
Hybridités scéniques. Croisements des formes artistiques historiques et contemporaines (revue Scènes du monde)
Scènes du monde n° 2 : Hybridités scéniques.
Croisements des formes artistiques historiques et contemporaines
Le prochain numéro thématique de la revue Scènes du monde souhaite interroger les hybridités scéniques. Le terme « hybride », dérivé du latin hybrida, trouve son origine dans le champ de la biologie où il désigne l’issue, le fruit du « croisement de variétés ou d'espèces différentes » (Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, 1991), d’éléments « de nature différente [..] réunis » (Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française, 2024). Par extension métaphorique, son usage s’est élargi pour qualifier des entités constituées d’éléments hétérogènes, qu’il s’agisse de langues, de genres, de styles ou de natures différentes. Connoté négativement au cours des siècles, il a parfois été associé à des formes de bizarrerie ou d’impureté (Cetro, 2023).
L’une des premières occurrences de ce terme dans un sens esthétique apparaît chez Victor Hugo pour qualifier le style gothique, « entassement hybride d’arcades latines et de colonnades corinthiennes » (Notre-Dame de Paris, 1831, livre V, chap. 2). La connotation négative semble s’effacer au XXIème siècle où les termes « hybride » et « hybridité » désignent des formes ou des œuvres spécialisées. Appliquée aux champs des arts, l’hybridité désigne des formes de croisements qui redéfinissent à la fois les processus de création et les modes de réception. Plus spécifiquement, les hybridités scéniques s’entendent comme le mélange d’éléments différents dans les arts de la scène : techniques, pratiques, genres et styles, figures et références esthétiques issus de champs et d’époques distincts.
Quelques études universitaires ont déjà porté sur l’hybridité dans des domaines artistiques larges, comme le séminaire MARGE sur L’Hybridité (université Jean Moulin, Lyon, 2016) et l’axe « Relations inter-arts et hybridations artistiques » de l’unité de recherches THALIM (université Sorbonne nouvelle, Paris, 2017-2024), et sur le processus scénique lui-même, comme le projet du CRILCQ sur L’étude du phénomène d'hybridation dans la scénographie, sur « 'l'avant-garde' [théâtrale] officielle du Québec » (Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec, 2002-2005). Plus récemment, plusieurs événements ont interrogé les hybridités littéraires et théâtrales, comme les journées doctorales sur L’hybridité : pratiques et perspectives du laboratoire Litt&Arts (Université Grenoble-Alpes, 2020) ou le colloque sur Poétique et politique des écritures hybrides en scène du groupe de recherche sur la poétique de la scène contemporaine de l’IRET (Université de la Sorbonne, 2023). Les travaux récents soulignent qu’elles ne se résument pas au « produit final », mais s’inscrivent dans le processus même de la performance, révélant à la fois les tensions et les continuités entre traditions, technologies et esthétiques. Ainsi, elles permettent d’interroger les frontières entre temporalités et identités dans les arts, et ouvrent un champ d’analyse qui dépasse les catégorisations figées (Camilleri et Kapsali, 2020).
Ce numéro thématique cherche à enrichir la réflexion sur les hybridations dans les arts : rassemblant des écrits d’horizons divers et envisageant toutes les formes scéniques issues de toutes les régions du monde, il propose d’appréhender le phénomène des hybridations scéniques dans la pluralité des questionnements qui le traversent.
Quels sont les enjeux des hybridités scéniques dans le processus de création et de réception?
