Colloque international
Le surréalisme et les langues
Université de Chypre (Nicosie), 7-8 mai 2026
Conférencier invité : Olivier Penot-Lacassagne (Sorbonne Nouvelle)
Si la place attribuée par le surréalisme au langage se trouve au cœur des réflexions qui lui ont été consacrées – André Breton lui-même définissant son élan initial comme « une opération de grande envergure portant sur le langage » ([1955] 2008, 19) –, son rapport aux langues a été plus rarement interrogé. Et ce, malgré son cosmopolitisme, sa diffusion sur les cinq continents, les années d’exil que de nombreux membres du groupe parisien ont connues pendant la Seconde Guerre mondiale, son intérêt pour les cultures extra-occidentales ; autant de facteurs indiquant la nécessité d’un ample travail de recherche qui rendrait compte de la relation complexe que le surréalisme entretient avec la diversité des idiomes qu’il mobilise.
Des entreprises récentes ou anciennes ont traité cet aspect de l’activité surréaliste, partiellement ou de manière plus systématique : Littérature malgré elle d’Effie Rentzou, quelques numéros de la revue Mélusine (Surréalistes serbes, Ombre portée. Le surréalisme en Hongrie, Marges non-frontières, L’Europe surréaliste), (In)actualité du surréalisme (1940-2020), ouvragé édité par Olivier Penot-Lacassagne dont l’introduction met l’accent sur le caractère transnational du surréalisme, Surréalisme intemporel, surréalisme international : quelques châteaux étoilés en Europe de P. P. Ríos, P. G. García et L. T. Barbosa, Surréalisme : résister, réinventer la langue de Raphaëlle Hérout.
Malgré ces travaux et quelques autres encore qui explorent l’univers linguistique du surréalisme, il reste beaucoup à faire pour appréhender pleinement son interaction avec les langues, qu’elles soient mortes, étrangères, nationales, autochtones, vernaculaires ou imaginaires. Parmi les modalités de ce dialogue on peut mentionner la traduction, l’autotraduction, le translinguisme, l’hétérolinguisme, les éditions ou les publications bilingues, les citations, les emprunts savants, les xénismes, les jeux étymologiques, les commentaires métalinguistiques.
De nombreux surréalistes ont pratiqué la traduction (Aragon a rendu en français The Hunting of the Snark de Lewis Carroll ; Soupault, en collaboration avec Marie-Louise Soupault, Songs of Innocence and of Experience de William Blake ; l’Égyptien Ramsès Younane traduit en arabe Éluard ; Péret traduit de l’espagnol le recueil de textes mayas Chilam Balam de Chumayel ; Shūzō Takiguchi traduit en japonais Le Surréalisme et la peinture de Breton, etc.) ou l’autotraduction (Gherasim Luca, Greta Knutson, Nishiwaki Junzaburō, Dorothea Tanning, David Gascoyne, etc.). Mais les cas de translinguisme chez les surréalistes sont tout aussi abondants, Jean Arp, Nicolas Calas, Junzaburō Nishiwaki, Radovan Ivšić, Petr Král, ayant écrit dans au moins une langue qui n’était pas leur langue première. Certains textes, comme Amer carnaval de Nanos Valaoritis ou le manifeste Vive l’Art Dégénéré du groupe égyptien « Art et Liberté » connaissent un publication bilingue. Parmi les écrits marqués par la présence de l’hétérolinguisme, on peut penser au Carnet de voyage chez les Indiens Hopi de Breton, texte parsemé de mots anglais et de toponymes d’origine uto-aztèque, ou encore à Air mexicain de Péret, livre émaillé des lexiques indigène et espagnol. Enfin, de nombreuses rêveries linguistiques peuplent les discours surréalistes ; on pense à Gherasim Luca qui propose dans Le Vampire passif de « trouver un nouveau langage qui exprime vraiment le phénomène psychique semblable […] au rêve », ou encore à Breton qui invente dans un poème dédicacé à Matta « […] la langue totémique Mattatoucantharide / Mattalinsmancenillier ».
C’est autour de trois axes que tournent les approches des relations que le surréalisme entretient avec les langues : l’interrogation de l’imaginaire linguistique du mouvement, l’étude de sa prise en compte des contextes sociolinguistiques spécifiques (exil, diglossie, colonialisme, postcolonialisme), l’examen des poétiques surréalistes engendrées par la rencontre des langues. Chacun de ces axes sera approfondi à l’occasion de ce colloque.
Les propositions de communication (titre, résumé, notice bio-bibliographique), rédigées en français, sont à envoyer avant le 30 janvier 2026 à Iulian Toma (itoma001@ucy.ac.cy).
Références bibliographiques
BAAL Georges (éd.), Ombre portée. Le surréalisme en Hongrie, dans Mélusine, no XV, Lausanne, Éditions l’Âge d’Homme, 1995.
BÉHAR Henri et NOVAKOVIĆ Jelena (éds.), Surréalistes serbes, dans Mélusine, no XXX, Lausanne, Éditions l’Âge d’Homme, 2010.
BÉHAR Henri (éd.), L’Europe surréaliste, dans Mélusine, no XIV, Lausanne, Éditions l’Âge d’Homme, 1992.
BÉHAR Henri (éd.), Marges non-frontières, dans Mélusine, no III, Lausanne, Éditions l’Âge d’Homme, 1982.
BLADH Elisabeth, « Entre écriture translingue et autotraduction – Greta Knutson (1899-1983) et sa recherche d’un public en langues française et allemande », dans Nordic Journal of Francophone Studies / Revue nordique des études francophones, no 5, 2022, p. 109-123.
BRETON André, « Du surréalisme en ses œuvres vives » (1955), dans Œuvres complètes, tome IV, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2008.
HÉROUT Raphaëlle, Surréalisme : résister, réinventer la langue, La Fresnaie-Fayel, Éditions Otrante, 2021.
PANTOJA Karla Segura, « Le surréalisme déplacé », dans Hommes & migrations, no 1329, 2020.
PENOT-LACASSAGNE Olivier (éd.), (In)actualité du surréalisme (1940-2020), Paris, Les presses du réel, 2022.
RENTZOU Effie, Littérature malgré elle. Le surréalisme et la transformation du littéraire, collection « Pleine Marge », 2010.
RÍOS Patricia Pareja, GARCÍA Pilar Garcés, BARBOSA Lourdes Terrón (éds.), Surréalisme intemporel, surréalisme international : quelques châteaux étoilés en Europe / Surrealismo intemporal, surrealismo internacional : algunos castillos estrellados en Europa, Oxford, Berne, Berlin, Bruxelles, Francfort, New York, Vienne, Peter Lang, 2023.
ROUX Pascale, « La langue à l’épreuve de l’Histoire : Georges Henein (1914-1974) et le rêve d’une “langue ouverte” », Revue critique de fixxion française contemporaine, no 3, 2011.