
Imaginaires tissés. Circulations et translations entre les arts et le textile (revue Couturière, n°4)
Imaginaires tissés
Circulations et translations entre les arts et le textile
Revue Couturière - Classiques Garnier, n°4, automne 2026
(numéro mécéné par le fonds de dotation agnès b.)
Antoine Constantin-Caille (École de Condé, Nice) & Gaëlle Viémont (ENSATT, Lyon)
Appel en français
Le quatrième numéro de Couturière (Classiques Garnier) se propose d’explorer les liens entre le champ large du textile et les arts (toutes disciplines envisagées). Il s’agira de considérer les œuvres textiles elles-mêmes, dans leurs dimensions artistiques, artisanales et performatives, mais aussi leurs déploiements protéiformes, abstraits et concrets, au sein d’autres champs artistiques (arts de la scène, arts visuels, cinéma et photographie, nouveaux médias, design et arts appliqués, littérature et poésie…). Le potentiel d’inspiration de la matière textile, qu’il provienne d’un motif esthétique, d’une procédure, ou d’un imaginaire social ou plus métaphysique, demande à être au cœur d’une réflexion globale sur le renouvellement des horizons artistiques au moyen du geste et des approches filées, tissées, nouées, nattées, tressées...
Si le textile, et les procédés artisanaux qu’il convoque, présente un caractère universel et accessible, liant souvent techniques et communautés, intentions plastiques et projet collectif, voire politique (John Scheid et Jesper Svenbro, Le Métier de Zeus, 2003), il n’en est pas moins longtemps demeuré un genre mineur, un à-côté des grands récits civilisationnels occidentaux et des Beaux-arts. L’imaginaire fonctionnaliste de la sphère textile (tissages, tapis, tapisseries, dentelles, habillements, tricots…) a maintenu, jusqu’au milieu du XXe siècle, ses créateurs et créatrices à la marge du champ muséal et de la noble reconnaissance artistique. Le sociologue Howard S. Becker (Les Mondes de l’art, 1988) utilisait à dessein l’exemple des quilts américains pour démontrer qu’une œuvre est reconnue comme telle en fonction du régime auquel elle est soumise (réseau d’identification, relais, critiques, discours, processus de valorisation…) plutôt qu’en raison de ses qualités intrinsèques.
On observe depuis les années 1960-70 un déploiement accru du champ textile dans les arts, devenant lui-même une discipline artistique et un objet d’intérêt pour des arts majeurs. La sculpture molle, en anglais Soft sculpture, désigne depuis lors des œuvres muséales réalisées à partir de matériaux souples parmi lesquels le textile. C’est aussi l’époque de la formalisation du Fiber Art, aux Etats-Unis et en Europe, et de la visibilisation croissante de ses artistes, femmes pour la plupart (Anni Albers, Faith Rinngold, Magdalena Abakanowicz, Mary Walker Phillips, Katherine Westphal, Lenore Tawney, Judith Scott…). Celles-ci ont alors choisi de mobiliser des techniques traditionnelles, assignées au genre féminin et à la sphère domestique, comme medium d’expression esthétique et politique, substituant l’aiguille et la navette au pinceau et au couteau.
On assiste aujourd’hui à une démultiplication de l’offre muséale avec un renouvellement de l’horizon des Beaux-arts suscité par le textile et ses techniques. On pense aux très récentes expositions monographiques suivantes : Jeffrey Gibson, premier natif américain sélectionné pour représenter les USA à la soixantième biennale de Venise, mêlant textiles et performances, en 2024 ; Pacita Abad, connue pour ses trapunto monumentaux, hybridés avec de la peinture, dont la première rétrospective a eu lieu en 2023 au Walker Art center de Minneapolis ; Olga de Amaral, renommée pour ses œuvres abstraites, tissées de feuilles d’or, à la fondation Cartier, en 2024-25. On peut mentionner également l’exposition Woven Histories : textiles and modern abstraction, présentée dans plusieurs institutions américaines d’envergure [1] depuis 2023, explorant le tissage comme source d’inspiration de la peinture abstraite, ou à l’exposition artistique et scientifique Reticulum Maris – dentelle des Mers, en 2024-2025 au Musée de la Dentelle de Caudry, présentant les explorations de Jérémy Gobé, produisant des artefacts interagissant avec les coraux pour les régénérer. Cette plus grande visibilité entraîne en retour un intérêt majoré pour le domaine, qu’il convient d’interroger, chez des artistes d’autres champs, et chez les chercheurs et chercheuses de disciplines variées.
Plusieurs interrogations naissent de ces constatations : Comment, observés à nouveaux frais, les imaginaires tissés participent-ils à réécrire l’histoire de l’art ? Comment les arts majeurs s’emparent-ils du médium textile pour réinventer formes et contenus ? Comment le domaine du textile et sa visibilisation modifient les perceptions et les horizons d’attentes des spectateurs et spectatrices ? Comme l’imaginaire textile informe et irrigue d’autres formes esthétiques ? Comment les œuvres textiles entrent dans un système de sélection qui diffuse mais normalise leurs contours et leurs messages ?