Veulent-elles surprendre, par la suggestion d’une association hors-normes, de « formes indisciplinées » (Féral, 2013) ; esquissent-elles au contraire une forme d’assimilation, ou l’esthétique d’un art total? Comment se croisent dans une même création la danse, le théâtre, les arts du cirque, du cabaret, le chant, l’opéra, les arts martiaux, les technologies contemporaines, la science ou les marionnettes, les gestes traditionnels et contemporains? Dans quelle mesure les hybridités scéniques remettent-elles en cause les catégories esthétiques européennes des siècles précédents (par exemple le « théâtre », la « danse », l’« opéra », la « performance »)? Pourquoi s’y rencontrent des créatures hybrides de la mythologie, des contes et des légendes comme le Minotaure, la sirène ou l’androgyne? Dans quelles mesures la scène permet-elle l’étonnant rapprochement d’êtres traditionnellement opposés, comme les représentations de genres, humaines et non-humaines, ou les éléments d’origine naturelle et surnaturelle? Comment se manifestent-elles à travers le corps de l’acteur·rice ou du performeur·se? Amènent-elles de nouvelles épistémologies du spectacle (Dubouilh et Katuszewski, 2022)? Peuvent-elles être considérées comme un paradigme esthétique de la contemporanéité, ou s’agit-il d’une logique récurrente de l’histoire des arts de la scène ? Quels sont les effets de l’hybridité sur les modes de production et de diffusion des œuvres : coproductions internationales, circulation entre espaces institutionnels et alternatifs, entre pratiques amateurs et professionnelles ? Comment les hybridités scéniques engagent-elles une réflexion sur la matérialité du corps, sa fragmentation ou son augmentation par les technologies numériques et biotechnologiques ?
Faire état de la notion d’hybridité revient à interroger et combiner - hybrider - plusieurs axes analytiques, méthodes et temporalités ou périodes historiques. Il s’agira à la fois de clarifier et de typologiser la notion d’hybridité (médiale, spatiale, temporelle, générique, identitaire), d’analyser des études de cas où plusieurs formes se croisent, et d’explorer les perspectives historiques et transhistoriques. L’appel souhaite également ouvrir la réflexion sur la réception des œuvres hybrides par les publics, ainsi que sur les enjeux éthiques, politiques et identitaires qu’elles soulèvent. Enfin, une attention particulière sera portée aux hybridités émergentes liées aux technologies contemporaines et aux nouveaux modes de performance.
Les pistes de réflexion proposées, non exhaustives, participent à un éclairage des arts de la scène comme processus de création vivant, qui remet en question toute assertion de prééminence et toute forme figée, sur les scènes du monde. Les propositions pourront répondre aux pistes proposées dans les axes suivants, être à la confluence de plusieurs des thématiques qui vont suivre ou bien découler d’autres thématiques pertinentes. Ce numéro propose de publier des articles qui interrogent les hybridités scéniques sous des angles conceptuels, esthétiques et pratiques.
Axe 1 : L’hybridité dans l’imaginaire de la création
Les créatures hybrides fabuleuses représentent des corps nourris par l’imaginaire littéraire, mythologique ou légendaire. Mi-humaines, mi-animales, mi-machines, elles troublent les frontières entre les règnes, les identités, les genres et les corps. Pourquoi représenter ces êtres hybrides dans le théâtre, la danse, l’opéra, le cirque, les performances ou encore les arts numériques ? L’androgyne, l’hermaphrodite, le minotaure, la chimère, les sirènes et autres monstres des mythes,reviennent régulièrement sur le devant de la scène sous d’étonnants éclairages. Dans quelles mesures la scène permet-elle l’étonnant rapprochement d’êtres traditionnellement opposés, comme les représentations de genres, humaines et non-humaines, ou les éléments d’origine naturelle et surnaturelle? Comment leur présence sur scène peut-elle redéfinir la figure du monstre, de la marge, ou de la transcendance? Comment certains « monstres » hybrides féminins notamment, éclairent-elles les questions contemporaines sur le corps féminin, les regards qui en façonnent les normes ? La figure de Méduse, par exemple, représentée par le collectif belge La Gang dans Méduse.s amène par les représentations scéniques un éclairage sur le parcours de femmes violées et questionne les liens entre genres, corps et pouvoir. Les êtres hybrides animaux, par ailleurs, évoquent des symboles de transcendance dans le répertoire du Bharata-nāṭyam en Inde (Margnac, 2022 et 2023) tandis qu’ils résonnent avec des personnages inquiétants dans des créations européennes comme Le jardin des délices de la chorégraphe espagnole Bianca Li, ou l’« humanimalité en jeu » (Duviquet 2019) du répertoire théâtral québécois, qui viennent confronter les publics à l’altérité et interroger « les traits de l’humanité » (Nutting 2011-2012). Au-delà des mythes, les figures hybrides se réinventent dans les propositions scéniques contemporaines à travers des créatures composites, des corps prolongés, des formes polysémiques, comme dans le théâtre Zingaro, où les êtres semblent fusionner pour former comme un nouveau centaure. Dans le cas des mises en scènes où les êtres vivants non-humains sont sollicités, comme les chevaux, les oiseaux, et d’autres animaux, comment s’articulent esthétique et éthique ? Nous nous intéresserons aussi à des choix scéniques qui privilégient les formes hybrides à un niveau subversif : les créations de Romeo Castellucci, comme Tragedia Endogonidia, l’esthétique queer jouent à travers ces figures sur les genres classiques de la tragédie et de la comédie. Comment interrogent-elles la représentation elle-même?
