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Appels à contributions
Philosopher avec et comme fiction (revue Noésis)

Philosopher avec et comme fiction (revue Noésis)

Publié le par Marc Escola (Source : Thomas Morisset)

Appel à contributions pour un numéro théatique de la revue Noésis : 

Philosopher avec et comme fiction

 Fondée en 1995 par Dominique Janicaud, Noesis est une revue généraliste de philosophie publiée par le Centre de Recherches en Histoire des Idées. Édités en format papier, diffusés notamment chez Vrin, les numéros de la revue sont également accessibles sur OpenEdition deux ans après la date initiale de parution.

Directeur de publication : Sébastien Poinat (CRHI – Université Côte d’Azur)

Direction du numéro : Thomas Morisset (CRHI – Université Côte d’Azur)

Cet appel à contributions prolonge les journées d’études sur le même thème qui se sont tenues les 3 & 4 avril 2024 à l’Université Côte d’Azur. Si cette publication s’ancre d’abord en philosophie, elle est bien évidemment ouverte, pour ce numéro, à des contributions issues des études littéraires.

 De l’hypothèse du Malin Génie au dilemme du trolley, en passant par le mythe de l’état de nature et les saynètes sartriennes, la philosophie produit des fictions au sein de ses textes les plus canoniques. Bien loin d’être de simples décorations, ce type de fictions, c’est-à-dire des récits verbaux possibles pour lesquels certaines contraintes de « recoupement documentaire » sont levées (Caïra, 2011), peuvent constituer les clef de voûtes de l’argumentation dans laquelle elles sont incluses. Davantage, la fiction est même parfois le cadre du discours philosophiques : les dialogues de Platon ou de Diderot ont un contexte fictionnel loin d’être négligeable pour comprendre le sens philosophique du texte. Enfin, tout enseignant en philosophie connaît l’importance des fictions, inventées sur le vif ou longuement mûries, pour tenter d’expliquer un concept difficile aux élèves.

 Néanmoins, dans tous ces exemples, il semble possible de différencier entre ce qui relève de la philosophie et ce qui relève de la fiction, comme si la seconde était un outil de la première, sans se confondre avec elle. Une première manière d’interroger cette idée est de remarquer, avec Michèle Le Doeuff (Le Doeuf, 1980), que, en situation d’enseignement, un imaginaire est parfois aussi difficile à transmettre qu’un concept. Si la notion d’imaginaire est plus large que celle de fiction retenue ici, du moins cet imaginaire opère-t-il, entre autres, par des fictions d’îles et de caverne qui, si elles sont canoniques, sont au moins aussi redoutables que les concepts qu’elles accompagnent parce qu’elles forment système avec eux. Partant de ce caractère et de cette difficulté, ce numéro de Noésis entend ainsi interroger à la fois le rôle, adjuvant ou adverse, de la fiction pour l’élaboration conceptuelle, et son rôle dans la diffusion philosophique. On entend ici par diffusion philosophique le fait de donner accès à un public considéré comme non-spécialiste à une pensée et à une activité philosophique.

 Ainsi quels enjeux philosophiques et politiques président au choix d’une forme fictionnelle pour la diffusion, et non la vulgarisation, d’une doctrine, comme les dialogues platoniciens ? Par exemple, qu’est-ce que cela fait au lecteur d’être exposé à l’existentialisme sartrien par La Nausée plutôt que par (ou en complément de) L’Être et le Néant ? Dit autrement, quels enrichissements et quelles torsions donnent à la pensée la diffusion de thèses de manière fictionnelle ? Et qu’est-ce qui fait d’une fiction qu’elle est philosophiquement réussie ? Est-ce uniquement sa teneur argumentative générale ou bien sa consistance esthétique particulière entre-t-elle dans cette réussite ? 

 Une seconde manière d’interroger ce nœud problématique est d’être à l’écouter du trouble qui peut nous saisir devant un livre comme les Technofictions (Cassou-Noguès, 2019) : le livre est un recueil de nouvelles, précédé d’une préface expliquant qu’il s’agit là bien d’une œuvre philosophique. Sans reprise théorique distincte, ce livre force à nous demander jusqu’à quel point écriture philosophique et écriture fictionnelle peuvent se mêler, voire se confondre. Technofictions apparaît en fait comme l’exploration d’une des trois articulations entre fiction et philosophie proposée par Pierre Cassou-Noguès dans l’un de ses textes antérieurs (Cassou-Noguès, 2011) : l’hétérogénéité de la philosophie à la fiction, qui ne serait pour la première qu’un stock d’exemple ; la « philosophie dans la fiction » au sens où la fiction est la source tant des problèmes que des solutions de l’analyse philosophique ; une version plus radicale de cette dernière catégorie dans laquelle « le travail du philosophe aurait peut-être pu rester silencieux et consister seulement dans l’organisation, la mise en regard d’une série de fictions ». 

