Contours et marginalités (vidéo)ludiques (Colloque Interuniversitaire Francophone en Études Ludiques, CIFEL 2026, Liège)
Dates du colloque : 29 juin-1er juillet 2026
Lieu : Université de Namur (Belgique) – avec possibilité de participation en ligne
Échéance des propositions (présenta ons orales) : 9 février 2026
Échéance des propositions (prototypes de jeu) : 9 mars 2026
Organisateurs·rices : Sara Dethise Martinez (Université de Namur, FNRS-FRESH), Maxime Verbesselt (Université de Namur), François-Xavier Surinx (Université de Liège, FNRS-FRESH) et Fanny Barnabé (Université de Namur)
Contact: colloque.cifel@gmail.com
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Pour sa quatrième édition, le Colloque Interuniversitaire Francophone en Études Ludiques (CIFEL) propose d’interroger les contours et marginalités (vidéo)ludiques.
Le jeu a longtemps été envisagé comme un monde clos, défini par des règles, des temporalités et des espaces spécifiques, un « cercle magique », séparé de la vie « courante ». Huizinga (1938) comme Caillois (1958) ont attribué au ludique des frontières claires : celles d’une activité « à part », distincte du travail et du sérieux. Cette perspective a contribué à exclure toute idée d’entre-deux, de marge. Jouer et vivre, jouer et travailler, jouer et être sérieux relèveraient d’univers incompatibles.
Le 29 août 2016, le journal Le Monde titrait pourtant « Najat Vallaud-Belkacem veut interdire les Pokémon rares à l’école ».En effet, le jeu en réalité augmentée Pokemon Go (Niantic, 2016) avait tendance à faire apparaître des créatures à capturer en tous lieux et à tout moment. Cet épisode médiatique illustre la porosité croissante du huis clos historiquement constitutif de la pratique du jeu. Celui-ci s’invite dans les sphères du travail, de l’art, de la politique et, plus largement, dans la vie quotidienne.
La signification et les frontières du jeu se construisent socialement à travers des pratiques, des discours, divers modes d’éducation et des représentations médiatiques. Les limites constituent la culture ludique et définissent ce qui permet le jeu (Brougère, 2024). Réfléchir aux marges du jeu, c’est donc interroger les processus par lesquels une société reconnaît ou non certaines formes et pratiques ludiques. C’est aussi confronter les visions du jeu qui ont cours à travers le monde, et dont on retrouve des traces dans le temps (Wolf, 2015), ou encore examiner la manière dont le jeu s’imprègne des discriminations qui ont cours dans la société. C’est, enfin, questionner par le prisme des marges ce que peut représenter le jeu « ordinaire », « normal » ou « classique » (Juul, 2005) ainsi que les paramètres qui font ou défont les normes des cultures ludiques.
La notion de contours peut également englober les contraintes posées par l’industrie du jeu vidéo et celles qui lui sont imposées. Par exemple, les entreprises mettent en place des barrières artificielles au service de leur modèle économique : du freinage volontaire de la progression des joueurs et des joueuses dans les free-to-play à l’empêchement du jeu crossplay. Inversement, certaines pratiques de l’industrie sont régulées à la suite à de décisions politiques ou judiciaires, à l’instar de l’interdiction des loot boxes en Belgique et aux Pays-Bas. D’autres paradigmes encore s’emparent de cette réflexion sur les seuils et plafonds qu’il faudrait imposer à la production de jeux : qu’il s’agisse de réflexions écologiques sur le coût environnemental des développements technologiques qui supportent une partie de l’industrie vidéoludique (Eckert, 2024), ou encore de discussions éthiques sur les lignes à ne pas franchir (pour ce qui concerne l’implémentation de dark patterns, par exemple ; Dupont et al., 2021). Plus largement, dans l’imaginaire éducatif, le jeu reste encore souvent considéré comme une pratique à laquelle il faudrait imposer des limites. Ces cadres et tentatives de régulation conduisent à des tactiques de contournement (De Certeau, 1980), voire de counterplay (Denoo et al., 2023), de la part des entreprises et des publics.