Axe 2 : Enjeux politiques et culturels de l'hybridité : postcolonialisme, métissages et écologies du vivant
Dans le sillage des travaux de Homi Bhabha, l’hybridité peut être comprise comme un third space, un espace d’entre-deux où s’inventent de nouvelles identités et de nouvelles pratiques culturelles à partir de la rencontre entre différentes traditions esthétiques et politiques (Bhabha 2007). Les scènes « transculturelles » -du Théâtre du Soleil à l’Odin Teater, en passant par les expériences de Peter Brook ou de Richard Schechner- ou les pratiques telles que le Code-switching, réactivent cette dynamique. Ces hybridations soulèvent alors des questions politiques et culturelles : comment les scènes contemporaines mettent-elles en jeu, voire déplacent-elles, les « traditions » et les frontières entre identité et altérité ? Dans quelles mesures reproduisent-elles ou déplacent-elles les tensions entre une culture « dominante » et une culture « dominée » ? Quels nouveaux passages entre les « lieux de la culture » (Bhabha 2007) se glissent dans l’héritage de l’histoire coloniale opposant « peaux noires, masques blancs » (Fanon 1952) ? La question du métissage comme processus non linéaire, générateur d’un résultat « imprévisible et imprévu » (Glissant 2001) peut également être explorée, notamment dans des pratiques artistiques nées dans les contextes de créolisation. Dans quelle mesure l’hybridité scénique permet-elle de créer des « tiers espaces » où les traditions et identités culturelles dialoguent ou entrent en tension ?
Enfin, les hybridités scéniques interrogent l’identité et la place de chaque être, humain et non humain, engageant également une réflexion écologique sur les espaces scéniques. Les pratiques site-specific, les dispositifs numériques ou les performances situées dans des musées et des terrains vernaculaires montrent que la forme théâtrale se négocie toujours avec l’architecture, la mémoire des lieux et la présence des publics (Pearson 2010). Ces écologies du vivant élargissent l’hybridité au-delà du culturel pour inclure des interactions entre humains, environnements et techniques. Comment les pratiques artistiques interrogent-elles la relation entre nature et culture, humain et non-humain, vivant et technique ? Dans quelle mesure les écologies scéniques questionnent-elles la durabilité, la mémoire des lieux et l’empreinte culturelle ou écologique des performances ? Comment les hybridités postcoloniales et écologiques se combinent-elles pour produire des formes scéniques inédites ou disruptives ?
