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Récits toponymiques : itinéraires, lieux et histoire

Récits toponymiques : itinéraires, lieux et histoire

Publié le par Marc Escola (Source : Mounir Hammouda)

Appel à contributions pour un ouvrage collectif :

Récits toponymiques : itinéraires, lieux et histoires

Sous la direction de :

Dr. Mounir Hammouda (Enseignant-chercheur en sciences des textes littéraires à l’Université de Biskra)

& Dr. Camille Ollier (Enseignante-chercheuse en géographie de l'environnement à l'Université Aix-Marseille).

Attribuer un nom à un lieu n’est pas un jeu de roulette, il ne se fait jamais au hasard et ne peut être un acte neutre, car ce type de nom propre porte en lui les traces du temps, les empreintes d’une mémoire, les échos d’une langue, les usages du lieu, les marques d’une culture ou d’un pouvoir. Derrière chaque nom de lieu, se cache donc une origine, une fondation, un récit souvent oublié, parfois transformé et toujours porteur de sens.

Le toponyme que porte Rome illustre cette affirmation, tant il condense dans sa forme brève l’épaisseur d’un mythe, la densité d’une mémoire collective et la charge symbolique d’un pouvoir fondateur. Loin d’être un simple nom propre, il est intimement lié à la figure légendaire, puis mythique, de Romulus, héros civilisateur et premier roi, dont l’acte inaugural – le traçage du sillon sacré – fonde la cité autant qu’il institue un ordre symbolique et politique. En inscrivant le nom de Romulus dans celui de Rome, la tradition antique consacre une filiation entre la ville, la guerre (à travers la figure de Mars, père du héros), et l’exercice souverain de la violence légitime (le fratricide que commet Romulus contre son frère jumeau Rémus). Toutefois, au-delà du récit étiologique, le nom même de Rome porte des strates linguistiques et culturelles multiples (latines, étrusques, grecques) qui témoignent des circulations et des influences ayant façonné la ville dès ses origines. Dans cette perspective, le toponyme apparaît comme un objet vivant, un nom propre qui, selon Pascal Arnaud, peut se transformer, se figer, ou se déplacer, perdre du sens ou le retrouver :

Le toponyme […] prend une signification différente pour chacun de ceux qui l'utilisent, et qu'au-delà même des fonctions connotatives du discours, il paraît pointer vers des référents distincts selon le point de vue et la nature du locuteur. Le même toponyme antique pourra désigner un chef-lieu pour les habitants de son territoire, une communauté (la cité) et un espace (son territoire) associés administrativement à ce chef-lieu pour les agents de l'administration provinciale, le champ de compétences d'un évêque, un référent culturel pour un géographe ancien (associé au souvenir d’un événement, à un mythe, à une légende ou à une curiosité), et, pour un voyageur, un point situé de façon relative par rapport à d'autres lieux sur une route. (Arnaud, 2004 : 32)

De ce fait, le toponyme est à la fois archive et narration, témoignage et projection. Il constitue un champ sémantique déterminé par un degré variable d’intertextualité, qui module les connotations d’un toponyme selon qu’il est familier ou exotique pour le locuteur et le lecteur. Dans les deux cas, il devient un élément actif du processus narratif. Un nom de lieu peut résonner comme un rappel culturel immédiat, ou au contraire provoquer une rupture interprétative, par son étrangeté, sa sonorité ou son opacité, devenant ainsi objet de projection, de fantasme ou de traduction. Loin d’être innocent, « un toponyme est mentionné s’il est "digne de mémoire" et il est digne de mémoire s’il a une histoire » (Arnaud, 2004 : 40). Il devient le conservatoire d’un événement, d’une culture, d’une légende ou d’un traumatisme. Loin d’être un simple repère, il est vecteur de mémoire collective, parfois même de conflit mémoriel. 

Mais lorsque l’on voyage, que l’on suive un itinéraire ancien ou nouveau, réel ou imaginaire, les noms de lieux se succèdent, se répondent et se croisent. Leur enchaînement construit une autre forme de récit, qui dépasse l’histoire individuelle de chaque toponyme. C’est alors l’ensemble du trajet qui devient porteur d’une narration plus vaste, faite de ruptures, de continuités, de dialogues et de silences. La toponymie, dans sa dimension itinérante, devient un véritable objet herméneutique.