Dans un jeu vidéo, les limitations se matérialisent aussi au sein des œuvres : elles sont inscrites dans le code, les interfaces et les dispositifs technologiques. Le joueur ou la joueuse fait l’expérience d’une liberté a priori limitée, où chaque action, chaque choix n’existe qu’à l’intérieur d’un cadre prédéfini. Les interactions restent ainsi bornées par la technique et les choix de conception, qui déterminent ce qu’il est possible de réaliser, de voir et d’expérimenter (Philipps, 2024). Certaines œuvres choisissent d’ailleurs de mettre en scène ces limites afin de mieux les interroger. Par exemple, des jeux comme Doki Doki Literature Club! (Team Salvato, 2017), la saga Metal Gear (Konami, 1989)ou The Stanley Parable (Galactic Cafe, Everything Unlimited Ltd., 2013) cherchent à déconstruire l’illusion de liberté offerte au joueur ou à la joueuse : le jeu met en évidence ses propres contours tout en jouant avec eux (Philipps, 2024 ; Surinx, 2020).
Contrairement à la frontière, qui sépare nettement, la marge désigne une aire, une zone périphérique qui vient séparer un objet de ce qui lui est extérieur (Lavigne, 2017). Cet entre-deux permet de faire coexister ce qui relève du jeu et ce qui n’en relève pas, le cadre et ce qui le dépasse. La marge peut ainsi être perçue comme une zone habitable, un lieu de création, de détournement ou d’adaptation, où se développent de nouvelles formes de jeu et de rapports au jeu (Lavigne, 2017). Ce colloque prêtera ainsi une attention particulière aux scènes de création alternatives (secteur non marchand, artgames, demoscene, production amateur, création engagée ou militante, etc.) ainsi qu’aux efforts pour élargir les frontières des cultures ludiques ou faire un pas de côté afin d’en interroger les normes. On peut penser, par exemple, aux travaux actuellement menés pour écrire l’histoire de formes de jeu marginales, locales ou oubliées (Swalwell, 2022 ; Nicoll, 2019), ou aux entreprises visant à repenser les formes de patrimonialisation et de préservation des cultures ludiques en dehors des cadres normatifs installés (Nooney, 2013).
Parfois, la marge du ludique réside dans la conscience de ses limites et dans la manière de les détourner. Ces limites ne constituent alors plus seulement un cadre restrictif, mais deviennent également un terrain d’innovation. Les joueurs et joueuses explorent ces espaces marginaux, transforment le jeu ou s’émancipent de ses règles. Les pratiques de modding ou de speedrun témoignent de cette capacité et de ce désir d’investir les interstices et les failles du système pour en étendre les possibles et évoluer au-delà des contraintes (Newman, 2008). Parfois stigmatisée, la tricherie participe pourtant d’une logique similaire. Elle ne se réduit pas à une transgression des règles, mais participe d’un processus de réappropriation des règles en ouvrant un espace critique où se négocient les rapports entre normes implicites, liberté et pouvoir au sein de la culture vidéoludique contemporaine (Consalvo, 2007). La marge peut encore être envisagée comme le terrain privilégié de la ludification, lorsque des éléments propres aux jeux interviennent dans des contextes non ludiques afin d’augmenter l’engagement et d’améliorer l’expérience de l’usager (Bonenfant, 2023).
Dans ce contexte, les formes actuelles de médiation ou de spectacularisation du jeu (esport, streaming, marathons de speedrun sur Twitch, etc.) participent également à redessiner les formes des objets ludiques et les contours de ce qui est considéré comme une activité de jeu. Le streaming, en particulier, est devenu ces dernières années une pratique massive, diverse et en perpétuelle mutation, qui exerce une influence déterminante tant sur la production que sur la réception des jeux (Taylor, 2018). On peut citer en exemples les phénomènes du backseat, qui consiste à faire participer l’ensemble de son public dans une forme spectaculaire de jeu secondaire (Delbouille, 2018), mais également le format ludique du « Tribunal des bannis », qui interroge la frontière entre ce qui est considéré comme acceptable ou non au sein d’une communauté sur Twitch (Barnabé, 2024), ou encore les formes de spectacularisation des limitations techniques d’un jeu, à l’instar de la quête des far lands dans Minecraft (Mojang Studios, 2019), les territoires aux confins de l’immense espace du jeu, où la génération procédurale dysfonctionne et engendre une multitude de glitchs (Cayatte, 2023).
