
La dernière décennie a vu la multiplication d’études qui convergent vers une conclusion similaire : à partir du début du XIXe siècle, l’intérêt pour le Moyen Âge en Europe s’accompagne d’un investissement politique particulièrement important. Pourtant, comme on le sait, dès la fin du XVe siècle se manifeste une curiosité pour la période qui n’est pas nécessairement nommée « Moyen Âge », mais qui est bien identifiée comme un passé national et non-antique. Ce sont les enjeux politiques de ce « médiévalisme » de la première modernité, jusqu’ici peu étudiés, que ce colloque voudrait explorer.
Quelques contributions, isolées, parfois discordantes, ont déjà porté sur ces enjeux. Alors qu’en 1977, à la suite des travaux de Donald R. Kelley et de George Huppert, Marc Fumaroli voyait dans les « origines de la reconnaissance historique du Moyen Âge » au XVIe siècle une manière pour les monarchies européennes de prouver leur antiquité face aux prétentions de l’Église romaine, Quentin Skinner, un an plus tard, situait les travaux de Du Haillan et Pasquier dans un autre contexte politique : celui de ce qu’il nommait le « retour du constitutionnalisme » dans les années 1560, contestation des tendances absolutistes de la royauté française. Une telle différence de vues vaut aussi pour le XVIIe siècle, dans des études plus récentes : si Marine Roussillon souligne l’utilisation de la culture du Moyen Âge dans la propagande louis-quatorzienne, Sébastien Douchet met quant à lui en valeur le potentiel contestataire de l’institution littéraire des « cours d’Amour » médiévales, notamment quand elles font l’objet du travail érudit d’une famille de parlementaires écartés des responsabilités par le pouvoir absolu, les Gallaup de Chasteuil. Autrement dit, le passé national est investi, dans une période d’affirmation croissante de l’absolutisme, de valeurs politiques fortement contrastées, qui vont de la glorification de la figure du roi à la contestation du caractère absolu de sa volonté, en passant par la promotion de certains lignages nobiliaires, ou encore par l’exaltation d’une « nation » ou d’un « peuple », termes dont le sens est encore peu fixé et fait l’objet d’instrumentalisations diverses. Il s'agit en somme de comprendre « à qui profite le Moyen Âge ». Notre colloque voudrait être un lieu de travail collectif pour repérer ces diverses valeurs politiques, et comprendre leurs interactions durant les derniers siècles de la monarchie française.
Pour répondre à cette question, nous voudrions faire se rencontrer différentes méthodologies et disciplines. On privilégiera en particulier, dans les études « littéraires », celles qui s’appuient sur une approche matérielle de la transmission des textes médiévaux aux époques ultérieures, en cherchant à comprendre comment se constitue un corpus d’écrits médiévaux, et en s’interrogeant sur les valeurs politiques qu’il véhicule. En outre, l’on ne saurait ignorer qu’entre les XVIe et le XVIIIe siècle, l’intérêt pour les écrits médiévaux est souvent le fait de juristes de métier, plus ou moins directement investis dans la formalisation d’un droit français qui passe par la rédaction et l’harmonisation des coutumes locales, héritage d’un passé considéré comme national et immémorial. C’est pourquoi la question de la transmission des textes médiévaux avec celles d’histoire du droit nous intéressera particulièrement. Enfin, notre colloque se voudrait un lieu d’échanges entre histoire et littérature, au regard notamment de la question éminemment politique de la transmission de l’historiographie médiévale.