
À nous l’homme et ses passions ! Pour une réhabilitation de l’élan romanesque du roman historique
Colloque
UPJV/CERCLL
À nous l’homme et ses passions !
Pour une réhabilitation de l’élan romanesque du roman historique
15-16 octobre 2026
Argumentaire :
L’essor du roman historique sous l’influence de Walter Scott dans les années 1820 est traditionnellement associé à une transformation du romance vers le novel dans la mesure où l’ancrage référentiel se substitue à l’imaginaire éthéré du roman. Pourtant, si le roman historique porte en lui les germes du réalisme, le passé est aussi la terre d’élection de l’héroïsme fantasmé, de valeurs sublimées, de passions exacerbées, autant d’idéaux que le présent ne sait plus faire fleurir. C’est à ce versant romanesque, dans tout ce qu’il a de plus foisonnant et passionnel, que nous souhaitons nous intéresser. La « fascination » du roman historique, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Brigitte Krulic[i], s’exerce par sa capacité à intéresser directement le lecteur à un passé à la fois magnifié et accessible, dont les acteurs font appel en même temps à un besoin d’admiration, d’empathie, de différence et de reconnaissance. C’est précisément sur la corde des passions que se joue la division entre le roman historique et l’histoire en tant que discipline scientifique, sur cette corde donc que la littérature affirme sa spécificité et renoue avec sa capacité à toucher à l’universel. Ce sont d’ailleurs bien ces passions qui intéressent Mérimée, salué comme l’auteur du roman illustrant le mieux l’idéal du roman historique romantique. Dans la préface de la Chronique du règne de Charles IX, il affirme son goût pour l’anecdote où l’on peut « trouver une peinture vraie des mœurs et des caractères à une époque donnée » et « ressuscit[er] une dame de la cour de Henri III[ii] », où l’historicisation des mœurs et des caractères fait saillir les variations aussi bien que la continuité des passions au fil du temps. Plus tard, Hippolyte Romand, auquel nous empruntons notre titre, caractérise l’originalité de l’écriture d’Alexandre Dumas dans une formule célèbre : « À moi, l’homme et ses passions ![iii] » Ressusciter l’Histoire, ranimer le cadavre plutôt que le donner à contempler tel quel, c’est concevoir l’Histoire comme un récit organique dans lequel les passions qui agitent et meuvent les hommes permettent l’intelligibilité des événements. La question de « la pertinence historique du romanesque » et de la capacité de ce dernier à mener une « investigation de l’histoire » a été soulevée dans Romanesque et histoire[iv]. Elle nous invite aujourd’hui à envisager plus spécifiquement la question de la passion.
On fera l’hypothèse que ce penchant pour les passions, reproché au roman historique comme un travers, est son essence même. Il convient dès lors de déployer tout l’éventail des passions mobilisées par le genre et de considérer la manière dont elles s’articulent à la matière historique afin d’en analyser les effets, à la fois en termes de construction romanesque et de réception.
La première manière de considérer la question est de l’aborder thématiquement en examinant comment le roman historique figure les passions dans l’histoire. S’il comble par la petite histoire les silences de la grande histoire, il postule que les passions humaines sont les moteurs invisibles des événements dont la mise au jour - ou l’invention - permet de rendre l’histoire vivante et compréhensible. C’est bien cette plus-value romanesque qui permet, selon l’expression de Claudie Bernard, de « transformer l’advenu en aventure[v] », de conserver l’intérêt du lecteur et d’échapper à la fatalité historique. La passion peinte dans la diégèse tend-elle alors à expliquer ou à ébranler la vérité historique ? Suscite-t-elle sur le lecteur un plaisir de dépaysement ou d’empathie ?
