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Le roman sous influence : repenser la création littéraire en contexte mondialisé (Sorbonne Université)

Le roman sous influence : repenser la création littéraire en contexte mondialisé (Sorbonne Université)

Publié le par Maxime Berges

Le roman sous influence :

repenser la création littéraire en contexte mondialisé 

Pour cette journée d’étude, nous souhaitons déployer l’histoire littéraire en réfléchissant aux influences étrangères qui ont forgé le roman français de l’entre-deux-guerres.

Cette dernière décennie, des efforts notables ont été fournis pour renouveler l’approche de l’histoire littéraire et plus largement des études littéraires. D’une part, Christie McDonald et Susan Suleiman ont exploré la littérature française en dehors de l’espace national, Jean-Louis Jeannelle, Marielle Macé, Christophe Pradeau ont proposé de raconter l’histoire littéraire des écrivains, Anthony Mangeon a envisagé la possibilité d’une « histoire littéraire intégrée » et Guillaume Bridet d’une « histoire multiscalaire ». D’autre part, Jean-Marc Moura a proposé de penser la « totalité littéraire », tandis que Mathilde Manara et Marie Kondrat cherchent à remotiver la notion de « littérature générale ». Cette approche de l’histoire littéraire s'inscrit dans une dynamique internationale qui, depuis près de trois décennies, considère les traductions comme un élément fondamental de la culture littéraire nationale. L'intégration des traductions dans l’histoire littéraire nationale, en s'appuyant sur les avancées des translation studies, des études sur les transferts culturels et des débats comparatistes concernant la world literature (Damrosch, 2003), offre une opportunité de repenser la méthodologie de l’histoire littéraire elle-même. Cette démarche pourrait, par exemple, se nourrir de la sociologie de la production des biens symboliques de Pierre Bourdieu et du concept de transnational turn (Sisto, 2024). La traduction littéraire ne constitue pas un phénomène isolé : chaque traduction implique une forme de manipulation ou de réécriture du texte source, influencée par les conventions linguistiques, rhétoriques, esthétiques et éditoriales spécifiques à la culture cible, contribuant ainsi à reconfigurer l'image d’une œuvre dans un nouveau contexte. En tant que vecteur crucial de la construction de la « renommée littéraire », l’étude de la traduction permet également de réfléchir à la mise en place du transfert littéraire comme un ensemble d’opérations sociales (sélection, marquage, lecture) (Heilbron et Sapiro, 2002 ; Sapiro, 2013).

La période de l’entre-deux-guerres a été celle d’une profonde remise en question de notre culture : la guerre de 14 a jeté un doute sur la grandeur de l’homme, rendu à sa fragilité par la machine de guerre ; la redécouverte de l’Orient et de ses traditions philosophiques a fait prendre conscience aux intellectuels que leur philosophie n’était pas universelle mais occidentale ; la succession des crises géopolitiques tout au long des années trente a montré les limites des pouvoirs de la littérature, qu’on voudrait efficace, peut-être en vain. En 1931, le bilan d’une première décennie d’après-guerre est posé : c’est la fin d’une époque, autant que la fin du roman. Toutefois l’inquiétude et l’instabilité qui en résultent n’amenuisent pas la production romanesque, elles l’enrichissent. Quand Emmanuel Berl annonce la mort du roman en 1927, il ne parle que du modèle hérité du xixe siècle ; d’autres peuvent et doivent émerger. De fait, au cours des années trente, les propositions ont été foisonnantes : qu’on pense aux romans parlants de Céline ou de Giono, aux romans philosophiques et cinématographiques de Malraux, aux romans reportages de Joseph Kessel, aux romans numérologiques de Queneau ou même à l’émergence d’un antiroman, puisque Tropismes de Sarraute paraît originalement en 1939. Mais en dépit de ce foisonnement, André Chamson note la perte d’influence des écrivains français :

N’est-il pas surprenant de voir qu’à l’heure actuelle alors que nous sommes environnés par des hommes d’un talent sûr et égal, bien peu d’entre eux arrivent à ce que l’on est convenu d’appeler la classe internationale, c’est-à-dire l’audience monde entier, à l’attention des hommes de toutes races. Il faut bien avoir le courage d’avouer qu’en dépit de notre influence, de notre position encore maîtresse en bien des lieux, nous sommes actuellement surclassés dans le monde par les romanciers étrangers.