Axe 3 : Hybridités historiques, transhistoriques, anachronismes et temporalités multiples
En France, on connaît les premières manifestations de spectacles dits « mixtes » (opéra, musique et théâtre) dès 1659 (De Luca, 2024). Les grandes étapes de l’évolution ou les tournants de ces pratiques scéniques s’étendent du XVIIIe au XXIe siècle, et leur théorisation s’est notamment consolidée au sein des mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle. Depuis la modernité et la postmodernité, ces formes occupent une place récurrente dans le champ des recherches en arts et de la théorie esthétique, selon des approches disciplinaires variées (sociologie, littérature, études culturelles, études théâtrales et performatives, etc.). Néanmoins, il convient de souligner que la terminologie demeure hétérogène, des dispositifs d’hybridité aux hybridations entre les arts et esthétiques « mélangistes » (De Luca, 2024). Une question émerge : convient-il de considérer ces pratiques comme un genre à part entière ou comme des formes/pratiques artistiques expérimentales?
Cet axe se propose d'interroger les formes d'hybridation qui se déploient au travers des temporalités scéniques, en explorant la manière dont les arts vivants mobilisent, réinventent et réagencent des éléments du passé dans le présent de la scène, que cela soit au sein de la narration, de la mise en scène, des gestes ou des techniques utilisées. L’hybridité historique et transhistorique désigne alors les croisements entre différentes époques et traditions qui peuvent produire des effets d’anachronisme ou de co-présence temporelles (Freeman, 2010). Nous appelons des contributions qui questionnent l’usage dramaturgique et heuristique de l’anachronisme, mais aussi les pratiques de réemploi, de réinvention et de reenactment. Les mises en scène qui mêlent registres de langage, costumes d’époques différentes ou environnements sonores anciens et contemporains sont autant de manières d’interroger la fabrique du temps scénique (Fischer-Lichte, 2004). Comment les artistes se réapproprient-ils des gestes, des rituels ou des œuvres anciennes ? Quelle place occupe la mémoire incarnée dans ces processus de transmission ? Quels enjeux politiques et culturels soulèvent les choix de ce qui est réemployé et de ce qui est écarté ? Comment les dispositifs hybrides modifient-ils les modes de narration et de temporalité ? Quelles stratégies permettent de mêler histoires linéaires et récits fragmentaires, mémoire individuelle et collective, ou temporalités multiples ?
Une attention particulière pourra être portée à une approche archéologique des formes et des gestes : certaines pratiques ou techniques persistent, disparaissent puis réapparaissent dans de nouveaux contextes, comme les créations de la compagnie mexicaine Lagartijas Tiradas al Sol. Les concepts de survivance (Warburg, 2012 ; Agamben, 2008) offrent ici un cadre fécond pour comprendre comment ces traces traversent les époques et deviennent elles-mêmes des matériaux hybrides. Une approche historique des différents arts vivants et médias (arts circassiens, opéra, ballet, théâtre, performance artistiques, rituels…) ainsi que de leurs croisements est aussi encouragée. Quelle subversivité, par exemple, ressort de Kalakuta Republik de l’artiste belgo-nurkinabé Serge Aimé Coulibaly ? Aussi, au-delà des réinterprétations, l’on peut s'interroger sur les temporalités transhistoriques en se demandant comment des formes disparates de divers siècles dialoguent, non seulement comme référence ou citation, mais comme structure constitutive. En interrogeant les transmissions, les rémanences et les temporalités multiples des arts vivants, cet axe souhaite ouvrir un espace de réflexion sur les historicités plurielles qui structurent les créations contemporaines et échanges historiques entre les arts vivants et leurs techniques.