 Ces trois options engagent tant des méthodes de travail que des options différentes sur ce qui constitue la définition de la philosophie et du régime de vérité et de pertinence auquel celle-ci aspire.  L’enjeu ici est le statut de la particularité sensible des fictions : est-ce un moyen d’accès à la connaissance philosophique qui reste extérieure à celle-ci ou bien est-ce que se déploie, à travers la fiction, quelque chose comme une connaissance philosophique du particulier ? Chez Baumgarten, cette connaissance était séparée entre celle qui valait pour notre monde et celle qui valait uniquement à l’intérieur d’un monde fictionnel (hétérocosmique) (Baumgarten, 2017). Or, comment s’effectue cette délimitation ? La réflexion sur ce qui est possible et ce qui ne l’est pas qui, par là même, fait évoluer la limite entre ce qui relève de la « vérité au sens strict » et de l’hétérocosmique, n’est-elle précisément pas une tâche possible de la philosophie, particulièrement dans des situations de diffusion ? Cette question est d’importance pour comprendre la place de l’imaginaire fictionnel dans la conceptualité, par exemple dans l’appropriation imaginative de mythes comme ceux du cyborg (Haraway, 1991) afin d’imaginer, et de diffuser largement, les possibles politiques à venir.

 Le passage par la fiction apparaît bien en ce cas comme nécessaire, et non comme seulement complémentaire, à l’activité philosophique, tout en interrogeant la nature même de l’écriture philosophique et celle de la pensée par fiction. Il est ainsi intéressant de noter que, lorsque Florence Goyet examine le « travail épique » des épopées classiques, c’est pour y voir à l’œuvre une pensée sans concept et plus efficace que les concepts pour répondre à un enjeu civilisationnel (Goyet, 2021). À l’inverse, lorsqu’iels examinent, l’intérêt épistémique des « fictions spéculatives » Johan De Smedt et Helen De Cruz , n’hésitent pas à encourager leur collègues philosophes à ajouter ces fictions à leur « boite à outils conceptuels » (De Smedt et De Cruz, 2015).

 La fiction peut-elle constituer un achèvement la pensée philosophique au sens où l’écriture, ou la traduction, de fictions, devient un geste philosophique qui met à l’épreuve un geste théorique ? Existe-t-il alors des concepts qui se prêtent particulièrement à une élaboration dans ces domaines fictionnels la littérature, les arts et les jeux ? L’un des intérêts pratique de cette discussion est d’interroger la pertinence de la recherche-création en philosophie, comme outil inséparablement de diffusion et d’élaboration conceptuelle.

Calendrier & Consignes

1er juin 2025 : Publication de l’appel

15 juillet : Date limite de réception des résumés

31 juillet : Envoi des notifications d’acceptation ou de refus

31 octobre : Remise des articles pour évaluation

Début 2026 : retour des évaluations

Courant 2026 : publication du numéro de Noésis

Les propositions d’article, d’une longueur comprise entre 400 et 600 mots, accompagnées d’une courte notice biographique, sont à envoyer pour le 15 juillet 2025 à thomas.morisset[at]univ-cotedazur.fr.

Les articles définitifs devront comporter 40 000 signes, espaces compris, avec une marge de tolérance de plus ou moins 20 % et seront accompagnés d’un résumé strictement inférieur à 800 signes, espaces compris. Seuls les articles en français sont acceptés.

Bibliographie indicative

Alexander Gottlieb Baumgarten, Méditations philosophiques sur quelques sujets se rapportant au poème [1735], trad. par Jean-Yves Pranchère, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Nanterre, coll. « Idées », 2017.

Olivier Caïra, Définir la fiction, Paris, Éditions de l’EHESS, 2013.

Pierre Cassou-Noguès, Mon Zombie et moi, Paris, Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2011.

Pierre Cassou-Noguès, Technofictions, Paris, Éditions du Cerf, 2019.

Johan De Smedt & Helen De Cruz, « The Epistemic Value of Speculative Fiction: Epistemic Value of Speculative Fiction », Midwest Studies in Philosophy, vol. 39, n° 1, 2015.

Gilles Deleuze & Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ? [1991], Paris, Éditions de Minuit, coll. « Reprise », 2005.

Florence Goyet, Penser sans concepts : fonction de l’épopée guerrière, Paris, Honoré Champion, 2021.

Ninon Grangé, Philosophie avec personnages. Essai de fictionnalisme politique, Sesto San Giovanni, Mimésis, 2024.

Donna Haraway, Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, Londres, Free Association Press, 1991.

Michèle Le Doeuff, L’imaginaire philosophique, Paris, Payot, 1980.

Paul Ricœur, Temps et récit, 3 t., Seuil, coll. « Point Essais », 1991.

Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1999.