La tentation de l’écriture a accompagné Félix Vallotton tout au long de son existence. De son vivant, seules ses critiques d’art étaient connues, mais l’artiste a également achevé trois romans, après s’être essayé au registre dramatique en composant plusieurs comédies. Ce volume rassemble pour la première fois toute sa production littéraire, dont un volet théâtral resté jusque-là entièrement inédit.
À lire ces pages, on mesure combien la littérature pour Vallotton n’était pas un passe-temps, mais un moyen privilégié d’exprimer un rapport au monde marqué par la désillusion et dynamisé par un regard constamment ironique. Cette édition annotée des trois romans (La Vie meurtrière, Les Soupirs de Cyprien Morus, Corbehaut), de six pièces de théâtre et d’une série de saynètes, est enrichie de commentaires critiques qui contextualisent ce pan méconnu de l’activité d’une figure artistique majeure du début du XXe siècle.
Extrait : "Je vois sur ma table la photographie de l’être que j’étais à ce lever de ma vie d’homme (…). Un front égal, un œil pâle, bien placé, mais sans éclat sous des paupières maladives, un nez court et busqué, une lèvre supérieure proéminente, où pointent les prémices d’une moustache retardataire, une bouche aux lèvres épaisses, volontiers entrouvertes sur des dents assez belles, mais écartées, et, subitement, la fuite d’un tout petit menton raté, d’un mauvais petit menton de hasard, qui entache l’ensemble et le tare de sa défaillance."
Lire sur Fabula l'introduction de Daniel Maggetti…
Voir la vidéo de présentation : Entretien avec Océane Guillemin et Romain Bionda…
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Revue de presse (éditeur) :
Dans les médias
« Grâce au travail patrimonial des éditions Zoé, l’œuvre littéraire méconnue du Suisse Félix Vallotton, maître nabi de la Belle Époque, ressurgit telle une révélation majeure. Cette réédition de Romans et théâtre impose la découverte d’un écrivain au scalpel qui dissèque les tares de son temps avec une lucidité féroce. Ce volume dévoile une mécanique humaine grippée par l’argent et le mensonge, servie par une langue clinique qui refuse, jusqu’au vertige, toute forme de consolation. »
Un article de Jean-Jacques Bedu à lire ici
« Parallèlement à son œuvre artistique, Vallotton a écrit sur le tard plusieurs romans et pièces de théâtre qui ont été publiés à titre posthume et qui sont aujourd’hui réédités. L’influence d’Octave Mirbeau y est forte. Ces œuvres incarnent la contestation par la satire sociale, la critique de la société bourgeoise, dénoncent l’hypocrisie du mariage. Les personnages sont souvent désespérés sans être un autoportrait littéraire de Vallotton, le héros y incarne une forme d’anticonformisme et de lucidité acerbe refusant l’hypocrisie du monde, les manques de solidarité et parfois l’absurde de l’existence, comme dans le premier de ses romans La Vie meurtrière. Le deuxième Les Soupirs de Cyprien Morus est une critique virulente de la société capitaliste – dans laquelle Vallotton sombre parfois dans les stéréotypes – expliquant que finalement tout est monnayable : les corps, la littérature, le pouvoir… Enfin, le dernier roman Corbehaut, reprend pour illustrer ces thèmes la figure du double et du mensonge. L’ensemble de ces thématiques se retrouvent dans les pièces de théâtre. » Sylvain Boulouque
« Plus qu’un violon d’Ingres, l’écriture était pour Vallotton une nécessité. (…) S’il ne se révèle pas un inventeur de formes dans ses créations littéraires, il est presque aussi virtuose avec les mots qu’avec les couleurs. Plus radical, il laisse libre cours à un humour acide et ravageur, à un pessimisme désabusé et tragique. Qui lit Vallotton ne regarde plus ses gravures et ses peintures de la même manière. » Julien Burri
« Il me semble que la question centrale qui anime Vallotton est la même dans ses fictions que dans son œuvre d’artiste: la question de la représentation. Comment, et à partir de quel point de vue, voit-on les choses? Et comment leur image est- elle affectée par la perception qu’on en a? C’est pourquoi il fait varier ses angles d’attaque sur le plan narratif. Dans La Vie meurtrière, le récit à la première personne met au jour à la fois la sincérité et la complaisance vis- à-vis de soi du protagoniste. Corbehaut, au contraire, multiplie les points de vue et les narrateurs, dans un kaléidoscope qui fait vaciller l’idée même de vérité. Vallotton nous invite à demeurer vigilants, en nous rappelant qu’il n’existe que des versions de la réalité, parfois contradictoires, parfois concurrentes. » Daniel Maggetti
Un entretien de Daniel Maggetti mené par Julien Burri, à lire ici
« Ce qui frappe dans ces textes, c’est l’élargissement progressif du regard. Dans Soliman, tondeur (1907), Vallotton déplace l’action hors des salons bourgeois pour l’installer sur les quais de la Seine. L’espace scénique change, la langue aussi : l’argot de Félicité, femme du peuple, se mêle aux envolées d’un aristocrate déchu, Soliman, reconverti dans le toilettage des chiens.
Cette rencontre improbable illustre l’intérêt croissant de l’auteur pour les marges sociales, à une époque où le théâtre commence à accueillir les figures du vagabond et du déclassé. La pièce traduit ainsi un désir d’élargir le champ des voix représentées, même si Vallotton reste attaché à la structure du vaudeville.
Les Romans prolongent ce mouvement. L’écrivain y développe une prose attentive aux intimités, aux dérèglements infimes qui fissurent les vies respectables. Les intrigues ne cherchent pas tant la grande fresque que l’éclairage précis d’un milieu, d’une relation ou d’une passion malheureuse. Les thèmes récurrents — l’adultère, la vanité sociale, l’angoisse bourgeoise — trouvent un écho direct avec son œuvre picturale, où chaque scène d’intérieur semble guetter le moment où l’harmonie se brise.
Le style, quant à lui, se distingue par une netteté sans fioritures. Vallotton privilégie des phrases courtes, tendues, qui rappellent l’économie de traits de ses gravures. L’effet est immédiat : tout se joue dans l’ellipse, dans le silence qui pèse entre deux répliques, dans la description acérée d’un geste. Cette écriture, sobre en apparence, déploie pourtant une grande force suggestive. Elle ne cherche pas la séduction ornementale, mais frappe par sa précision clinique. »
Un article de Nicolas Gary à lire ici
« Le peintre-écrivain a pris la plume pour livrer trois romans dont La vie meurtrière aux accents autobiographiques, et imaginer six pièces de théâtre. Un ensemble qui fait la somme Félix Vallotton. Romans et théâtre dans une édition dirigée par Daniel Maggetti. Et donne l’occasion de prendre le temps de Félix Vallotton, dans tous les sens du terme… » Florence Millioud