Axe 4 : Hybridités linguistiques et traductions
“Il y a des entre-deux que permet la langue. C’est par le plateau et le travail physique que vous restez dans le trouble”. Cette remarque de chercheuses universitaires (Duviquet, 2019) souligne combien les langues constituent un espace de création où se rencontrent diversités linguistiques et expérimentations artistiques. Le terme « hybride », lui-même, appartient également à la terminologie linguistique : l’hybride lexical est en effet employé pour un néologisme issu principalement d’une association qui combine les mécanismes de dérivation et d’emprunt à des langues différentes. En croisant plusieurs langues, les hybridités scéniques créent aussi des formes d’engagement politique, comme le Festival des langues de l’université Paris 8 conçu comme une réponse aux logiques uniformisantes de la globalisation et de la culture globish et s’affirme comme un lieu de « résistances pratiques, artistiques et sociales, de créativités poétiques et politiques, qui sont autant de défis aux pensées de la globalisation comme uniformisation culturelle et cognitive, formulés depuis les Humanités » (UFR LCE, 2023). L’hybridité linguistique apparaît dans le processus de création par les enjeux de traduction et d’esthétique. Sont bienvenues des propositions étudiant des pièces multilingues comme dans celles de la chorégraphe allemande Pina Bausch, interrogeant les langages verbaux et non-verbaux, combinant théâtre et autres formes artistiques. des pièces où se croisent les langues Comment la polyphonie linguistique, notamment en confrontant et mêlant langues majoritaires et minorées, traditions et contemporanéité, devient-elle matière esthétique et politique? Quel rôle la mise en scène joue-t-elle dans la légitimation du multilinguisme, afin qu’il ne soit pas perçu comme un simple assemblage hétéroclite, mais comme une nécessité artistique et dramaturgique ? Dispositifs plurilingues sur scène : que produit la coexistence de plusieurs langues dans une même création ? Comment les spectateur·rices sont-ils invité·es à écouter, à ne pas comprendre, à traduire eux-mêmes ?
Cet axe de réflexion peut également s’intéresser à la cohabitation de langues européennes dans une pièce, comme dans le répertoire de Tiago Rodrigues où elles se croisent dans un dispositif participatif autour de la mémoire poétique ; et de langues plus « étrangères », comme dans les performances de l’artiste libanaise Tania El Khoury mêlant participation du public, traduction, voix off et sur-titrage différé, ou dans celles de l’artiste haïtienne Kettly Noël, où les langues sont mêlées au silence et à l’absence de traduction.
Axe 5 : La question de la réception et des types de publics dans le contexte des pratiques hybrides
Les hybridités scéniques ne se manifestent pas uniquement sur le plateau ; elles expérimentent également du côté du public. En articulant médias, disciplines et régimes de signes divers, elles modifient la position des spectateur.rice.s, pouvant susciter fascination, déstabilisation ou perplexité face à un maelström de codes inédits (Auslander, 2008). L’expérience de l’hybridité varie selon le bagage culturel et esthétique des spectateur.rice.s : adeptes des formes expérimentales et amateur.ices de théâtre classique n’accèdent pas de la même manière aux œuvres hybrides, qui exigent des lectures plurielles et des modalités de perception différenciées (Bennett, 1997; Rancière, 2008). Dans le même temps, les recherches sur les publics ont évolué, soulignant la diversité des publics et des formes d’expérience qu’offre l’art, qu’il s’agisse de réception, d’engagement, de perception ou d’expérience corporelle et sensorielle (Ibanez, 2014 ; Girel, 2004 ; Cibois, 2008). Pourtant, la typologie des publics spécifiquement dans le cadre des pratiques hybrides reste encore peu explorée. Comprendre ces publics et la manière dont ils interagissent avec les formes hybrides apparaît donc crucial pour analyser pleinement l’expérience artistique contemporaine.
Si l’on considère que la généralisation et l’accélération des pratiques hybrides s’inscrivent dans un processus de globalisation (Fredric, 2011), ces pratiques invitent à repenser les catégories traditionnelles de la réception et le rôle du récepteur, ainsi que leurs rapports à l’œuvre hybride, notamment à la lumière de l’émergence de nouvelles identités du public (spectateur.rice, utilisateur.rice, spect’acteur.rice, etc.) et du rôle des types de publics. Ces formes scéniques génèrent-elles des publics hybrides, à la croisée du spectateur théâtral, du visiteur·rice d’exposition, de l’auditeur.rice, ou encore du participant.e à un dispositif interactif ? Les contributions pourront explorer les modalités de construction de ces publics, leurs expériences, ainsi que les pratiques qui favorisent ces nouvelles formes d’interaction.
