
Appel à communications
Colloque international d’humanités médicales (en ligne)
L’angoisse : de l’expérience à sa médicalisation
Middle East Medical Humanities research Lab
Université Saint-Joseph de Beyrouth
Novembre 2025
L’angoisse, du latin angustia (« étroitesse, constriction »), désigne à l’origine une expérience d’oppression qui étreint et asphyxie l’existence. Contrairement à la peur, tournée vers un objet précis, identifiable et anticipable (objectum, « ce qui est jeté devant »), l’angoisse naît d’un indéterminé diffus : elle envahit le sujet sans cause apparente, inquiétude sans objet : elle serait « attente du danger, même si ce danger n’est pas connu ni représenté » (Freud, Inhibitions, Symptômes et Angoisse, 1926). À ce titre, elle apparaît comme l’affect paradigmatique de la condition humaine. Pour Kierkegaard, elle constitue « le vertige de la liberté » (Le concept d’angoisse, 1844), là où l’homme vacille face à l’infinité des possibles. Heidegger y voit l’épreuve inaugurale de notre être-au-monde : l’angoisse nous arrache à la familiarité quotidienne et nous confronte à la vacuité fondamentale de l’existence, à cette menace silencieuse d’un basculement à tout instant dans le néant (Sein und Zeit, §40).
Or cette expérience qui relèverait d’une appréhension existentielle de notre finitude et de notre liberté tend aujourd’hui à être reconduite au rang de phénomène médical. Depuis que la « névrose d’angoisse » freudienne a cédé la place aux « troubles anxieux » du DSM III (1980), la psychiatrie a recentré son regard sur les manifestations somatiques et comportementales. Wakefield et Horwitz (All We Have to Fear, 2012) ont montré qu’au regard des critères contemporains, plus de la moitié des individus seraient aujourd’hui éligibles à un diagnostic de trouble anxieux — un chiffre vingt fois supérieur à celui d’il y a quarante ans. Sommes-nous confrontés à une authentique pandémie d’angoisse ou à une dérive nosographique qui confond la vulnérabilité ontologique inhérente à l’existence avec la maladie ? Les neurosciences évolutionnistes, quant à elles, rappellent que l’angoisse plonge ses racines dans la structure même du cerveau. Wakefield et Horwitz soulignent que « le rôle de l’amygdale dans les réponses de peur est demeuré constant au fil de millions d’années d’évolution, en raison de l’efficacité des voies qui relient le thalamus à l’amygdale. Ces circuits thalamo-amygdaliens sont extraordinairement rapides pour transmettre les signaux de danger. Comme de nombreux processus cérébraux archaïques, ils ne relèvent pas du contrôle volontaire ; ils réagissent automatiquement. Les connexions corticales vers l’amygdale sont bien plus faibles que celles qui vont dans le sens inverse, ce qui pourrait expliquer pourquoi il est plus facile pour l’information émotionnelle d’envahir la conscience que pour nous de maîtriser nos émotions » (2012, 55). Ainsi, nos réponses anxieuses privilégient la prudence excessive, car il vaut mieux surestimer un danger que l’ignorer, un biais adaptatif favorisant la survie. Randolph Nesse qualifie ce mécanisme adaptatif de « principe du détecteur de fumée » : à l’instar des détecteurs de fumée, qui sont intentionnellement configurés pour être extrêmement sensibles, il vaut mieux susciter de fausses alertes que de risquer une exposition dangereuse par manque de vigilance. Il serait ainsi selon Wakefield souvent difficile de distinguer ce qui relève d’un trouble mental de ce qui correspond à une émotion désagréable mais normale. Il est particulièrement difficile de distinguer une anxiété normale d’un trouble anxieux, car l’anxiété s’est développée pour nous protéger non seulement des dangers immédiats ou des situations incertaines, mais aussi en réponse à des signaux qui, auparavant, indiquaient des risques importants pour la survie de l’espèce. Il en résulte un décalage entre nos réactions biologiques et les réalités de notre environnement actuel.
Ce colloque est donc l’occasion d’interroger à nouveaux frais cette tension constitutive entre l’angoisse comme épreuve fondamentale de l’existence et l’angoisse comme trouble à éradiquer. Que perdons-nous à médicaliser ce qui, peut-être, appartient intrinsèquement à notre être-au-monde ? Et comment articuler les approches phénoménologiques, psychanalytiques, neurobiologiques et socio-politiques sans réduire la complexité d’un phénomène qui se tient au croisement du biologique, du psychique et du culturel ? En quoi les variantes culturelles jouent-elles un rôle dans la médicalisation et la représentation de l’angoisse ? Que révèlent les représentations cinématographiques, littéraires et picturales sur l’angoisse ?
Axes de réflexion
-Lectures philosophiques de l’angoisse : Kierkegaard, Heidegger, Sartre…
-Angoisse, névrose et conflictualité intrapsychique : Freud, Otto Rank, Wilhelm Reich…
-Épistémologie et humanités psychiatriques : pathologisation, inflation diagnostique...
-Psychopathologie de l’angoisse : de la névrose aux attaques de panique, somatisation et comorbidités (agoraphobie, phobies sociales) …
-Représentations littéraires et esthétiques de l’angoisse (cinéma, peinture…)
Merci de parvenir une proposition de communication (400 mots) accompagnée d’une courte notice bio/bibliographique avant le 1er septembre 2025 à : pamela.krause@usj.edu.lb et yvonne.saaybi1@usj.edu.lb
Comité d’organisation
Prof. Boutros Ghanem, Université Saint-Joseph de Beyrouth
Pamela Krause, Université Saint-Joseph de Beyrouth
Yvonne Saaybi, Université Saint-Joseph de Beyrouth