnants et utilisés ad nauseam par l’industrie touristique. Dans cette reconstitution de la « province antiquaire » (O. Parsis-Barubé), le château occupe une indéniable position qu’il conviendra d’interroger car, avec d’autres sites et souvent d’autres périodes – même si l’époque romantique entretient un lien privilégié avec le Moyen Âge –, ils forment les points d’ancrage de ces parcours pittoresques que suivent les membres des sociétés et les édiles aristocratiques et économiques.

Cette « belle saison », durant laquelle le château attire des visiteurs savants (excursions archéologiques) concourt au développement du tourisme culturel au cours du XXe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, la forte croissance économique et la société de consommation éloignent la culture populaire des cultures savantes et la conduisent à regarder le paysage comme un espace de valorisation économique porté par des sites de toutes périodes. Alors que la « couleur locale » de l’époque romantique se définissait comme une peinture des mœurs chez les littéraires, alors qu’Augustin Thierry dans ses Lettres sur l’histoire de France l’associait à l’effet de vie dans la restitution des mœurs du passé, le Moyen Âge devient une couleur locale caricaturée ou réifiée dans de nombreuses publications de commande, financées généralement par les Conseils généraux devenus départementaux et les Chambres de commerce. Le château se trouve largement réifié par ces entreprises marchandes, on le débarrasse de sa véritable histoire pour le peindre d’anecdotes et l’adapter progressivement aux impératifs d’un discours plus utilitaire et touristique. Les guides délimitent l’espace à parcourir par les monuments phares et les paysages typiques de la province, en survalorisant tel ou tel type de monument – dont le château. Le discours historique sur le château est ainsi marginalisé car il ne nourrit directement aucun objectif économique. 

À l’inverse, le mouvement médiévaliste, qui multiplie les références au Moyen Âge dans le monde contemporain, dans le discours comme dans les manifestations sociales, politiques et culturelles, récrée ou imite la période en s’appuyant très largement sur l’image du château. Ce dernier sert de toile de fond à de nombreux romans, jeux vidéo, séries TV ou productions cinématographiques qui se déclinent souvent en de multiples saisons. 

Comme chaque année, une excursion sur un site castral aura lieu le samedi.

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Les propositions de communications (environ 1500 signes), accompagnées d’une brève biobibliographie de l’auteur(e) doivent être adressées au plus tard le 30 janvier 2026, par voie électronique, en format Word, à Dominique Picco, secrétaire des Rencontres, dopicco@orange.fr et Juliette Glikman, secrétaire adjointe,  juliette.glikman@orange.fr. Les intervenants retenus seront informés courant du mois de février.

Attention, afin de répondre au calendrier contraint de l’édition papier, la version définitive du texte des interventions sera à remettre pour le 15 octobre 2026, date impérative, pour permettre la sortie de l’ouvrage en septembre 2027.


 
[1] Cocula A.-M. & M. Combet, La château au quotidien : les travaux et les jours, Ausonius-CEMMC, Pessac, 2008.
[2] Arrault A., Guyotjeannin O. et Mane P., études réunies par, Calendriers d'Europe et d'Asie : de l'Antiquité à la diffusion de l'imprimerie, Paris, 2021.
[3] Vitruve, Les dix livres d’architecture de Vitruve, éd. Claude Perrault, Paris, Chez Jean-Baptiste Coignard, 1673, VI, VII, préf. Antoine Picon, Paris, Bibliothèque de l’Image, 1995.
[4] Mane P., Calendriers et techniques agricoles (France-Italie XIIe-XIIIe siècles), Paris, 1983.
[5] Comet G., « Les calendriers médiévaux, une représentation du monde », Journal des savants, 1992, p. 35-98.
[6] Voir le fameux calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry, dont les miniatures montrent presque systématiquement, pour les travaux agricoles de nombreux mois (et le signe du zodiaque qui y est associé), l’un des châteaux possédés par le duc (ou par son frère Charles V). Voir M. Deldicque (dir.), Les Très Riches Heures du duc de Berry, Château de Chantilly/In Fine, 2025 (Catalogue d’Exposition, Château de Chantilly).
[7] En relation avec l’idée de cycles : ceux des saisons comme des travaux des mois, on peut évoquer le Zodiaque, ses signes, ses symboles, très présents dans les décors, notamment peints, des châteaux, palais et villas, du Moyen Âge au XVIIIe siècle.
[8] Voir par exemple, le calife de Cordoue qui réside tantôt dans le palais de Cordoue, tantôt dans le palais de Madinat al-Zahra, à 6 km du vieux palais cordouan : ‘Īsā al-Rāzī, Anales palatinos del califa de Córdoba al-Hakam II por ‘Īsā ibn Ahmad al-Rāzī, 360-364 H/971-975 J-C, Madrid, 1967. 
[9] Bourgeois L., Une résidence des comtes d’Angoulême autour de l’an mil : le castrum d’Andone (Villejoubert, Charente), Publication des fouilles d’André Debord (1971-1995), Caen, 2009.
[10] Les « châteaux du désert » d’époque omeyyade où le calife venait rencontrer les chefs des tribus arabes pour signer des alliances : Antoine Borrut, Entre mémoire et pouvoir, L'espace syrien sous les derniers Omeyyades et les premiers Abbassides (v. 72-193/692-809), Leiden-Boston, 2010.