Les effets de ces pratiques sur le public, et et vice-versa, pourront être examinés selon plusieurs dimensions : perceptive (modèles de perception, engagement, plaisir, résistance), cognitive (compréhension, difficultés de catégorisation), émotionnelle et affective. Les contributions pourront également interroger les obstacles et défis à l’engagement des publics face aux formes d’hybridité scénique.
Dans ce contexte, plusieurs questions se posent : quels déplacements perceptifs et interprétatifs ces formes produisent-elles ? Comment les dispositifs multimédias et interactifs créent-ils des régimes attentionnels et émotionnels inédits ? Comment participent-elles à la constitution de nouveaux types de publics et à l’émergence d’espaces d’expérience partagée entre disciplines et médias ? Enfin, dans quelle mesure l’hybridité interroge-t-elle les cadres institutionnels, la médiation culturelle et les normes esthétiques classiques, en redéfinissant les liens entre création et réception ?
Axe 6 : Nouvelles technologies et hybridités émergentes
Les hybridités scéniques liées aux technologies renvoient à la notion d’intermédialité, ntendue comme la rencontre entre différents médias au sein d’une même performance (Larrue, 2015). Sur les scènes contemporaines, les technologies ne se contentent pas seulement d’accompagner la représentation : bien souvent, elles deviennent de véritables matières artistiques, participant à la construction de l’espace et de la temporalité scéniques. Projections, sons spatialisés, dispositifs interactifs ou images de réalité augmentée viennent, par des collages et des juxtapositions, transformer l’expérience théâtrale. Par exemple, les créations de Julien Gosselin, de Robert Lepage, ou encore de Romeo Castellucci illustrent ce croisement. De leur côté, des pièces comme Daddy de Marion Siéfert et les expérimentations de collectifs émergents explorent l’interaction entre théâtre, jeu vidéo et médias numériques (Auslander 2008; Salter 2010).
Dès lors, au-delà du simple ajout de ces nouveaux médias, l’enjeu semble porter sur la manière dont ces intrusions redessinent la présence sur scène: entre le corps de l’acteur.rice et son double médiatisé, entre l’espace concret du plateau et l’espace virtuel qui s’y superpose. Comment ces dispositifs reconfigurent-ils la performativité et la réception ? Par ailleurs, l’usage des technologies questionne la notion même de présence : qu’entend-on par « présence scénique » lorsque le réel et le virtuel coexistent et interagissent sur scène ? Quels nouveaux régimes « d’ici-et-maintenant » apparaissent ? Comment ces dispositifs modifient-ils l’attention, la perception et l’immersion et les régimes d’attention des spectateur.rices ?
—
Modalités de soumission :
Les textes doivent être envoyés à l’adresse : sdm@listes.univ-paris8.fr
Les propositions d’articles entre 200 et 250 mots seront accompagnées du titre (en français et en anglais), de 5 mots-clés (en français et en anglais) et d’une brève notice bio-bibliographique.
Les articles seront évalués anonymement par deux personnes issues du comité scientifique /spécialistes de la thématique du numéro.
Coordinateurs/trices de ce numéro :
Julien Alibert, Malika Guetni, Géraldine-Nalini Margnac, Capucine Sammani.
Directrice de revue :
Nathalie Coutelet.
—
Calendrier
Date de l’appel : 02 octobre 2025
Date limite de soumission des résumés d’articles : 20 novembre 2025
Réponse : courant décembre 2025
Les articles complets (entre 20 000 et 40 000 signes) sont attendus pour le 20 février 2026.
Les normes de rédaction de la Revue sont consultables sur notre site :
https://univ-paris8.hal.science/REVUE_SCENES/page/page-personnalisable
Tout projet d’article est soumis à un processus de relecture externe conformément aux règles de la revue. Aucun frais de publication ne sera demandé.
Publication en ligne après expertise : courant de l’été 2026
—
Bibliographie indicative
Andrieu B. (2011). « L’hybridation est-elle normale ? », ERES, Chimères n°75, p. 17-32, URL :https://doi.org/10.3917/chime.075.0017 .
