
Affables destructions : une exploration des fractures narratives et esthétiques de la modernité à l’extrême contemporain
Appel à communications pour le Séminaire 19-21 des doctorant·e·s et jeunes docteur·e·s du CIELAM,
Aix-Marseille Université (2025/2026)
« Affables destructions : une exploration des fractures narratives et esthétiques de la
modernité à l’extrême contemporain »
Présentation et problématique
Affables destructions, ou les formes de destruction qui ne se manifestent pas dans le vacarme ou l’évidence, mais qui se glissent subtilement, presque avec douceur, dans les interstices du langage et des formes. Elles érodent les cadres institués de la modernité, non pour imposer un vide, mais pour ouvrir la possibilité d’autres agencements : latents, insubordonnés, parfois déroutants. À ce titre, la fabulation constitue un outil précieux pour appréhender ces « destructions affables ». Deleuze la définit comme une « parole en acte » (Image et temps, 1985), par laquelle le personnage franchit sans cesse la frontière entre le privé et le politique, produisant ainsi des énoncés collectifs. Dans une autre perspective, Donna Haraway évoque les « fabulations féministes » (« Speaking Resurgence to Despair / I’d Rather Stay With the Trouble », 2019) comme autant de récits spéculatifs et critiques, tandis que Saidiya Hartman propose une position éthique de critical fabulation (« Venus in Two Acts », 2008) qui fait émerger une parole reconstructive malgré les silences et les manques des archives de l’esclavage.
Tandis que le XXIᵉ siècle a été marqué par la mondialisation des lettres, la multiplication des voix, la reconnaissance en cours d’une « littérature-monde en français » (« Manifeste pour une littérature-monde en français », 2007) issue d’un décentrement, qu’un rapprochement renouvelé des questions d’esthétique et de politique à travers les questions de représentation agite toujours les critiques littéraires et de théâtre, que peut-on dire de l’expérimentation formelle de l’extrême-contemporain ? Alors que cette dernière s’est régulièrement déplacée des supports conventionnels de la littérature écrite vers les plateformes et les outils numériques, s’éloignant de la nécessité de définir la modernité, quel est aujourd’hui son centre de gravité ? Est-il dans la génération machinique textuelle automatique ? Est-il dans l’écriture instantanée, éphémère et, ou, collective ? Comment ces pratiques dialoguent-elles avec les avant-gardes des siècles précédents ?
Le séminaire propose de revisiter les questionnements formels qui ont marqué la littérature depuis le XIXᵉ siècle pour tenter de cerner fabulations et destructions à venir. Destructions qui appellent à penser les ruines de la modernité, ses promesses inachevées et ses cadres fissurés :
* D’un côté, ses tentatives de déconstruction et d’auto-critique (progrès technique, rationalité, industrialisation, capitalisme, extractivisme).
* De l’autre, leur possibilité de fabuler autrement au moyen d’une parole qui invente, réinvente et reconstruit à partir des silences, ouvrant des récits nouveaux là où les formes anciennes se défont.
Exemples de thématiques possibles (liste non exhaustive) :
Les communications pourront s’inscrire, sans s’y limiter, dans les thématiques suivantes :
- Décolonialisation* des formes, récits et savoirs
- Poétiques et esthétiques de la ruine, du désastre ou du refus
- Mise en crise du progrès technique, industriel ou numérique
- Formes de dé-subjectivation et éclatement du moi moderne
- Dé/reconstructions de la mémoire, du langage ou du genre
- Écopoétiques et représentations de la crise environnementale
- Critiques littéraires ou artistiques de la rationalité moderne
- Destructions formelles et réinventions esthétiques (XIXᵉ-XXIᵉ siècles)
*D’après la distinction faite par l’historien Michel Cahen : « [...] la décolonisation est le renversement de la colonie et le rétablissement de l’indigénité d’un territoire, quand la décolonialisation est la fin des rapports sociaux de colonialité. » dans Colonialité : Plaidoyer pour la précision d’un concept, Karthala, Paris, 2024, p.79.
Organisation prévisionnelle des séances :
Séance 1 (26/11, 15h-17h30) : « Fracas coloniaux » : Perspectives postcoloniales et approches décoloniales.