La remarque de Berl mérite donc d’être prise au sérieux, moins pour adopter un point de vue décliniste et pour constater un état de crise, que pour repenser l’histoire du roman en ignorant volontairement ce qui le précède pour se concentrer sur ses influences immédiates.

La vie littéraire de l’entre-deux-guerres affiche une ouverture sans précédent vers d’autres littératures, d’autres cultures et d’autres sociétés, tout en étant marquée par une tension constante entre impérialisme, communisme et nationalisme. En a résulté les importantes traductions de Kafka, de Conrad, de Joyce, de Dostoïevski ou de Marai ; des voyages, des migrations et des échanges internationaux : le départ de Montherlant ou de Bernanos, l’arrivée de Thomas Mann ou d’Arthur Koestler, les voyages de Gide, de Nizan ou de Saint-Exupéry à l’étranger, ou de Tagore en France ; mais également des tentatives de poétique internationale, à l’instar du réalisme socialiste. Dans quelle mesure le roman français s’est-il réinventé au contact de modèles étrangers ?

Nous proposons comme pistes de réflexion les axes qui suivent, et auxquels il est bien sûr possible de ne pas se limiter :

Les réseaux littéraires internationaux. La première moitié du XXe siècle est un moment au cours duquel le monde littéraire se structure peu à peu (voir l’étude proposée par Pascale Casanova dans La République mondiale des lettres). Par quels moyens se nouent les échanges entre les romanciers français et étrangers ? Qui sont les passeurs et quels sont les leviers de l’inscription des auteurs étrangers en France ? On pourra s’intéresser au rôle des revues, des associations et institutions, à l’instar du cercle de Colpach, actif à partir de 1917, du PEN club, créé en 1921, et de l’Institut international de coopération intellectuelle, fondé à Paris en 1924, ou des lieux de rencontre et d’échange, telles les librairies du couple Adrienne Monnier et Sylvia Beach. Il sera plus largement utile d’analyser l’importance des amitiés littéraires : entre Philippe Soupault et Vítězslav Nezval, entre Luc Dietrich et Lanza del Vasto, entre René Maran et Manuel Gahisto…

L’imaginaire traduit. La circulation des œuvres littéraires, leurs canaux ainsi que leur temporalité rendent compte de la création d’une constellation d’œuvres présentes dans l’imaginaire collectif, laissant entrevoir un imaginaire en partage, dont la composition dépasse largement les frontières nationales. À ce titre, les problématiques liées à la traduction devront être prises en compte : une interrogation sur les romanciers traduits durant cette période, en provenance des États-Unis et de la Russie notamment mais aussi de divers pays européens et extra-européens, colonisés ou non, permettra de penser les phénomènes de contact et de transmission entre des cultures et des littératures différentes, dans le cadre d’une littérature qui devient mondialisée. Des influences concurrentes s’exercent ainsi sur le roman et conditionnent en partie la production romanesque. 

La marche forcée du roman. S’interroger sur la traduction pendant l’entre-deux-guerres, invite à prendre en compte les évolutions du contexte géopolitique européen et mondial : quels textes sont traduits dans quel contexte ? Il s’agira de considérer, d’une part, les traductions de circonstance et, d’autre part, le travail des écrivains contraints à l’exil en raison des périls politiques qui les menacent dans leur pays respectif. On remarque par exemple un recul de traductions de romans allemands après 1933, au bénéfice d’essais nazis, cependant que Thomas Mann, Alberto Moravia ou encore Alejo Carpentier et Vladimir Nabokov trouvent refuge en France et y poursuivent leur activité. Dans quelle mesure les romanciers français entrent-ils en dialogue avec ces textes ? Quelles nouvelles sociabilités découlent de ces déplacements forcés ? De la même façon, on pourra se demander ce que les écrivains français ramènent de leurs voyages, quelles images imprègnent leur production romanesque à leur retour.

