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Guérir les plaies de la société : les débats scientifiques autour du naturalisme (1880-1920) (revue Études littéraires)

Guérir les plaies de la société : les débats scientifiques autour du naturalisme (1880-1920) (revue Études littéraires)

Publié le par Romain Bionda (Source : Sara Garneau)

Réagissant en 1877 dans Le Bien public au scandale suscité par L’Assommoir, Zola répond :

« Il n’y a de solide, en ce siècle, que ce qui se repose sur la science. [...] analysez d’abord le peuple, si vous voulez dégager la République de la royauté. 

J’affirme donc que j’ai fait une œuvre utile en analysant un certain coin du peuple dans L’Assommoir. J’ai fait ce qu’il y avait à faire ; j’ai montré des plaies, j’ai éclairé violemment des souffrances et des vices, que l’on peut guérir. [...] Je ne suis qu’un greffier qui me défends de conclure. Mais je laisse aux moralistes et aux législateurs le soin de réfléchir et de trouver les remèdes[1]. »

Quelques mois plus tôt, il expliquait à Albert Millaud, journaliste au Figaro : 

« Je dis ce que je vois, je verbalise simplement, et je laisse aux moralistes le soin de tirer la leçon. J’ai mis à nu les plaies d’en haut, je n’irai certes pas cacher les plaies d’en bas. Mon œuvre n’est pas une œuvre de parti et de propagande ; elle est une œuvre de vérité[2]. »

Ces prises de position montrent que Zola ne se prétendait pas seulement un écrivain scientifique, mais qu’il voulait aussi « montrer les plaies » d’une société moderne perçue comme souffrante, malade, voire dégénérée. En effet, Zola cherchait une caution dans la science et adoptait la posture du savant pour donner à la littérature une nouvelle légitimité, celle d’apporter un savoir sur l’homme et la société afin de contribuer à leur « guérison ». Le naturalisme faisait donc partie d’un mouvement plus large qui allait au-delà de la littérature et dont les différents acteurs se stimulaient mutuellement. 

Les débats scientifiques autour du naturalisme furent multiples et s’inscrivirent dans différents contextes culturels. Les textes et les idées en circulation furent ainsi renégociés, transformés et adaptés aux besoins spécifiques de chaque société. L’étude de l’appropriation créatrice et de l’accueil critique du naturalisme en tant que littérature ambitionnant de changer la société mérite d’être approfondie, et tout particulièrement dans une perspective transnationale. Dans de nombreux pays, les auteurs naturalistes sont perçus 1) dans leur dimension de savants en mesure d’améliorer la société ou au contraire 2) en tant qu’intellectuels dangereux pour la société, souffrant d’une pathologie répandue qu’il s’agit de contrer, sans oublier les naturalistes qui 3) pensent faire œuvre de progrès mais développent des modèles aujourd’hui suspects.

Nous souhaitons étudier le naturalisme en tant que mouvement littéraire transnational qui se prétend apte à guérir les plaies d’une société souffrant de nombreux maux. Du côté de l’appropriation créatrice, il s’agit de s’intéresser aux auteurs naturalistes qui, par leur œuvre, prennent position face aux problèmes sociaux de leur temps, à l’instar de l’Argentin Eugenio Cambaceres, qui avec son roman En la sangre [Dans le sang] (1887) intervient dans les débats sur l’immigration, ou de l’écrivain finlandais de langue suédoise Karl August Tavaststjerna, qui avec son roman Hårda tider [Les temps difficiles] (1891) revient sur la terrible famine de 1866-1869 afin de réfléchir sur ses causes. Du côté de l’accueil critique, il faut se souvenir que le naturalisme a été commenté par de grands savants, qu’on pense à Cesare Lombroso, réagissant d’Italie à l’utilisation de son essai sur l’homme criminel dans La Bête humaine, à l’Autrichien Max Nordau qui fait du réalisme-naturalisme français et allemand un exemple majeur de dégénérescence médicale, sociale et littéraire, mais aussi à la société littéraire nord-américaine de L’Athénée louisianais, largement composée de médecins. Le naturalisme explore aussi le champ de la psychologie naissante. Zola se soumit aux premiers tests psychométriques, accompagnant une réflexion de son temps sur les avantages à mesurer l’intelligence, avec des débouchés sociaux plus ou moins progressistes.