Séance 2 (16/12, 15h-17h30) : « Scènes en ruines » : La scène comme lieu de résistance et de déconstruction.
Séance 3 (fin février, date à confirmer) : « Formes fracassées » : Destructions formelles et réinventions esthétiques (XIXᵉ-XXIᵉ).
Séance 4 (début avril, date à confirmer) : « La terre et le vivant en miettes » : Écopoétique, poétiques du désastre, solastalgie littéraire.
Séance 5 (fin mai, date à confirmer) : « Le moi en éclats » : Dé-subjectivation, fragmentation et démultiplication du sujet.
Bibliographie indicative :
Œuvres
AKERMAN, Chantal. Ma mère rit. Paris : Mercure de France, 2013.
BARNES, Djuna. Nightwood. Londres : Faber & Faber, 1936.
BECKETT, Samuel. L’Innommable. Paris : Les Éditions de Minuit, 1953.
BESSETTE, Hélène. Lili pleure. Paris : Éditions de Minuit, 1953.
CÉSAIRE, Aimé. Une Tempête. Paris : Présence Africaine, 1969.
CÉLINE, Louis-Ferdinand. Voyage au bout de la nuit. Paris : Denoël, 1938.
CONDÉ, Maryse. Traversée de la mangrove. Paris : Éditions Stock, 1989.
DJEBAR, Assia. L’Amour, la fantasia. Paris : Albin Michel, 1985.
DUSTAN, Guillaume. Dans ma chambre. Paris : Éditions Pauvert, 1996.
ERNAUX, Annie. La Place. Paris : Gallimard, 1983.
GARY, Romain. Les Racines du ciel. Paris : Gallimard, 1956.
GIDE, André. L’Immoraliste. Paris : Mercure de France, 1902.
GIONO, Jean. L’Homme qui plantait des arbres. Paris : Gallimard, 1953.
KOLTÈS, Bernard-Marie. La Nuit juste avant les forêts. Paris : Éditions de Minuit, 1980.
LEDUC, Violette. Ravages. Paris : Éditions P.O.L, 2023 [éd. orig. 1955].
MOÏ, Anna. Riz noir. Paris : Actes Sud, 2004.
NDIAYE, Marie. Rosie Carpe. Paris : Minuit, 2001.
NDIAYE, Marie. Trois femmes puissantes. Paris : Gallimard, 2009.
PEREC, Georges. La Vie mode d’emploi. Paris : Hachette, 1978.
PEYRADE, Pauline. Poings. Paris : Éditions P.O.L, 2022.
RACHILDE. Monsieur Vénus : roman matérialiste. Paris : Charpentier, 1884.
ROBBE-GRILLET, Alain. Le Voyeur. Paris : Les Éditions de Minuit, 1955.
SARRAUTE, Nathalie. Tropismes. Paris : Denoël, 1939.
SARRAZIN, Albertine. La Cavale. Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1966.
VILLIERS DE L’ISLE-ADAM, Auguste. L’Ève future. Paris : Alphonse Lemerre, 1886.
WOOLF, Virginia. The Waves. Londres : Hogarth Press, 1931.
ZOLA, Émile. La Bête humaine. Paris : Fasquelle, 1890.
Textes critiques et essais
Livres
ARTAUD, Antonin. Le Théâtre et son double. Paris : Gallimard, 1938.
BENJAMIN, Walter. L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris : Editions Allia, 1953.
CIXOUS, Hélène. Le Rire de la Méduse. Paris : Galilée, 1975.
CASANOVA, Pascale. La République mondiale des Lettres. Paris : Seuil, 1999.
DELEUZE, Gilles & GUATTARI, Félix. Capitalisme et schizophrénie, t. I & II. Paris : Minuit, 1972.
DIDIER, Béatrice. L’écriture-femme. Paris : Presses universitaires de France, 1981.
ERNAUX, Annie. L’écriture comme un couteau. Paris : Gallimard, 2011.
FRIEDMAN, Susan Stanford. Planetary Modernisms: Provocations on Modernity Across Time. New York : Columbia University Press, 2015.
GÉLINAS-LEMAIRE, Vincent (dir.). Le monde en ruines : espaces brisés de la littérature contemporaine. Études françaises, vol. 56, no 1, 2020.