Suggestions d’axes
- Les outils critiques d’analyse des œuvres textiles et leurs représentations/utilisations dans d’autres catégories artistiques.
- La métamorphose des discours dont les œuvres textiles sont le support et le relais et leurs impacts, a fortiori en lien avec d’autres formes d’expression artistique.
- Les motifs de l’engouement récent pour les médiums longtemps dits « mineurs », leur réévaluation dans le sillage des études de genre, des études post-coloniales et de l’écoféminisme. Les effets et les contre-effets, les avancées et les impasses de ces nouvelles visibilités.
- Les enjeux politiques, sociaux, artistiques et environnementaux des arts tissés et des œuvres textiles actuels dans leurs dimension abstraites, politiques, symboliques mais aussi très concrètes, avec action sur le vivant.
- L’inspiration, la convocation voire la réappropriation de techniques, motifs, équilibres graphiques et colorés issus de cultures et de strates sociales variées, qu’il s’agisse de groupes longtemps pensés comme « primitifs » ou de populations aux modes de vie disparus ou en cours de disparition, perçues comme authentiques.
- La résonance avec la tendance de la slow fashion et du visible mending : réemploi, reprise, réparation pour une posture contre-productiviste, mais aussi la tension entre les pratiques artistiques du visible mending et son utilisation élargie à des fins mercantiles, le surcyclage (upcycling) et l'écoblanchiment (greenwashing).
- Les liens intrinsèques entre la tradition textile, l’organicité, la corporalité et la mécanicité désincarnée (le premier ordinateur est un métier à tisser, vocabulaire commun entre la technologie informatique et le milieu du textile, continuum entre l’hyper-ancestral et l’hyper-contemporain).
Les propositions en français et en anglais (3000 signes espaces comprises + CV résumé) sont attendues avant le 30 décembre 2025, aux trois adresses suivantes : revuecouturiere@gmail.com, antoineconstantincaille@gmail.com et g.viemont@gmail.com. Elles feront l’objet d’un retour du comité de rédaction avant le 15 janvier 2026.
Les articles (20 000 à 30 000 signes espaces comprises), respectant strictement les normes de mise en forme de l’éditeur Classiques Garnier, devront nous arriver avant le 15 mai 2026, pour une parution à l'automne 2026.
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Woven Imaginaries
Circulations and Translations between the Arts and Textiles
revue Couturière - Classiques Garnier, No. 4, Fall 2026
Issue sponsored by fonds de dotation agnès b.
Antoine Constantin Caille (École de Condé, Nice) & Gaëlle Viémont (ENSATT, Lyon)
Call in English
The fourth issue of Couturière (Classiques Garnier) explores the links between the broad field of textiles and the arts. This will involve considering the textile works themselves, in their artistic, artisanal, and performative dimensions, but also their protean, abstract, and concrete deployments within other artistic fields (performing arts, visual arts, cinema and photography, new media, design and applied arts, literature and poetry, etc.). The inspirational potential of textile materials, whether derived from aesthetic motifs, procedures, or social or metaphysical imaginings, demands to be at the heart of a global reflection on the renewal of artistic horizons through gesture and spun, woven, knotted, braided, and plaited approaches.
While textiles, and the artisanal processes they call upon, present a universal and accessible character, often linking techniques and communities, visual intentions and collective, even political, projects (John Scheid and Jesper Svenbro, Le Métier de Zeus, 2003), they nonetheless remained for a long time a minor genre, a alongside the great narratives of Western civilization and the fine arts. The functionalist imaginary of the textile sphere (encompassing weavings, carpets, tapestries, lace, clothing, knitwear, etc.) kept its creators on the margins of the museum field and out of the realm of noble artistic recognition until the mid-20th century. Sociologist Howard S. Becker (Les Mondes de l'art, 1988) deliberately used the example of American quilts to demonstrate that a work is recognized as such based on the regime to which it is subject (identification network, relays, critiques, discourses, valorization processes, etc.) rather than because of its intrinsic qualities.
Since the 1960s and 1970s, we have observed an increased deployment of the textile field in the arts, the field itself evolving into an artistic discipline and an object of interest for major art forms. Soft sculpture has since then referred to museum works made from flexible materials, including textiles. This was also the era of the formalization of Fiber Art in the United States and Europe, and the growing visibility of its artists, most of whom were women (Anni Albers, Faith Ringgold, Magdalena Abakanowicz, Mary Walker Phillips, Katherine Westphal, Lenore Tawney, Judith Scott, etc.). These artists then chose to use traditional techniques, assigned to the feminine gender and the domestic sphere, as a medium of aesthetic and political expression, substituting the needle and shuttle for the brush and knife.