Ce dossier de la revue Études littéraires accueille donc des articles sur des auteurs et des critiques qui, à l’échelle internationale, se sont approprié le naturalisme comme un discours de progrès attirant ou menaçant, et ce, dans tous les domaines abordés par ce mouvement littéraire (travail, ville, société, corps, sexualité, etc.). 

Les propositions d’environ 300 mots, accompagnées d’une petite bio-bibliographie, doivent être envoyées avant le 1er décembre 2025 à la revue Études littéraires (revueel@lit.ulaval.ca).

Les articles sont attendus pour le 1er mars 2026 et seront évalués à la double aveugle.

Mots-clés : maladie – médicine – naturalisme – progrès – société – transnationalisme 

Bibliographie sélective :

Becker, Colette ; Dufief, Pierre-Jean (dir.), Dictionnaire des naturalismes, Paris, Champion, 2017. 

Cabanès, Jean-Louis, Le Corps et la maladie dans les récits réalistes, Paris, Klincksieck, 2 vol., 1991.

Cabanès, Jean-Louis, Littérature et médecine, Bordeaux, Université Michel-de-Montaigne, Bordeaux 3, 2 vol., 1997 et 2000.

Chevrel, Yves, Le Naturalisme. Étude d’un mouvement littéraire international [1982], Paris, PUF, 1993.

Dumasy-Queffélec, Lise ; Spengler, Hélène (dir.), Médecine, sciences de la vie et littérature en France et en Europe, de la Révolution à nos jours, vol. 3 : Le médecin entre savoirs et pouvoirs, Genève, Droz, 2014.

Fix Florence ; Landi, Michela (dir.), Le Pouvoir du médecin au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2025.

Foucault, Michel, Histoire de la sexualité, vol. 1 : La Volonté de savoir, Paris : Gallimard 1976.

Jorland, Gérard, Une société à soigner. Hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle, Paris, Seuil, 2010.

Klinkert, Thomas ; Neuhofer, Monika (dir.), Literatur, Wissenschaft und Wissen seit der Epochenschwelle um 1800. Theorie – Epistemologie – komparatistische Fallstudien, Berlin/New York, De Gruyter, 2008.

Leopold, Stephan ; Scholler, Dietrich (dir.), Von der Dekadenz zu den neuen Lebensdiskursen. Französische Literatur und Kultur zwischen Sedan und Vichy, Munich, Fink, 2010.

Milner, Max (dir.), Littérature et pathologie, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 1989.

Nouzeilles, Gabriela, Ficciones somáticas. Naturalismo, nacionalismo y políticas médicas del cuerpo (Argentina 1880-1910), Rosario, Viterbo, 2000.

Sermadiras, Emilie, Croire et souffrir. Religion et pathologie dans le roman de la seconde moitié du XIXe  siècle, Paris, Classiques Garnier, 2021.

Thomson, Clive ; Rosenfeld, Michael (dir.), Zola et les médecins, Les Cahiers naturalistes, no 95, 2021.

Wanlin, Nicolas (dir.), Littérature et sciences au xixe siècle. Une anthologie, Paris, Classiques Garnier, 2019.

 
[1] Zola, « L’Assommoir », Le Bien public, 13 février 1877, p. 2-3.
[2] Lettre de Zola à Albert Millaud, 9 septembre 1876, publiée dans Correspondance, t. II, éd. de B.H. Bakker, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Paris, éditions du CNRS, 1980, p. 488-489.