LATOUR, Bruno. Nous n’avons jamais été modernes. Paris : La Découverte, 1991.
LEHMAN, Hans-Thies. Le Théâtre postdramatique. Paris : Éditions L’Entretemps, 2002.
LÊ, Linda. Le Complexe de Caliban. Paris : Christian Bourgois, 2005.
MARCANDIER, Christine. L’écopoétique. Paris : Éditions Le Seuil, 2023.
MINH-HA, Trinh T. Femme, indigène, autre : écrire le féminisme et la postcolonialité. Paris : Éditions Amsterdam, 2022 [trad. française].
MOURA, Jean-Marc. Littératures francophones et théorie postcoloniale. Paris : Presses universitaires de France, 2019.
SAID, Edward. Culture and Imperialism. New York : Knopf, 1993.
SARRAUTE, Nathalie. L’Ère du soupçon. Paris : Gallimard, 1956.
SPIVAK, Gayatri Chakravorti. Can the Subaltern Speak?. Londres : Macmillan, 1988.
WOLF, Nelly. Le roman féminin : écriture et modernité. Paris : Presses universitaires de France, 1997.
Articles et contributions
BUEKENS, Sara. « L’écopoétique : une nouvelle démarche de la littérature française », in Études de la littérature française des XXe et XXIe siècles, no 9, 2019.
COLLECTIF. « Manifeste pour une littérature-monde en français », Le Monde des Livres, 2007.
COLLECTIF. Lettres aux jeunes poétesses. Paris : Éditions P.O.L, 2021.
HARAWAY, Donna & GOODEVE, Thyrza. « Speaking Resurgence to Despair / I’d Rather Stay With the Trouble », Feministische Studien, 37(2), 335‑347, 2019.
HARTMAN, Saidiya. “Venus in Two Acts”, Small Axe, numéro 26 (volume 12, numéro 2), Duke University Press, juin 2008, pp. 1‑14.
NACHTERGAEL, Magali. « The Ghost in the Machine : Multimédia, algorithme et littérature artificielle », Littérature, 192, 85‑95, 2018.
HELL, Julia & SCHÖNLE, Andreas (dir.). Ruins of Modernity. Durham : Duke University Press, 2010.
Organisation et modalités de soumission :
Chaque séance réunira autour d'une des cinq sous-thématiques mentionnées ci-dessus un·e doctorant·e ou jeune docteur·e et un·e intervenant·e invité·e par le comité d’organisation. Les séances auront lieu en hybride, à la Maison de la Recherche d’Aix-Marseille Université et en ligne. Pour les étudiant·e·s d’AMU, il sera possible de faire valoir une communication en heures de formation doctorale.
Le séminaire accueille avec plaisir des communications sous forme expérimentale et les présentations de travaux en recherche-création.
Les doctorant·e·s et docteur·e·s intéressé·e·s sont invité·e·s à soumettre une proposition de communication individuelle de 20 min maximum comprenant :
Le titre de la communication
Un résumé (environ 5 lignes)
Une bio-bibliographie succincte (3 lignes)
Les propositions sont à envoyer au comité d’organisation : Théo Blauwart, Ibtihel Ghourabi, Marie Yan et Pr. Corinne Flicker.
Dates butoirs pour soumettre une proposition :
le 7 novembre 2025 pour les séances 1 et 2
le 12 janvier 2026 pour les séances 3, 4 et 5
À propos du CIELAM :
Le CIELAM est le Centre Interdisciplinaire d'Étude des Littératures d'Aix-Marseille.
Créé en 2008, il fait partie depuis 2013 des dix laboratoires constitutifs de la Maison de la recherche de la Faculté des lettres de l'université d'Aix-Marseille. Il est composé de quatre groupes de recherche : le CUER MA réunit les médiévistes, TRANSPOSITIONS les comparatistes, 16-18 porte sur la littérature de la Renaissance aux Lumières, et 19-21 sur la période moderne et contemporaine. La revue du laboratoire, MALICE, publie les travaux de ses membres et accueille les productions de ses partenaires. https://cielam.univ-amu.fr/
Coordonnées du comité d’organisation :
theo.blauwart@univ-amu.fr
ibtihel.ghourabi@etu.univ-amu.fr
marie.yan@univ-amu.fr
corinne.flicker@univ-amu.fr