De cette perspective découle un questionnement corollaire : la façon dont le roman historique compose avec les passions et la matière historique contribue-t-elle à l’ennoblissement ou à la dégradation du genre ? La menace que représenterait le roman de cape et d’épée, conçu comme une littérature à effets, facile, populaire, a souvent été l’occasion d’une dévaluation du genre. Gilles Nélod retrace ainsi une généalogie, du roman historique romantique jusqu’au roman feuilleton, dont la qualité se dégraderait à mesure que les passions prennent le pas sur le propos historique :
Le roman historique romantique procède d’une curiosité d’ordre affectif et tente d’y satisfaire par le pittoresque, la couleur locale et une action, une imagination souvent débridées (Hugo). Le roman « romanesque » est un sous-produit du précédent et s’attache aux amours, aux aventures d’individus, souvent imaginaires ou très mal connus, dans une « situation historique » (Dumas). Le feuilleton descend encore d’un échelon ; il forge cependant des légendes tenaces et plaît au public par son allure épique (Zévaco)[vi].
En somme, les passions ne s’écrivent-elles pas plutôt contre l’histoire qu’à ses côtés ? N’appellent-elles pas, par ailleurs, à porter le discrédit sur un genre bonimenteur, alors même que la valeur historique du roman qui revêt un potentiel édifiant, semblerait le mettre à l’abri de la condamnation morale à laquelle il est traditionnellement exposé ?
À ces deux aspects s’ajoute la passion pour l’histoire, qui est aussi bien celle de l’auteur et du lecteur que celle des acteurs historiques représentés. L’engagement historique, viscéral, est une passion motrice, souvent concurrente des passions privées : pensons aux dilemmes fertiles en romanesque auxquels sont confrontés les personnages des Chouans ou de Quatrevingt-treize. C’est d’ailleurs cette figuration de l’engagement historique des personnages qui discrimine à première vue les romans qui prennent l’histoire pour cadre et ceux qui la prennent pour objet. Ces derniers ne touchent-ils pas au but du genre en étant tout entiers orientés vers l’enjeu historique représenté ? Le choix du passé ne se justifie-t-il pas pleinement s’il conditionne la diégèse au point d’être la motivation même des personnages ? Se pose alors aussi la question du positionnement de l’écrivain et du lectorat : qu’est-ce qui suscite l’intérêt d’un tel roman ? La transposition d’enjeux contemporains dans un passé analogique ? Une passion d’historien ? Cette dernière relève-t-elle d’une quête des origines ? De la volonté, au XIXe siècle, de contribuer à l’écriture d’un roman national ?
Enfin et surtout, peut-être, le roman qui historicise les mœurs permet de faire l’histoire des passions, quelle que soit la nature de ces dernières. Sarah Mombert, dans son article « Apprendre l’Histoire au peuple, Alexandre Dumas vulgarisateur », rappelle que c’est en montrant l’Histoire « sous le jour universel des passions[vii] » que le romancier parvient à la rendre vivante, intelligible et accessible au lecteur contemporain. La division aristotélicienne est donc réactivée par le roman historique dont le pouvoir de dégager une vérité universelle repose moins en dernière analyse sur l’ancrage référentiel que sur la peinture des passions. Ce dernier aspect touche particulièrement à la réception intime du roman historique : le lecteur y cherche-t-il un plaisir de dépaysement ou de reconnaissance ? S’agit-il de mesurer l’évolution des passions et des caractères au fil du temps, ou leur continuité ?
Modalités de soumission :
Si le colloque porte principalement sur le roman historique du XIXe siècle, nous accueillerons avec plaisir les propositions permettant de fournir une perspective sur les siècles antérieurs ou postérieurs.
Les propositions de communication (titre, résumé de 3000 signes maximum, notice bibliographique et présentation de l’auteur.ice) sont à envoyer avant le 1er janvier 2026 aux adresses suivantes : jerome.dewasch96@gmail.com , claire.largillier@u-picardie.fr , marie-francoise.montaubin@u-picardie.fr .
Les réponses seront communiquées aux participants avant le 15 février 2026.
Bibliographie sélective :
ANSEL, Yves, « L’irrésistible ascension du romanesque dans le roman historique », dans Le roman historique : récit et histoire, Daniel Couégnas et Dominique Peyrache-Leborgne (dir.), Université de Nantes, Pleins feux, 2000.
