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Appels à contributions
Théâtre décolonial. Pratiques, formes, imaginaires et enjeux sur les scènes contemporaines

Théâtre décolonial. Pratiques, formes, imaginaires et enjeux sur les scènes contemporaines

Publié le par Marc Escola (Source : Pénélope Dechaufour)

Théâtre décolonial 

Pratiques, formes, imaginaires et enjeux sur les scènes contemporaines 

Appel à contributions pour un ouvrage collectif

Pénélope Dechaufour dir. 

Université de Montpellier Paul-Valéry, RIRRA 21

Après le séminaire « Désécrire et décoloniser les imaginaires sur la scène contemporaine » en 2022 et les journées d’études « Écritures et scènes décoloniales : quelles modalités esthétiques, quels imaginaires scéniques ? Perspectives transnationales » en 2023, ainsi qu’en 2024 « Écritures et scènes décoloniales : quelles modalités esthétiques, quels imaginaires scéniques ? Perspectives intersectionnelles », le présent appel à contributions entend élargir les approches et réflexions dans le domaine du théâtre décolonial (théâtre, danse, performance, cirque, marionnette etc.). Il s’agit de questionner les pratiques, les formes, les imaginaires et les enjeux qui sont au cœur de la démarche d’artistes dialoguant de manière explicite ou non avec la pensée décoloniale. La perspective de l’ouvrage est résolument transnationale et les études privilégiant une focale sur l’état actuel de la question décoloniale dans un secteur plus spécifique du spectacle vivant ou à l’échelle d’un territoire donné sont les bienvenues. Dans cette dynamique, on évitera les études de cas autour d’un seul spectacle pour tendre davantage vers un panorama des esthétiques et des modalités que proposent les artistes qui travaillent dans une tension vis-à-vis d’un « devenir décolonial [1]» (Seloua Luste Boulbina) du monde. 

Il y a dix ans, en 2015, des professionnel·les du spectacle vivant ont créé en France l’association Décoloniser les arts et initié une prise de conscience institutionnelle autour de la manière d’appréhender les problématiques dites de la « diversité » au théâtre.  Depuis, les questions décoloniales sont de plus en plus présentes sur la scène contemporaine et de nouveaux artistes ont émergé en écho à ces problématiques à partir desquelles ils et elles travaillent. Or, les liens entre la pensée décoloniale et le spectacle vivant ne sont bien sûr pas exclusifs à l’espace français ou européen. Au contraire, c’est un mouvement international qui est d’ailleurs fortement lié à l’Amérique du Sud[2] où la discipline propre des « études décoloniales » a vu le jour à l’initiative des travaux du groupe Modernité/Colonialité/Décolonialité[3] à la fin des années 1990. Nous souhaitons aujourd’hui interroger les modalités esthétiques et les imaginaires scéniques que déploient les artistes et les œuvres de spectacle vivant qui articulent geste artistique et théories décoloniales. 

Les arts du spectacle vivant, en ce qu’ils ont contribué à construire les imaginaires coloniaux, à façonner les stéréotypes qui en découlent et qui persistent aujourd’hui (Sylvie Chalaye[4], ACHAC[5]), mais aussi parce qu’ils ont concrètement supporté l’entreprise coloniale (Léonor Delaunay[6]) sont particulièrement pertinents pour mettre en œuvre un projet décolonial. A l’instar d’Afropea (Léonora Miano[7]) qui se veut un « territoire culturel à inventer » (Pénélope Dechaufour, Sylvie Chalaye[8]) pour les artistes afrodescendant·e·s d’Europe, les écritures et scènes que l’on pourrait caractériser de « décoloniales » - ainsi que celles qui s’en réclament plus explicitement –  œuvrent à offrir un regard nouveau sur les récits historiques[9], l’appréhension du sensible, l’organisation ou encore les valeurs qui prévalent dans nos sociétés contemporaines postcoloniales. 

De par leur inventivité, ces esthétiques renversent canons et hiérarchies établies en affirmant la portée politique et philosophique de certains gestes artistiques marginalisés comme, par exemple, le hip-hop. Certaines notions issues des sciences sociales, comme l’intersectionnalité, deviennent moteur de la création (Rébecca Chaillon, Wanjiru Kamuyu, Nora Chipaumire). Des expériences nouvelles voient le jour ces dernières années comme avec l’emblématique performance cuisinée Autophoagies que sa créatrice Eva Doumbia qualifie « d’eucharistie documentaire ». Elles déplacent nos habitudes de spectateur·trices comme avec 30 Nuances de Noir(es), la parade afroféministe conçue par la chorégraphe Sandra Sainte Rose Franchine, qui s’inspire des fanfares de la Nouvelle-Orléans et se situe à la croisée des esthétiques funk, disco mais aussi du locking ou du waacking, avec des costumes qui, quant à eux, nous propulsent dans l’univers afrofuturiste. 