Cet ouvrage collectif entend explorer cette dynamique narrative propre aux « itinéraires toponymiques », un concept que l’on peut définir comme des successions signifiantes de noms de lieux, réels ou imaginaires, construisant des narrations spatiales et temporelles. Il ne s’agit pas seulement d’un ensemble de suites de points géographiques, mais de réseaux de signes linguistiques et culturels produisant du sens, qu’ils soient établis à partir de lieux effectivement traversés, reconstruits par la mémoire, projetés mentalement ou organisés selon une logique narrative, symbolique ou discursive. De ce fait, cette approche invite à considérer les toponymes non pas de manière isolée, mais dans leur enchaînement, dans leur dynamique / épaisseur temporelle, dans leur rapport aux trajectoires humaines, politiques[1], culturelles ou fictionnelles. Dans cette perspective, plusieurs dimensions théoriques méritent d’être explorées :

· La narrativité spatiale : chaque toponyme contient un récit implicite, retraçant son origine, son histoire, ou racontant une légende. La succession de plusieurs toponymes produit une forme de récit itinérant, un palimpseste narratif à déchiffrer, à différentes échelles : qu’il s’agisse d’un espace micro-local, d’une région plus vaste, ou encore de territoires distants unis par une langue, une mémoire culturelle ou une histoire partagée. Le toponyme peut ainsi raconter le lieu de manière synchronique ou diachronique, révélant les états et usages passés et/ou présents d’un territoire, et, en creux, les évolutions de ce lieu.

· La toponymie et la mémoire : les noms de lieux conservent la mémoire des peuples, des événements et des dominations, mais aussi des usages (notamment en contexte rural) qu’ils soient agricoles, artisanaux ou sociaux. Un itinéraire devient ainsi la trame même d’une mémoire collective. Toutefois, ces noms peuvent aussi devenir les lieux d’un effacement : si le toponyme peut survivre à la perte de sa signification, sa transmission formelle ne garantit pas la transmission de son sens. L’oubli du récit qu’il portait entraîne alors une forme d’amnésie territoriale, où le nom demeure mais son histoire s’estompe.

· L’herméneutique du déplacement : l’itinéraire toponymique appelle une lecture interprétative, on s’interroge alors sur les assemblages géographiques, sur la disposition des lieux. Chaque trajet est une mise en discours du territoire, voire une construction idéologique.

· La toponymie et l’intertextualité : les noms de lieux agissent comme des réservoirs de résonances culturelles. Leur intertextualité variable (implicite, explicite, lacunaire) influe sur la réception et la narration. Le toponyme est un signifiant qui fait signe vers un ailleurs textuel, historique ou mythique. « Pour les auteurs anciens, le toponyme ne s'inscrit pas de façon primaire dans une construction géographique dénotative, mais plutôt dans une fonction symbolique et connotative où l’intertextualité joue à plein » (Arnaud, 2004 : 42).

· La motivation toponymique : processus par lequel on attribue du sens à un nom apparemment opaque, parfois par invention, analogie ou traduction approximative. Ce phénomène éclaire la dynamique de (re)nomination, notamment dans les contextes de colonisation, d’exotisation ou de patrimonialisation.

· La sonorité du toponyme : son appréciation euphonique ou cacophonique n’est pas neutre. Elle peut séduire, heurter, intriguer ou déranger. Cette musicalité influence sa mémorisation, son usage narratif et sa charge symbolique. « Strabon nous explique […] que certains toponymes indigènes sont inacceptables pour une oreille grecque et qu'un critère euphonique préside nécessairement à leur sélection » (Arnaud, 2004 : 41). Cela révèle « une pratique bien établie, qui a consisté à redéterminer le sens des noms par homophonie approximative » (Arnaud, 2004 : 41).

· La géocritique et l’imaginaire : l’itinéraire peut aussi relever de la fiction. Dans la littérature, la bande dessinée ou les jeux vidéo, il peut dessiner une cartographie imaginaire à décrypter comme un texte (les cartes de la Terre du Milieu ou celles des mondes du Sorceleur).

À travers l’étude des toponymes, chaque contribution tentera de raconter l’histoire d’un parcours, qu’il soit réel, symbolique, historique, littéraire ou imaginaire. Il s’agira de lire un territoire comme un texte, d’interroger le sens des noms dans leur succession spatio-temporelle, de révéler la part d’Histoire (avec un grand H) qu’ils dévoilent ou dissimulent. Nous invitons ainsi les chercheurs (du monde entier) de toutes les disciplines concernées par les noms de lieux, à proposer une étude rigoureuse, ancrée dans un itinéraire précis. Le style narratif, à condition qu’il reste scientifique, est encouragé, afin de rendre perceptible l’histoire que racontent les toponymes dans leur enchaînement. Il est recommandé également de proposer des représentations graphiques (cartes, schémas ou autres visualisations) permettant de mieux rendre intelligibles ces itinéraires, d’en saisir la cohérence, les ruptures ou les dynamiques.

Modalités

· L’ouvrage sera publié chez un éditeur reconnu ou dans une édition universitaire.

· Chaque proposition sera évaluée en double aveugle par un comité scientifique mixte : national et international.

· Les contributions proposées doivent être inédites.

Consignes aux auteurs

· Les propositions doivent avoir une longueur comprise entre 450 et 500 mots et rédigées sous format Word.

