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Paysages technicisés (n°29 de la revue Appareil)

Paysages technicisés (n°29 de la revue Appareil)

Publié le par Marc Escola (Source : Jean Tain)

Appel à contributions – n°29 de la revue Appareil

https://journals.openedition.org/appareil/86  

Numéro thématique : « Paysages technicisés »

Numéro coordonné par Jean Tain (ATER en philosophie à l’Université de Lorraine)

Dates limites : prolongation au 30 juillet 2025 pour proposition des résumés

Premières réponses début août

20 octobre 2025 pour proposition des articles.

La revue Appareil

Fondée en 2008 par Jean-Louis Déotte, la revue philosophique Appareil accueille des contributions de philosophie et d’autres disciplines, en particulier en théories des arts, histoire, sciences humaines, sciences politiques) qui s’interrogent sur les fonctions et les formes des « appareils » qui structurent nos sociétés, se situant donc au croisement de la théorie de l’art et de l’histoire et des théories des techniques.

La notion d’« appareil » se distingue de celle de « dispositif » et de celle de « technologie » dès lors qu’on la définit comme « une technique qui affecte la sensibilité, la transforme, suspend la stratégie propre aux dispositifs. Le paradigme de l’appareil est l’appareil photographique : il modifie la perception de la réalité selon une série de gestes et d’opérations qui supposent un jeu de la singularité avec ses propres perceptions[1]. »

Dans ce cadre, la revue a édité 28 numéros depuis 2008, consacrés par exemple à « La ville », à Gilbert Simondon, au théoricien des médias Friedrich Kittler, à Vilém Flusser ou dernièrement au « Livre comme appareil d’art » (n°28/2024).

Paysages technicisés

Pour son prochain numéro, le présent appel entend solliciter des contributions concernant la notion de « Paysage technicisé ». En effet, la notion de paysage, déjà largement étudiée en esthétique, en philosophie de l’art, et bien sûr en géographie, en urbanisme et en architecture, gagnerait à être abordée de façon systématique du point de vue des agencements techniques qui s’y trouvent, voire même qui le constituent. On tâchera ainsi de constituer une autre histoire ou une autre philosophie du paysage, axée sur une compréhension dynamique de la technique, comme préalable possible à la critique de l’exploitation technicienne des milieux naturels.

L’idée que tout paysage, y compris le plus « sauvage » en apparence, soit une production humaine, issue de relations entre des données dites « naturelles » (par exemple géologiques, biologiques et climatiques) et des transformations techniques variées, et souvent très anciennes, qui le façonnent, à commencer par les pratiques agricoles (cueillettes, brûlis, bocages, labour) ou le tracé de voies de passage, cette idée est désormais reconnue comme le point de départ obligé de différentes théories du paysage, qu’elles soient anthropologiques, géographiques ou philosophiques[2].

Cependant, il semble que la théorie proprement esthétique du paysage n’ait pas toujours tiré toutes les conséquences de cette qualité de production humaine, trop occupée peut-être par les différentes questions de l’interaction entre nature et culture, de l’individuation du champ visuel (Georg Simmel) ou du façonnement du regard (Ernst Gombrich) qui pouvaient surgir à partir du genre de la peinture de paysage, et par la suite avec la photographie et le cinéma. Pourtant, une certaine tradition philosophique s’est progressivement constituée, qui a pris très tôt au sérieux la technicisation intrinsèque des paysages, et ne s’est pas limitée à y voir des images d’une nature sublime ou sans finalité. 

Chez Diderot déjà, le « spectacle d’utilité[3] » d’un moulin à eau s’insérant dans un paysage de montagne fait partie intégrante des méditations philosophiques que l’on peut en tirer. Chez Rousseau lui-même, révolté par le regard utilitaire des hommes qui voient les « bocages » comme des ressources à exploiter pour la pharmacopée, on trouve une première réflexion critique sur l’exploitation du paysage et sa dimension de territoire offert au mouvement[4]. Dans les Leçons d’esthétique, le relatif désintérêt de Hegel pour la question du beau naturel passe cependant par une appréciation de la peinture hollandaise comme reflet d’une victoire technique sur la nature, celle des terres agricoles gagnées sur la mer. Par la suite, Georg Simmel mettra bien plus l’accent sur l’acte d’imagination synthétique capable de constituer un fragment de nature en paysage pour en faire une petite totalité, sans analyser (ni exclure d’ailleurs) la dimension proprement technique d’un paysage[5]. Cette question apparaîtra d’autant plus centrale chez Heidegger, dès Être et Temps et bien sûr dans la conférence sur « La question de la technique », mais sans qu’il considère non plus le fait que la technique n’est pas seulement « arraisonnement » de l’être mais avant tout production d’un paysage[6]. Ce texte et sa réception pourraient faire l’objet d’un examen critique à partir de la question du paysage, en tant qu’elle invite à ne pas hypostasier celle de la technique.