Tous les aspects de la création sont concernés : le cirque avec, par exemple, Don Balthan un solo de cirque afrosurréaliste de la Cie L’Art Nak, le théâtre de marionnettes comme avec Insomniaques de la Cie Avant l’averse ou la Cie lyami qui entend « incarner un théâtre décolonial » ; du côté des scènes numériques, de nouveaux outils permettent de rendre plus concrets les enjeux de la pensée décoloniale comme avec la proposition de théâtre immersif Noire, une installation adaptée d'un essai biographique de Claudette Colvin écrit par Tania de Montaigne et mis en scène par Stéphane Foenkinos. Mais, on pense aussi aux propositions novatrices d’artistes comme Betty Tchomanga, Habibitch, Annabel Gueredrat, Selina Thompson ou encore debbie tucker green.

   Que signifie au juste « décoloniser » le théâtre ou proposer un théâtre décolonial ? Qu’est-ce que cela implique ? Sur quelles expériences pouvons-nous aujourd’hui prendre appui ? S’agit-il forcément d’un théâtre politique ? Quels en sont les motifs récurrents ? La notion même de théâtre décolonial sera discutée au sein de l’ouvrage qui souhaite par ailleurs prendre la mesure de ce que l’émergence de ces formes a déplacé dans l’écosystème du spectacle vivant. Les esthétiques de la décolonialité peuvent aussi renvoyer à des choix artistiques ou à des politiques publiques et culturelles qui, parce qu’elles font enfin une place aux artistes racisé·e·s et à leur histoire (Sylvie Chalaye[10]) ou parce qu’elles revoient les modes de production classiques, permettent d’inverser les rapports de force séculaires qui régissent les relations entre anciennes puissances coloniales et ex nations colonisées (Caroline Guiela Nguyen). 

Bien qu’en France, il faille attendre le 21e siècle pour que la pensée décoloniale se diffuse avec des initiatives comme Décoloniser les Arts[11] et dans un contexte socio-politique particulier (Stéphane Dufoix[12]), on retrouve, dès la période des Indépendances, cette notion associée à des projets dramatiques dans l’espace francophone. On pense, notamment, à Aimé Césaire et ses « tragédies de la décolonisation » que mettra en lumière un metteur en scène comme Jean-Marie Serreau[13]. Comment les formes d’aujourd’hui dialoguent-elles (ou non) avec les luttes d’hier (Olivier Neveux[14]) ? Mais, on pense aussi à des théoriciens dont les travaux ont permis aux déclinaisons artistiques contemporaines du décolonial de se forger. Par exemple, à Edouard Glissant et à la « créolisation »[15] ou à la « poétique de la relation » : autant d’outils critiques nous permettant d’interroger les dynamiques d’un « ordre mondial en recomposition » (Nicolas Bancel[16]) où l’hybridité des formes et la transgénéricité des pratiques sont sources d’innovations pour mieux « sortir de la grande nuit » (Achille Mbembe[17]) et dire la puissance des entrelacs diasporiques mais aussi la nécessité de « décoloniser les savoirs » (Seloua Luste Boulbina[18]).

On pourra se demander quels choix esthétiques opèrent les artistes pour mettre en scène la pensée décoloniale ? S’agit-il de s’emparer d’œuvres du passé (Anne Bénichou[19]), voire patrimoniale, dans une dynamique de (ré)appropriation (Une Tempête, Césaire ; Les Indes Galantes, Dembélé/Cogitore[20] ; Swan Lake, Dada Masilo) ou plutôt d’opter pour une esthétique de la reconstitution ou du théâtre documentaire (Bérénice Hamidi-Kim[21]) afin de pallier les silences de l’histoire (Eva Doumbia, Salim Djaferi, Alice Carré et Margaux Eskenasi) ? Quelles sont les modalités esthétiques d’œuvres qui chercheraient à déjouer les assignations identitaires (Rébecca Chaillon, Latifa Laâbissi, Raymond Dikoumé, Lamine Diagne, Abdou N’Gom), les clichés du « continent noir » (Joseph Tonda[22]), et à promouvoir une plus grande diversité de narration et de représentation dans les arts de la scène (Penda Diouf, Marine Bachelot Nguyen) ? Comment ces œuvres s’emparent-elles des structures dramatiques, par exemple, en termes spatial et scénographique ? Comment les propositions qui permettent de faire connaître des figures importantes comme Saartjie Baartman, Nina Simone, Fela Kuti ou encore Jean-Michel Basquiat (Koffi Kwahulé, Chantal Loïal) sont-elles constitutives de ces esthétiques décoloniales ? Quelle relation à la langue s’y déploie quand certains penseurs prônent la nécessité d’une décolonisation linguistique (Ngugi wa Thiong’o[23]) ? De même, quelle place pour les vibrations des cultures précoloniales dans les créations contemporaines ? Quelles correspondances entretiennent-elles avec la pensée écologique (Malcom Ferdinand[24]) ou animiste ? Quel rapport au corps – qui porte les stigmates de l’histoire – proposent-elles à l’ère de la performance (Sylvie Chalaye & Pénélope Dechaufour[25]) ? Ces pratiques permettent-elles aussi de déjouer les visions néocolonialistes de nos imaginaires quand ils appréhendent les arts extra-européens[26] ? 