BARBÉRIS, Pierre, « Roman historique et roman d’amour, lecture du “Dernier Chouan” », Revue d’Histoire Littéraire de la France, numéro 2-3, juin 1975, p. 289-307.
BERNARD, Claudie, Le Passé recomposé : le roman historique français du dix-neuvième siècle, [1996], Paris, Classique Garnier, 2021.
BORDERIE, Régine et JOUVE Vincent (dir.), Le temps des passions, XIXe -XXIe siècles, Paris, Classiques Garnier, Rencontres, n° 439, 2020.
COUEGNAS, Daniel et PEYRACHE-LEBORGNE, Dominique (dir.), Le Roman historique : récit et histoire, éd. Université de Nantes, Nantes, Pleins feux, 2000.
CROUZET, Michel, « Walter Scott et la réinvention du roman », dans Waverley. Rob Roy. La Fiancée de Lammermoor, Robert Laffont, Bouquins, Paris, 1987, p. 7-44.
DERUELLE, Aude et TASSEL, Alain (dir.), Problèmes du roman historique, Paris, L’Harmattan, 2008.
DURAND-LE GUERN, Isabelle, Le Roman historique, Paris, A. Colin, 2008.
GENGEMBRE, Gérard, Le Roman historique, Paris, Klincksieck, 2006.
KRULIC, Brigitte, Fascination du roman historique : intrigues, héros et femmes fatales, Paris, Autrement, 2007.
LUKÁCS, Georg, Le Roman historique, Paris, Payot, 1955.
MAIGRON, Louis, Le Roman historique à l’époque romantique : essai sur l’influence de Walter Scott, [1898], Genève, Slatkine Reprints, 2011.
MOLINO, Jean, « Qu’est-ce que le roman historique ? », Revue d’Histoire Littéraire de la France, numéro 2-3, juin 1975, p. 195-234.
NÉLOD, Gilles, Panorama du roman historique, Paris, Editions Sodi, 1969.
OLDENBURG, Zoé, « Le roman et l’histoire », La Nouvelle Revue Française, octobre 1972, numéro 238, p. 130-155.
PETITIER, Paule (dir.), « Penser avec l’histoire. », Romantisme, vol. 29 / 104, 1999.
PEYRONIE, André et PEYRACHE-LEBORGNE, Dominique (dir.), Le Romanesque et l’historique : marge et écriture, Nantes, Université de Nantes, éd. Cécile Defaut, 2010.
REFFAIT Christophe (dir.), Romanesque et histoire, Romanesques, n°3, Amiens, Encrage Université, 2008.
TADIÉ Jean-Yves, Le Roman d’aventures, Paris, PUF, 1982.
TILLIETTE, Marie-Agathe, Figures de marginaux dans le roman historique européen (1814-1836), Paris, Classiques Garnier, 2023.
VEYNE Paul, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, 1971.
Notes :
[i] Brigitte Krulic, Fascination du roman historique : intrigues, héros et femmes fatales, Paris, Autrement, 2007.
[ii] Prosper Mérimée, préface de la Chronique du règne de Charles IX, Romans et nouvelles, Paris, Gallimard, Pléiade, 1978, p. 251-252.
[iii] Hippolyte Romand, « Poètes et romanciers modernes de la France. IX. Alexandre Dumas », Revue des deux mondes, 3ème série, tome I, p. 133.
[iv] Christophe Reffait (dir.), Romanesque et histoire, Romanesques, n°3, Amiens, Encrage Université, 2008, p. 14.
[v] Claudie Bernard, Le Passé recomposé : le roman historique français du dix-neuvième siècle, [1996], Paris, Classique Garnier, 2021, p.98.
[vi] Gilles Nélod, Panorama du roman historique, Paris, Éditions Sodi, 1969, p.454.
[vii] Sarah Mombert. « Apprendre l'Histoire au peuple. Alexandre Dumas vulgarisateur », dans Dumas, une lecture de l'Histoire, Michel Arrous (dir.), Maisonneuve et Larose, p.589-608, 2003.