Enfin, des philosophes proches de l’École de Francfort comme Ernst Bloch[7], Georg Lukács[8] et Theodor W. Adorno[9], ont tâché, chacun à leur manière, de tirer les conséquences de la thèse marxiste d’une structuration de la perception par la praxis en consacrant des textes de différentes ampleurs à la question du paysage, ou plus précisément du « paysage culturel » (Kulturlandschaft), affrontant radicalement l’idée que le concept de paysage était peut-être la notion par excellence où s’incarne la relation dialectique entre nature et histoire, fixée par le concept d’histoire-nature (Naturgeschichte) forgé par Benjamin et réapproprié par Adorno [10].

Des analyses plus récentes, circonscrites comme celles de Claude Lévi-Strauss[11] ou de Gilbert Simondon[12], ou plus synthétiques et ambitieuses comme chez Philippe Descola[13], prolongent à leur manière cette tradition qu’on pourrait appeler anthropologique et matérialiste de philosophie du paysage, soucieuse de ne pas l’aborder seulement du point de vue du jugement de goût, du sublime ou à partir de sa seule constitution phénoménologique ou encore comme lieu symbolique et allégorique objet d’une iconographie[14], mais en croisant ces approches avec la prise en compte de ses structures techniques changeantes ou coexistantes.

Le numéro de la revue en préparation entend faire droit à ces différentes approches, sans exclusives, pour proposer à la fois un réexamen de la dimension proprement technique de différentes philosophies du paysage, du XVIIIe siècle à nos jours, et une actualisation ou une confrontation de ces théories avec des enjeux plus spécifiques, par exemple concernant le paysage aérien, le sous-sol, le paysage parcouru selon différentes vitesses et modalités techniques, ou encore la notion d’ambiance et d’atmosphère. 

On pourra également envisager une prise en compte de ces questions à partir de différents arts qui permettent d’en pluraliser les approches. Ainsi, la prise en compte du land-art, des corps en mouvements, de la photographie, du cinéma, voire même de la littérature ou de la poésie, pourra être pertinente, à condition qu’elle en passe par une analyse conceptuelle du paysage technicisé en tant que tel, et se limite pas à la convocation d’exemples ou illustrations parmi l’infinie diversité des représentations possibles des paysages.

Axes de recherches possibles, sans exclusive : 

·      Paysages et esthétique des objets et milieux techniques. 

·      L’esthétique du paysage repensée à partir d’une analyse fine de la technicité artistique, et de la technicité des paysages. 

·      Paysages exploités et paysages industriels. L’histoire-nature du paysage anthropisé.

·      L’immersion dans le paysage technicisé : parcours, habitations, ambiances, paysages sonores

Informations pratiques : 

Des résumés prévisionnels de 300 mots pourront être envoyés avant le 30/07/2025 à mshpn-appareil@mshparisnord.fr, à jean.tain@univ-lorraine.fr et à audrey.rieber@ens-lyon.fr pour examen par le comité de rédaction.

Les réponses seront apportées début août 2025, pour un rendu final des articles de 50 000 espace compris maximum le 20 octobre 2025.

Voir pour le détail les consignes aux auteur·e·s : https://journals.openedition.org/appareil/1117#tocto1n1 

NB : Le comité est ouvert à des contributions de toutes les disciplines des SHS, voire des sciences des techniques et de l’architecture, à conditions qu’elles abordent leurs objet à partir d’une forte réflexivité critique et conceptuelle sur les enjeux étudiés.

Voir bibliographie indicative ci-dessous.

Bibliographie indicative : 

NB : Ces indications visent à résumer le projet scientifique du numéro, mais n’obligent en aucun cas les contributions à s’orienter nécessairement vers telle ou telle référence.

 

Adorno, Theodor W., « L’idée d’histoire de la nature » [Die Idee der Naturgeschichte], trad. par J.-O. Bégot et alia dans Adorno, Actualité de la philosophie et autres textes, Paris, éd. Rue d’Ulm p. 31

Adorno, Theodor W., Théorie esthétique [1970], « Le beau naturel », § « Le paysage culturel », trad. Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 2011, p. 98-100.

Berque, Augustin, La Pensée paysagère, Paris, Archibooks, Crossborders, 2008.