Nous souhaitons nous focaliser sur ce qui compose le geste décolonial au plateau et au sein d’une œuvre afin de mieux rendre compte des ressorts esthétiques et des singularités dramaturgiques qui en émergent par-delà les études et débats - toujours nécessaires - permettant de dénoncer les problèmes d’employabilité des artistes racisé·e·s, le manque de représentativité plurielle sur les plateaux de théâtre et dans les narrations dramatiques ainsi que les discriminations socio-professionnelles existantes (Bérénice Hamidi-Kim[27]). Nous tâcherons de mettre au jour les enjeux esthétiques de ces poétiques retentissantes sur le plan politique. Cerner les contours des écritures et scènes décoloniales aujourd’hui devrait nous permettre de construire des outils conceptuels plus à même de dire leurs singularités et leur créativité au prisme de l’invention de nouveaux paradigmes mais aussi de mettre en avant les théories auxquelles ces formes font écho (le plurivers de Ramón Grosfoguel, la transmodernité de Dussel, le regard oppositionnel de bell hooks, le marronnage de Dénètem Touam Bonna…).           

Axes à envisager : 

Axe 1 – réécritures décoloniales, revisiter les formes du passé pour faire surgir une contre iconographie ou un contre discours, dialoguer avec des intertextualités longtemps maintenues à la marge, réhabiliter des pratiques précoloniales, explorer les territoires de l’uchronie 

Axe 2 – esthétiques documentaires, relation à l’histoire et à la micro-histoire, la connaissance située comme matériau de la création, usages de l’archive et du témoignage, poétiques de l’intime et du réel

Axe 3 – nouvelles performativités et déhiérarchisation des pratiques artistiques, créolisation des arts, hybridité, intermédialité au service d’une dénonciation des discriminations systémiques (classisme, racisme, sexisme)

Axe 4 – réinventer nos pratiques du spectacle vivant de la production à la diffusion, penser des formes en interaction avec le public, penser de nouvelles architectures théâtrales, ajuster les dispositifs de communication et de médiation.

Les propositions d’une longueur de 500 mots max. sont à envoyer avant le 15 janvier 2026 à Pénélope Dechaufour (dechaufour.penelope@gmail.com).

Elles seront accompagnées d’une notice biographique de l’auteur/autrice. 

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Calendrier :

- envoi des propositions : 15 janvier 2026

- réponse aux auteurs et autrices : 15 février 2026

- transmission de la contribution (35.000 signes espaces compris) : 15 juin 2026

- envoi des demandes de corrections : 15 septembre 2026

- transmission de la V2 (version définitive) : 15 novembre 2026

 

Contact : dechaufour.penelope@gmail.com 

 