Auslander P. (2008). Liveness: Performance in a mediatized culture. Routledge.
Bäckström P., Führer, H. & Schirrmacher, B. (2021). The intermediality of performance. Routledge.
Bay-Cheng S. (2010). Mapping intermediality in performance. Amsterdam University Press.
Bennett S. (1997). Theatre audiences: A theory of production and reception (2e éd.), Routledge.
Bhabha H. K. (2006), « Le tiers-espace. Entretien avec Jonathan Rutherford », Multitudes, n°26, p. 95-107.
Bhabha H. K. (2007). Les lieux de la culture : Une théorie postcoloniale (Trad. F. Bouillot, à partir de l’édition originale en anglais The Location of Culture), Payot.
Bonnivart E. (2019). « Les corps hybrides du théâtre : techniques du vivant et arts de la scène », in Revue Déméter, n°3.
Braidotti R. (2013). The Posthuman, Polity Press.
Budor D. et Geerts W. (2004). Le texte hybride, Presses de la Sorbonne Nouvelle.
Butler J. (2005, éd. origin. 1990). Trouble dans le genre : Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte.
Camilleri F. & Kapsali M. (2020). On hybridity. Performance Research, 25(4), 1–6, URL : https://doi.org/10.1080/13528165.2020.1842022
Cetro R. (2018). « Hybride, de la bâtardise à l’innovation technologique », Revue italienne d’études françaises [En ligne], 8, URL : http://journals.openedition.org/rief/1893
Chapple F. & Kattenbelt C. (2006). Intermediality in theatre and performance. Rodopi.
Chemers M. (2013). « Monsters, Cyborgs and Automata: Theatre in a Posthuman Age », in Theatre Journal, vol. 65, 2013
Coustillas E. (2021). « Un corps à plusieurs corps : figures de l’hybridation dans les arts de la scène », in Revue Théâtre/Public, n°242.
Danière L. (2021). Figures de l’hybride dans les arts vivants : entre esthétique et politique. Recherches en Esthétique, (26), 81–91.
Dubouilh S. et Katuszewski P. dir. (2022), Observer le théâtre : pour une nouvelle épistémologie des spectacles, Presses Universitaires de Bordeaux, « Universcènes ».
Duviquet J. (2019), « L’humanimalité en jeu », entretien réalisé par Frédérique Aït-Touati et Flore Garcin-Marrou, thaêtre [en ligne], Chantier #4 : Climats du théâtre au temps des catastrophes. Penser et décentrer l’anthropo-scène.
De Luca E. (2024). « Spectacles hybrides : productions professionnelles à Versailles en 1740 », Littératures classiques 1 N° 113, 2024. p.137-158. URL : https://shs.cairn.info/revue-litteratures-classiques-2024-1-page-137?site_lang=fr
Fanon F. (1952). Peau noire, masques blancs. Paris : Éditions du Seuil.
Féral J. et Perrot, E. éd. (2013), Le réel à l’épreuve des technologies. Presses universitaires de Rennes, https://books.openedition.org/pur/79518
Féral J. dir. (2009). Théâtres du corps. Les enjeux du corps dans la scène contemporaine, L’Entretemps.
Féral J. (2015). « Du corps normé au corps hybride : des identités mutantes », Ecritures migrantes du genre (II). Mettre en scène les croisées de la littérature avec les arts visuels et les arts du spectacle, Mireille Calle-Grüber, Paris, France.
Fischer-Lichte, E. (2008). The transformative power of performance: A new aesthetics. Routledge.
Fredric, J. (2011). Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Ecole nationale supérieure des beaux arts, Paris.
Freeman E. (2010). Time binds: Queer temporalities, queer histories. Duke University Press.
Gambier Y. (2011). « Introduction », Hybridité discursive et culturelle, édition de Eija Suomela-Salmi et Yves Gambrier, Paris, L’Harmattan, p. 7-23.