Berque, Augustin, Le Sauvage et l'artifice, les Japonais devant la nature, Paris, Gallimard, 1986, rééd. 1997.

Bloch, Ernst, Verfremdungen II (Geographica) dans Literarische Aufsätze, Gesamtausgabe, Band 9, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1965.

Clark, Kenneth, Landscape into Art, London, John Murray Publishers, 1949.

Descola, Philippe, « Les formes du paysage » et « Approches anthropologiques du paysage », Cours au Collège de France 2011-2014.

Descola, Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.

Diderot, Denis, Essais sur la peinture. Pour faire suite au Salon de 1765, ch. VII « Un petit corollaire de ce qui précède », éd. Michel Delon, Paris, Gallimar, coll. « Folio », p. 232.

Gombrich, Ernst, L’Écologie des images, Paris, Flammarion, 1983.

Hegel, G.W.F., Cours d’esthétique, 3 vol. trad. Jean-Pierre Lefebvre et Veronika von Schenck, Paris, Aubier, 1995-1997.

Heidegger, Martin, Être et temps, § 15, p. [71] à propos de l’ustensilité envers les objets naturels et « La question de la technique » [1949] dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958.

Lévi-Strauss, Claude, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955.

Lévy, Jacques, Lussault, Michel (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, nouvelle édition 2013.

Panofsky, Erwin, Hercule à la croisée des chemins, et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, Paris, Flammarion, coll. « Idées et recherches », 1999.

Rancière, Jacques, Le Temps du paysage, Paris, La Fabrique, 2020.

Ritter, Joachim, Le Paysage. Fonction de l’esthétique dans la société moderne, trad. Gérard Raulet, avant-propos de Jean-Marc Besse, Addenda : Pétrarque, L’Ascension du mont Ventoux, Marseille, éditions Parenthèses, coll. « La Nécessité du paysage », 2022.

Roger, Alain, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, 1997.

Simmel, Georg Simmel, « Philosophie du paysage » (1912), dans Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, trad. Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Paris, éd. Rivages, 1988.

Simondon, Gilbert, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958, rééd. 2012.


 
[1] « À propos d’Appareils », Comité de rédaction, https://journals.openedition.org/appareil/86
[2] Pour une vue synthétique voir l’entrée « Paysage » dans le Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés dir. par Jacques Lévy et Michel Lussault, Paris, Belin, 2003, nouvelle édition 2013.
[3] Denis Diderot, Essais sur la peinture. Pour faire suite au Salon de 1765, ch. VII « Un petit corollaire de ce qui précède », éd. Michel Delon, Paris, Gallimar, coll. « Folio », p. 232.
[4] Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, « Septième promenade », OC, I, p. 1064.
[5] Georg Simmel, « Philosophie du paysage » (1912), dans Georg Simmel, La Tragédie de la culture et autres essais, trad. Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Paris, éd. Rivages, 1988.
[6] Martin Heidegger, Être et temps, § 15, p. [71] à propos de l’ustensilité envers les objets naturels et « La question de la technique » [1949] dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958.
[7] Ernst Bloch, Verfremdungen II (Geographica) dans Literarische Aufsätze, Gesamtausgabe, Band 9, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1965.
[8] Georg Lukács, Histoire et conscience de classe [1923], Paris, éd. de Minuit, 1960, p. 198.
[9] Theodor W. Adorno, Théorie esthétique [1970], « Le beau naturel », § « Le paysage culturel », trad. Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 2011, p. 98-100.
[10] Cf. T.W. Adorno, « L’idée d’histoire de la nature » [Die Idee der Naturgeschichte], trad. par J.-O. Bégot et alia dans Adorno, Actualité de la philosophie et autres textes, Paris, éd. Rue d’Ulm p. 31 sq. ; T.W. Adorno, « L'idée de l'histoire-nature » (exposé du 15/7/1932 à la Kant-Gesellschaft) », trad. Philippe Despoix, L'Homme et la société, n°75-76, 1985, p. 107-116. DOI : 10.3406/homso.1985.3066
[11] Voir l’éloge de la géologie comme outil de lecture d’un paysage dans Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon, 1955, p. 59.
[12] « Pensée technique et pensée esthétique » dans Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958, rééd. 2012, pp. 247-175.
[13] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, « I. La nature en trompe l’œil », Paris, Gallimard, 2005, pp. 19-131 et « Les formes du paysage » et « Approches anthropologiques du paysage », Cours au Collège de France 2011-2014.
[14] Erwin Panofsky, Hercule à la croisée des chemins, et autres matériaux figuratifs de l’Antiquité dans l’art plus récent, Paris, Flammarion, coll. « Idées et recherches », 1999.