Nous encourageons la soumission de communications sur les thèmes suivants (liste non exhaustive) :
- Les imaginaires et discours autour des cadres à poser : injonctions morales, sociales, éthiques ou médiatiques à restreindre ou à encadrer les usages du jeu et la production ludique industrielle ;
- Les jeux en marge de l’industrie : productions amateur (Hurel, 2020), artgames, création non marchande, etc. ;
- Les histoires marginales, contre-histoires ou formes alternatives de patrimonialisation et de préservation des cultures ludiques ;
- Les limitations technologiques ou matérielles et la manière dont elles déterminent les objets et les pratiques ;
- La médiatisation du jeu et la redéfinition de ses frontières : streaming, jeu secondaire, ludicisation, « jeu hors du jeu » ;
- Les questions sociales et inclusives : accessibilité, représentations et discriminations ;
- Les pratiques de détournement : modding, speedrun, machinima, réappropriations engagées ou militantes, réécritures ;
- Les marges de l’acceptable au sein des communautés de joueurs·euses : toxicité, violence, éthique et régulation ;
- Les propositions méthodologiques originales permettant d’interroger les contours et marges du jeu.
Si vous avez un doute vis-à-vis de la pertinence de votre communication quant aux thématiques de l’appel, n’hésitez pas à nous écrire.
Nous encourageons vivement les étudiants·es et chercheurs·euses en début de carrière à soumettre leur communication.
La participation est gratuite.
Types de contributions
Toutes les propositions doivent être soumises via notre plateforme Sciencesconf : https://cifel.sciencesconf.org/
Notez bien que vous devrez vous créer un compte afin de nous faire parvenir votre contribution potentielle. Nous acceptons des propositions sous les deux formats décrits ci-bas. Nous privilégions les participations en présentiel, mais nous considérerons les propositions en distanciel par vidéoconférence pour les présentations scientifiques.
(1) Présentations orales (20 minutes)
Veuillez soumettre un résumé anonymisé d’au plus 500 mots (excluant les références).
(2) Prototypes sans volet de recherche (non soumis à évaluation scientifique)
Veuillez soumettre un court résumé d’au plus 200 mots du sujet, thème ou concept du jeu proposé. Il peut s’agir de n’importe quel type de jeu : jeu vidéo, jeu de plateau, jeu de cartes, jeu de dés… Incluez à ce résumé le lien vers une vidéo représentative de la jouabilité. Notez bien : quoique le jeu doit être jouable, il n’a pas besoin d’être parfait ! Nous accueillons à bras ouverts les prototypes inachevés. Cependant, nous n’accepterons pas de concepts de jeu à venir : vous devez avoir de la jouabilité démontrable lors de votre envoi.
Liste des besoins particuliers
Le colloque souhaite accueillir une variété de propositions aux formes aussi diverses que créatives. Si la forme de votre communication implique des besoins particuliers (au-delà d’une table et d’un mur sur lesquels afficher), veuillez les préciser en annexe de votre proposition.
Offre d’accompagnement pour la relève étudiante
Si vous êtes un·e chercheur·euse débutant·e, nous serons heureux·se de vous aider à naviguer le processus de proposition à un colloque scientifique. N’hésitez pas à nous écrire pour de l’aide.
Échéancier
Échéance pour l’envoi des propositions de présentations orales : 9 février 2026
Échéance pour l’envoi des propositions des prototypes de jeu : 9 mars 2026
Date d’annonce des résultats : 16 mars 2026
Tenue du colloque : 29 juin-1er juillet 2026
Équité, diversité et inclusion
Toutes les propositions doivent être respectueuses des communautés marginalisées, en accord avec les principes EDI (équité / diversité / inclusion). Le comité scientifique se réserve le droit de refuser une proposition sur cette base.