Gamboni D. (1997). The Destruction of Art, Londres, Reaktion Books.
Glissant É. (2001). Métissage, créolisation, latinité. Communication présentée à l’Académie de la latinité, Rio de Janeiro.
Gruzinski S. (1999), La pensée métisse, Paris, Fayard.
Gwiazdzinski L. dir. (2016). L’hybridation des mondes : Territoires et organisations à l’épreuve de l’hybridation. Elya Éditions.
Ibanez Bueno J. (2014), « ©box : immersion corporelle dans un dispositif hybride », in Figures de l'art, Revue d'études esthétiques, n°26, Arts immersifs, Dispositifs et expériences, p. 213-229.
Jacinto G. et Plana M. (2021). « Nouvelle scène queer : performance, théâtralité, politique », Skén&graphie, 7, p. 21-38.
Jameson F. (2007), Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, traduction du texte original américain (1991) par Florence Nevoltry, Beaux-Arts de Paris.
Kuortti J. et Jopi N. ed. (2007). « Introduction : Hybridity Today », Reconstructing Hybridity. Post-Colonial Studies in Transition, Rodopi, p. 1-18.
Louviot M. (2010). Poétique de l’hybridité dans les littératures postcoloniales, Thèse de Doctorat, Université de Strasbourg.
Larrue J.-M. dir. (2015). Théâtre et intermédialité. Presses universitaires du Septentrion.
Margnac G-N. (2023). « Le taureau : duels et duos. Étude comparée de mythes et de rites d'Europe et d'Inde du Sud à travers les arts de Pablo Picasso à Nandi », Publications de la Société de Mythologie Française, vol. 2024.
Margnac G-N. (2022). « La création en jeu. Étude d’extraits : Daśāvatār dans le style Bharata - Nāṭyam (Inde du Sud) », in Dubouilh S. et Katuszewski P. op. cit.
Moniques R., Lacelle N. et al. (2018). « Productions hybrides / multimodales et apprentissage informel : analyse de quelques pratiques d'artistes et de jeunes, Littératie médiatique multimodale et apprentissages disciplinaires », volume 2, p. 1-37. URL : https://id.erudit.org/iderudit/1047317ar.
Nutting S. (2011-2012). « L’animal au théâtre ou la mise en jeu d’une altérité radicale », L’Annuaire théâtral, N°50-51, p. 155–169.
Pavis P. (2002). Dictionnaire du théâtre, Armand Colin.Pearson M. (2010). Site-specific performance, Palgrave Macmillan.
Picon-Vallin, B. (2001). « La mise en scène et le texte », in Sorlin P. et al. (éd.) , L’art et l’hybride, coll. « Esthétiques hors cadre », Presses universitaires de Vincennes. URL : https://books.openedition.org/puv/598
Pradier J-M. (1996). « Corps en scène, corps en signes », in Ligeia, n°13-14.
Rancière J. (2008). Le spectateur émancipé, La Fabrique.
Ruby, C. (2013). Hybridation. Dans J. Lévy & M. Lussault (Éds.), Dictionnaire de géographie et de l’espace des sociétés (2e éd.), Belin.
Salter, C. (2010). Entangled: Technology and the transformation of performance. MIT Press.
Samoyault, T. (2001). L’hybride et l’hétérogène. Dans P. Sorlin, M.-C. Ropars-Wuilleumier, & M. Lagny (Éds.), L’art et l’hybride (pp. 175–188). Presses universitaires de Vincennes.
Schneider, R. (2011). Performing remains: Art and war in times of theatrical reenactment, Routledge.
Semon J. (2012). Le Monstre dans la scène contemporaine, Presses Universitaires de Rennes.
Sorlin P., Ropars-Wuilleumier M.-C. & Lagny M. éd. (2001). L’art et l’hybride. Presses universitaires de Vincennes.
Taylor D. (2007). The archive and the repertoire: Performing cultural memory in the Americas (3e éd.). Duke University Press.
Warburg A. (2012). La survivance des images et autres textes. L’Herne.