· L’auteur doit indiquer les informations suivantes : titre de proposition, prénom, nom, établissement de rattachement et courriel.

· La proposition doit être accompagnée d’une courte notice biobibliographique.

Comité scientifique

National :

· Amel Maouchi, Professeure, Université de Constantine.

· Amina Azzedine, Maître de conférences, Université de Mascara.

· Aziza Benzid, Professeure en Sciences des Textes Littéraires, Université de Biskra.

· Brahim Atoui, Docteur de l’université d’Aix en Provence, ancien directeur de l’Unité de recherche en onomastique du CRASC et ancien Premier Vice-président du Groupe des Nations sur la normalisation des noms géographiques.

· Dalila Belkacem, Professeure, Université d’Oran 2.

· Dounia Djerou, Maître de conférences en Sciences des Textes Littéraires, Université de Biskra.

· Foudil Dahou, Professeur émérite en Méthodologie de la recherche, Université de Ouargla.

· Hind Belkacem, Maître de conférences, Université de Mostaganem.

· Khireddine Tarek, Maître de conférences en Sciences des Textes Littéraires, Université de Biskra.

· Lamia Mecheri, Professeure, Université d’Annaba.

· Mounir Hammouda, Maître de conférences en Sciences des Textes Littéraires, Université de Biskra.

· Nadjiba Benazouz, Professeure en Sciences du Langage, Université de Biskra.

· Nedjoua Slimani, Maître de conférences en Traduction, Université des Sciences et de la Technologie d'Oran

· Saïd Saïdi, Professeur en Sciences des Textes Littéraires, Université de Batna 1.

· Sihem Guettafi, Maître de conférences en Sciences des Textes Littéraires, Université de Biskra.

· Yasmina Baghbagha, Maître de conférences, Université d’Alger 2.

· Zineb Moustiri, Professeure en Sciences du Langage, Université de Biskra.

International :

· Camille Ollier, Docteure en géographie de l'environnement, Université Lyon 2.

· Catherine Taine-Cheikh, Directrice de recherche émérite, CNRS – Lacito (UMR 7107).

· Francis Manzano, Professeur émérite des Universités en Sociolinguistique-Linguistique romane, Université Lyon 3 Jean Moulin.

· Frédéric Giraut, Professeur au Département de Géographie et Environnement de l’Université de Genève.

· Jean Cyrille Notter, Docteur en géographie sur la toponymie des archipels créoles de l'océan Indien, Université de la Réunion.

· Laurence Dahan-Gaida, Professeur de Littérature Comparée, Co-Directrice du C.R.I.T. (EA 3224), Directrice du portail et de la revue Epistemocritique, Université Marie et Louis Pasteur.

· Lionel Dupuy, HDR en géographie et co-responsable du Certificat International d'Écologie Humaine, Université de Pau et des Pays de l'Adour.

· Marcienne Martin, Professeure associée, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), Directrice de la collection Nomino ergo sum - Éditions L'Harmattan – Paris.

· Myriam Houssay-Holzschuch, Professeure à l’Université de Grenoble Alpes, Institut d’Urbanisme et de Géographie Alpine.

· Pascal Arnaud, Membre Senior honoraire de l’IUF, Professeur émérite à l’Université Lumière-Lyon 2, Maison de l'Orient et de la Méditerranée.

· Robert Pocklington, diplômé en Philologie romane de l'Université de Cambridge. Doctorat de l'Université de Cambridge sur le thème des toponymes et des anthroponymes et des emprunts lexicaux d'origine arabe. Il est actuellement président de la Société espagnole d'études Arabes.

Dates importantes :

· Date limite de soumission des propositions : 01 octobre 2025.

· Notification d’acceptation : 15 octobre 2025.

· Date limite de remise du texte intégral : 01 mai 2026.

· Parution de l’ouvrage : octobre 2026.

Langue des articles : français.

Contact :

· Dr. Mounir Hammouda : m.hammouda@univ-biskra.dz

· Dr. Camille Ollier : camille.ollier@ens-lyon.fr

Références bibliographiques :

Arnaud, P. (2004). Toponymie et histoire ancienne : problèmes de méthode. Le cas des Alpes méridionales, in RANUCCI, J.-C. et DALBERA, J.-Ph. (eds.) Toponymie de l’espace alpin. Approches croisées, Colloque international, Nice, 3-4 juin 2003, Nice, p. 31-75 (Corpus, Les Cahiers, 2).

Giraut, F. (2020). Dénominations plurielles : quand les noms de lieux se concurrencent ! in EchoGéo, 53, 2020, DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.20167


 
[1] Selon Frédéric Giraut, « La nomination, qu’elle soit officielle ou officieuse, issue d’un processus légal ou de la pratique, peut être considérée comme une technologie sociale qui attribue aux lieux et aux territoires des fonctions et des références et participe de l’instauration et/ou de la révélation d’un ordre social et politique » (2020 : 1).