Contactez-nous
Pour toute question ou demande d’information, veuillez contacter l’équipe à l’adresse : colloque.cifel@gmail.com.
Bibliographie
Barnabé, F. (2024). “Les modos je baise vos mères” : scénographies de la toxicité sur Twitch : le Tribunal des bannis. Questions de communication, 46(2), 77-102
Bonenfant, M. (2023). L’extension du jeu : la ludification. Dans S. Genvo & T. Philippette (Éds.), Introduction aux théories des jeux vidéo (pp. 75-84). Presses universitaires de Liège
Brougère, G. (2024). Culture ludique. Dans G. Brougère & E. Savignac (Dir.) Dictionnaire des sciences du jeu (p. 74-79). Erès
Caillois, R. (1958). Les jeux et les hommes. Le masque et le vertige. Gallimard
Cayatte, R. (2023). Repenser l’opposition entre game et play à partir des pratiques de « non-jeu ». Dans Entre le jeu et le joueur : écarts et médiations (pp. 117-133). Presses universitaires de Liège
Consalvo, M. (2007). Cheating: Gaining Advantage in Videogames. MIT Press
De Certeau, M. (1980). L’invention du quotidien. Tome 1 : Arts de faire. Gallimard
Delbouille, J. (2018). Jouer à travers l’autre : jeu « secondaire », jeu par procuration et médiation du plaisir ludique [Communication à une journée d’étude]. Appropriation, pratiques et usages : en/jeux, Montréal, Canada
Denoo, M., Dupont, B., Grosemans, E., Zaman, B., & De Cock, R. (2023). Counterplay: Circumventing the Belgian Ban on Loot Boxes by Adolescents. Proc. ACM Hum.-Comput. Interact., 7(CHI PLAY), 104–130. Article 378. https://doi.org/10.1145/3611024
Dupont, B., Denoo, M., Grosemans, E., Malliet, S., & De Cock, R. (2021). Conceptualizing dark patterns with the ludeme theory: A new path for media education? [Paper presentation]. Etmaal van de Communicatiewetenschap, Bruxelles, Belgium
Eckert, K. (2024). Why The Current AAA Game Development Model Is Unsustainable. Medium. https://medium.com
Huizinga, J. (1938). Homo ludens: Proeve eener bepaling van het spel-element der cultuur. Tjeenk Willink
Hurel, P.-Y. (2020). L’expérience de création de jeux vidéo en amateur - Travailler son goût pour l’incertitude [Doctoral thesis]. Université de Liège. https://hdl.handle.net/2268/247377
Juul, J. (2005). Half-Real. Video Games between Real Rules and Fictional Worlds. MIT Press
Lavigne, M. (2017). Jeux de marges. Sciences du jeu, 7. https://doi.org/10.4000/sdj.756
Newman, J. (2008). Playing with videogames. Routledge
Nicoll, B (2019). Minor Platforms in Videogame History. Amsterdam University Press
Nooney, L. (2013). A Pedestal, A Table, A Love Letter : Archaeologies of Gender in Videogame History. Game studies, 13(2). https://gamestudies.org/1302/articles/nooney
Philipps, P. (2024). La conscience de la limite créative dans le jeu vidéo, Un mal pour un bien ? L’œuvre numérique à son miroir : regards sur les créations digitales contemporaines [Dossier]
Surinx, F.-X. (2020), Lire la peur dans leur jeu. Exploration du potentiel effrayant du texte dans le jeu vidéo [Mémoire de Master]. Université de Liège
Swalwell, M. (2022). Game History and the Local. Palgrave Macmillan
Taylor, T. L. (2018). Watch Me Play: Twitch and the Rise of Game Live Streaming. Princeton University Press
Wolf, M.J.P. (2015). Video Games around the World. MIT Press