Today, we are witnessing a proliferation of museum offerings, with a rejuvenation of the Fine Arts horizons inspired by textiles and their techniques. Recent solo exhibitions include: Jeffrey Gibson, the first Native American selected to represent the United States of America at the sixtieth Venice Biennale, combining textiles and performance, in 2024; Pacita Abad, known for her monumental trapuntos, hybridized with painting, whose first retrospective took place in 2023 at the Walker Art Center in Minneapolis; Olga de Amaral, renowned for her abstract works, woven with gold leaf, at the Fondation Cartier, in 2024-25. We can also mention the exhibition Woven Histories: textiles and modern abstraction, presented in several major American institutions since 2023, exploring weaving as a source of inspiration for abstract painting, or the artistic and scientific exhibition Reticulum Maris – dentelle des Mers, in 2024-2025 at the Musée de la Dentelle de Caudry, presenting the explorations of Jérémy Gobé, producing artifacts interacting with corals to regenerate them. This greater visibility, in turn, leads to increased interest in the field, which should be questioned, among artists from other fields and among researchers from various disciplines.
Several questions arise from these observations: How, when viewed anew, do woven imaginaries contribute to rewriting Art history? How do the major arts seize upon the textile medium to reinvent forms and content? How does the textile field and its visibility change viewers' perceptions and horizons of expectation? How does the textile imaginary inform and irrigate other aesthetic forms? How do textile works enter a system of selection that diffuses but standardizes their contours and messages?
Suggested areas of research
- Critical tools for analyzing textile works and their representations/uses in other artistic categories.
- The metamorphosis of discourses for which textile works are the medium and relay, and their impacts, particularly in relation to other forms of artistic expression.
- The recent enthusiasm for media long considered “minor” can be explained by their reevaluation in the wake of gender studies, postcolonial studies, and ecofeminism. These new critical perspectives have produced both advances and limitations, generating effects and counter-effects in how such media are perceived.
- The political, social, artistic, and environmental issues of contemporary woven arts and textile works in their abstract, political, and symbolic, as well as their concrete, material dimensions highlight their impact on the living world.
- The inspiration, the convening, and even the reappropriation of techniques, motifs, graphic and color balances from various cultures and social strata, whether from groups long considered "primitive" or from populations whose ways of life have disappeared or are actively disappearing, are regarded as authentic.
- Resonance with the slow fashion and "Visible Mending" trends: reuse, recovery, and repair for a counterproductivist stance. However, the tension emerges between the artistic practices of visible mending and their expanded use for commercial purposes, surface upcycling, and greenwashing.
- The intrinsic links between textile tradition, organicity, corporeality, and disembodied mechanics (the first computer was a loom) form a common vocabulary between computer technology and the textile industry, creating a continuum between the hyper-ancestral, hypermodern, and the extremely contemporary.
Proposals in French or English (3,000 characters including spaces + short CV) are expected by December 30, 2025, at the following address: revuecouturiere@gmail.com, antoineconstantincaille@gmail.com et g.viemont@gmail.com. Authors will receive a response from the editorial board by January 10, 2026.
Articles (20,000 to 30,000 characters including spaces), strictly adhering to the formatting guidelines of Classiques Garnier, must be submitted by May 15, 2026, for publication in autumn 2026.
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Pistes bibliographiques
Adamson Glenn, Thinking through craft, London, Bloomsbury, 2007.
Albers Annie, Du tissage (2017), textes additionnels de Nicholas Fox Weber, T’ai Smith, Ida Soulard, traduit de l’anglais par Armelle Chrétien, Dijon, les presses du réel, 2021.
Auther Elissa, String, felt, thread: the hierarchy of art and craft in American art, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2010.
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Becker Howard S., Les Mondes de l’art (1982), traduit de l’anglais par Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion, coll. « Champs arts », 2010.
Breniquet Catherine, Cola-Rannou Fabienne, Art, artiste, artisan, essai pour une histoire de l’art diachronique et pluridisciplinaire, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2015.
Bryan-Wilson Julia, Fray: Art and Textile Politics, Chicago, the University of Chicago Press, 2017.
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Gell Alfred, Art and Agency: an anthropological theory, Oxford, Clarendon Press, 1998.
Genette, Gérard, L’Œuvre de l'art, Paris, Seuil, 2010.
Gordon, Beverly, Textiles, the whole story, London, Thames & Hudson, 2013.
Hemmings Jessica, The Textile reader, Oxford, Bloomsbury Visual Arts, 2012.
Ingold, Tim, Faire : anthropologie, archéologie, art et architecture, traduit de l’anglais par Hervé Gosselin et Hisham-Stéphane Afeissa, Bellevaux, éditions Dehors, 2017.
Lipovetsky Gilles, L’Empire de l’éphémère, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 1987.
Parker Rozsika, The Subversive stitch: embroidery and the making of the feminine, London, Bloomsbury Visual Arts, 2019.
Scheid John, Svenbro Jesper, Le Métier de Zeus, mythe du tissage et du tissu dans le monde gréco-romain (1994, La Découverte), Paris, éditions errance, 2003.
Serres, Michel, Les Cinq sens (1985, Grasset), Paris, Pluriel, 2014.
Vial, Stéphane, Court traité du design, Paris, PUF, 2010.
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[1] National Gallery of Art de Washington, MoMa de New York, Lacma, National Gallery of Canada à Ottawa…