 
[1] Boyadjian, M. (2016). Le devenir décolonial. Entretien avec Seloua Luste Boulbina. Spirale, (257), 87–89.
[2] Lîlâ Bisiaux, « Déplacement Épistémico-Esthétique du Théâtre Décolonial », Revista Brasileira de Estudos de Presença, Porto Alegre, v. 8, n. 4, p. 644-664, oct./déc. 2018.
[3] Entre autres Enrique Dussel, Walter Mignolo ou encore Ramon Grosfoguel. Voir : Walter Mignolo ed., La désobéissance épistémique. Rhétorique de la modernité, logique de la colonialité et grammaire de la décolonialité, (1997), Bruxelles, Peter Lang, 2015 et Ramon Grosfoguel, Claude Bourguignon-Rougier et Philippe Colin dir., Penser l’envers obscur de la modernité : une anthologie de la pensée décoloniale latino-américaine, Limoges, PULIM, 2014.
[4] Sylvie Chalaye, Race et théâtre. Un impensé politique, Arles, Actes Sud, 2020 ; Du Noir au nègre, l’image du Noir au théâtre (1550-1960), Paris, L’Harmattan, 1998. 
[5] Blanchard Pascal, Bancel Nicolas, Boëtsch Gilles, Deroo Éric et Lemaire Sandrine (dirs), Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’invention de l’Autre, Paris, La Découverte, 2011 ; Nicolas Bancel, David Thomas et Dominic Thomas, L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La Découverte, 2014.
[6] Léonor Delaunay, « Scènes coloniales. Folklore et exotisme dans le théâtre franco-africain des années 1930 », in Karine Bénac-Giroux dir. Poétique et politique de l’altérité. Colonialisme, esclavagisme, exotisme (XVIIIe-XXIe siècle), Paris, Classiques Garnier, 2019.  
[7] Léonora Miano, Afropea. Utopie post-occidentale et post-raciste, Paris, Grasset, 2020.
[8] P. Dechaufour et S. Chalaye dir., « Afropea, un territoire culturel à inventer », in Africultures, N°99-100, Paris, L’Harmattan, 2015.
[9] Pénélope Dechaufour, « L’Arche décoloniale ? Nouvelles formes dramatiques, nouveaux regards sur le monde », in Florence Baillet, Nicole Colin dir., L'Arche Editeur. Le théâtre à une échelle transnationale, Aix-en-Provence, PUP, 2021, p. 251.
[10] Sylvie Chalaye dir., « Culture(s) noire(s) en France : la scène et les images », Africultures, N°92-93, Paris, L’Harmattan, 2013. 
[11] Françoise Vergès, Leïla Cukierman, Gerty Dambury (dir.), Décolonisons les arts ! Paris, L’Arche, 2018.
[12] Stéphane Dufoix, Décolonial, Paris, Anamosa, 2023.
[13] S. Chalaye et P. Dechaufour, « Jean-Marie Serreau, précurseur d’un théâtre trans’artistique » in Théâtre/Public, n°257, 2025 ; L. Delaunay et J. Huthwohl dir., « Jean-Marie Serreau et les scènes de la décolonisation », in Revue d’Histoire du Théâtre, N°260, 2013.
[14] Olivier Neveux, « Le théâtre de la décolonisation », in Théâtres en lutte, Paris, La Découverte, 2007.
[15] Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour dir., « Créolisation des arts », dossier, Théâtre/Public, n°257, 2025.
[16] Nicolas Bancel, Le postcolonialisme, Que sais-je ?, PUF, Paris, 2022.
[17] Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2013.
[18] Seloua Luste Boulbina, Les miroirs vagabonds ou la décolonisation des savoirs, Dijon, Les presses du réel, 2018.
[19] Anne Bénichou, Rejouer le vivant – Les reenactments, des pratiques culturelles et artistiques (in)actuelles, Dijon, les presses du réel, 2020. 
[20] Pénélope Dechaufour et Marine Roussillon dir., « Baroque is burning », Thaêtre, N°6, 2022.
[21] Bérénice Hamidi-Kim, « Art de la preuve, art du discours : le théâtre documentaire « postcolonial », œuvre d’histoire et forme-affaire », in Béatrice Picon-Vallin et Erica Magris dir., Les théâtres documentaires, Montpellier, Deuxième Époque, 2019. 
[22] Joseph Tonda, Afrodystopie, la vie dans le rêve d’autrui, Paris, Karthala, 2021, voir aussi du même auteur L’impérialisme postcolonial. Critique de la société des éblouissements, Paris, Karthala, 2015.
[23] Ngugi Wa Thiong’o (1986), Décoloniser l’esprit, Paris, La Fabrique, 2011.
[24] Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris, Seuil, 2019.
[25] Sylvie Chalaye et Pénélope Dechaufour, « Nudité et performance décoloniale : quand la sur-exhibition du corps racisé fait voler en éclats l’éroticolonie », in Pierre Philippe-Meden et Philippe Liotard dir., dossier « Nu en scène », Corps, N°19, Paris, CNRS Ed., 2021, pp. 261-271.
[26] On pense ici, par exemple, au rapport à la notion « d’art africain » ainsi que le démontre Jean-Loup Amselle dans L’art de la friche – essai sur l’art contemporain africain, Dijon, les presses du réel, 2022.
[27] Bérénice Hamidi-Kim, « Des-identifications », in Décoloniser les Arts (dir.), « Voix/voies entravées. Percées émancipatrices », Tumultes, N°54, Paris, Kimé, 2020, pp. 81-91 ; B. Hamidi et M. Cervulle (dir.), Les damnés de la scène, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2024.