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Intelligence(s) Artificielle(s) (revue Marges)

Intelligence(s) Artificielle(s) (revue Marges)

Publié le par Marc Escola (Source : Jérôme Glicenstein)

Loin d’un surgissement ex nihilo, l’IA s’inscrit dans la longue histoire des techniques de vision et de création, tout en précipitant un basculement dans nos théories de la mémoire, de la transmission et du partage des savoirs, désormais en partie délégués à des architectures privées qui reconfigurent nos régimes d’attention et de circulation culturelle. Plutôt qu’un « outil » de plus dans l’arsenal de l’art, elle reconfigure l’ensemble des conditions de la création, de la critique et des institutions. Le débat s’est souvent enfermé dans une alternative stérile — la machine « crée-t-elle ? » ou doit-on la comprendre comme un dispositif inscrit dans des chaînes sociotechniques ? — qui entretient l’illusion d’une autonomie créatrice des systèmes. Or les dispositifs dits d’IA sont indissociables de médiations sociotechniques, de savoir-faire humains et d’infrastructures matérielles dont les effets et enjeux se font sentir autant dans la théorie que dans la pratique. 

Sur le plan épistémologique et esthétique, l’IA montre que ce que nous voyons et comprenons est produit conjointement par des algorithmes et par le langage : parce qu’elle s’appuie sur des textes (noms, étiquettes, catégories). Elle fait naître une culture visuelle pilotée par le texte où nommer et classer déterminent ce qui devient visible et reconnaissable. De grands ensembles d’entraînement tels qu’ImageNet ou LAION-5B orientent ce champ de visibilité en imposant des taxonomies, des styles moyens et des normes de ressemblance qui favorisent la synthèse et la remodulation d’esthétiques préexistantes plutôt que l’invention de mondes véritablement inédits. 

Dans le milieu de l’art, cet engouement pour l’IA force le monde muséal a se confronter à de nouveaux types d’enjeux liés à l’acquisition, la conservation et l’exposition. Les commissaires, conservateur.trice.s, médiateur.trice.s, et les artistes développent des approches critiques et créatives qui intègrent ces intelligences pour à la fois les mettre au service de leurs pratiques et les interroger de l’intérieur.

L’enjeu pour ce numéro est dès lors moins de trancher le débat « pour ou contre » l’IA que d’en cartographier les pratiqueset d’en problématiser les effets : sur les œuvres (formes, procédés, preuves), sur les métiers (auteur·rices, technicien·nes, médiateur·rices), sur les économies (marché, travail, plateformes), et sur les institutions (mission publique, conservation, politiques d’acquisition et de médiation). 

Vers quels critères de singularité/valeur se déplacent la critique et le marché lorsque l’œuvre est itérable à l’infini ? Comment qualifier la co-créativité humain·e/IA : quelles méthodologies, quels récits d’atelier, quelles formes d’« auteur·rices collectifs » ? Quels régimes de vérité pour les images calculées (deepfakes, preuves, témoignages) et quelles réponses curatoriales/éditoriales ? Quelles politiques muséales de l’IA (acquisition, conservation des modèles/datasets, traçabilité, droits, accessibilité, soutenabilité) et quels effets sur la mission publique des musées ? Quels apports cognitifs de l’IA à l’imaginaire artistique (variation eidétique, styles, stéréotypes, biais) et comment les artistes les retournent-ils en recherche critique ? Peut-on élaborer une “histoire matérielle” de l’IA (infrastructures, coûts énergétiques, écologie des composants, empreinte géo-minérale, géographies du cloud) qui relie conditions de production et formes esthétiques sans réduire celles-ci à leur substrat ? Comment repenser le canon à l’ère des datasets massifs : qui y entre, qui en sort ? Quels modèles curatoriaux pour exposer l’opacité et la fabrique ? Quelles méthodes de lecture rapprochée des prompts (poétique, rhétorique, performativité) pour les traiter comme de véritables sources primaires, au même titre que manifestes, protocoles ou partitions ? 

Axes de réflexion possibles : 

— Histoires et actualités des esthétiques computationnelles : de l’art génératif aux GAN/LLM (ruptures/continuités) ;

— Prompting, notation, ekphrasis : le texte comme instrument, score, consigne, contrat ;

— Style, « familles de ressemblance », et espace latent : analyses formelles et épistémologiques ;

— Éthique et droit : datasets, consentement, domaine public, droit d’auteur, responsabilités éditoriales et curatoriales ;

— Musées & politiques de l’IA : stratégies d’adoption (guidelines, transparence), critères d’acquisition (modèles, logs, versions), conservation/émulation de systèmes, médiation de l’opacité et des biais, accessibilité et inclusion ;

— Perspectives décoloniales et IA – dispositifs et corpus situés risque de re-centralisation autour de modèles hégémoniques occidentaux (langue, iconographie, normes) ;

— Écologies de l’IA : empreinte matérielle/énergétique, infrastructures, géopolitique des plateformes et des données ;

— Images calculées et régimes de vérité : deepfakes, documentarité, preuves, dispositifs anti-fraude/exposition ;

— Marché, valeur, travail : économies de la « techno-créativité », pratiques amateurs vs. pratiques professionnelles, reconfigurations des métiers ;

— Pédagogies et transmission : ateliers, open notebooks, partage des prompts/datasets, reproductibilité des œuvres ;

— Quelle place pour les artistes ? Le statut d’artiste doit-il être repensé à l’ère de l’IA ?

— Études de cas (expositions, œuvres, plateformes, outils) : analyses critiques et retours d’expérience (artistes, commissaires, développeur·ses). 

Les propositions devront parvenir avant le 1er février 2026, sous la forme d’une problématique résumée (5000 signes maximum, espaces compris), adressée par courriel à josias.padilha@usp.br 

Les textes sélectionnés (en double aveugle) feront l’objet de communications de 30 minutes lors d’une journée d’étude à Paris, à l’Institut national d’histoire de l’art, le 2 mai 2026. À l’issue de cette rencontre, les versions définitives des textes devront parvenir au comité de rédaction avant le 1er juin (30.000 à 40.000 signes, espaces et notes compris).  Certains de ces textes seront retenus pour publication dans le numéro 43 de Marges, dont la sortie est prévue au printemps 2027.

La revue Marges (Presses Universitaires de Vincennes) fait prioritairement appel aux jeunes chercheurs et chercheuses des disciplines susceptibles d’être concernées par les domaines suivants : esthétique, arts plastiques, histoire de l’art, sociologie, anthropologie, études théâtrales ou cinématographiques, muséologie, musicologie… 

Sites web 

http://www.puv-editions.fr/revues/marges-34-1.html

http://journals.openedition.org/marges/

https://www.cairn.info/revue-marges.htm 

Réseaux sociaux 

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