Des poétiques en partage. L’entre-deux-guerres est une période d’activité intense autour du genre romanesque, comme en témoigne l’apparition du réalisme socialiste qui cherche à combiner la recherche littéraire et politique pour promouvoir l’idéologie communiste. D’autres aspirations de renouvellement du roman par les influences étrangères s’expriment toutefois à la même période : les traductions de Conrad s’inscrivent par exemple dans une recherche française de renaissance et de régénération du roman d’aventures, tout comme le modernisme anglo-saxon du tournant du XXe siècle influence la création romanesque française. Pour envisager l’importance de ces modèles, il sera utile d’analyser leur présence dans la presse et les revues françaises, mais également dans les romans. Quels titres composent la bibliothèque mondiale des écrivains français ? La question sera d’autant plus intéressante à poser pour les écrivains africains et asiatiques d’expression française, dont on a tendance à penser que les références sont uniquement tirées des classiques hexagonaux.

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Bibliographie indicative :

BRIDET Guillaume, L’Événement indien de la littérature française, Grenoble, ELLUG, 2014.

—, « Vers une histoire multiscalaire de la littérature française », Revue d’Histoire littéraire de la France, 120e année, 2020, no 1, p. 175-194

BANETH-NOUAILHETAS Emilienne et JOUBERT Claire (dir.), Comparer l’étranger. Enjeux du comparatisme en littérature, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2006.

CASANOVA Pascale, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, coll. « Points », 2008.

CHEVREL Yves et Jean-Yves MASSON (dir.), Histoire des traductions en langue française, Paris, Verdier, 4 vol., 2012-2019.

DAMROSCH David, What Is World Literature?, Princeton, Princeton UP, 2003.

HEILBRON Johan et Gisèle SAPIRO (dir.), Actes de la recherche en sciences sociales, septembre 2002, no 144 : « Traduction : les échanges littéraires internationaux ».

JEANNELLE Jean-Louis, Vincent DEBAENE, Marielle MACE et Michel MURAT (dir.), L’Histoire littéraire des écrivains, Presses de l’Université Paris Sorbonne, coll. « Lettres françaises », 2013.

KONDRAT Marie et Mathilde MANARA, « La littérature générale. Concordes et discordes autour d’une formule », appel à contribution pour la revue Fabula – LhT. URL : https://www.fabula.org/actualites/121086/fabula-lht-la-litterature-generale-concordes-et-discordes-autour-d-une-formule.html.

MANGEON Anthony, « Pour une histoire littéraire intégrée (des centres aux marges, du national au transnational : littératures françaises, littératures francophones, littératures féminines) », dans Abdoulaye Imourou (dir.), La littérature africaine francophone, mesures d’une présence au monde, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2014, p. 87-104.

MARX William, Vivre dans la bibliothèque du monde, Paris, Collège de France, 2020.

MCDONALD Christie et Susan Rubin SULEIMAN (dir.), French global : une nouvelle perspective sur l’histoire littéraire, Classiques Garnier, coll. « Classiques jaunes », 2015.

MOURA Jean-Marc, L’Europe littéraire et l’ailleurs, Paris, Presses Universitaires de France, 1998.

, La Totalité littéraire. Théorie et enjeux de la littérature mondiale, Paris, Presses Universitaires de France, 2023.

POLET Jean Claude (dir.), Patrimoine littéraire européen, Louvain, De Boeck, 1992-2000.

PRADEAU Christophe et SAMOYAULT Tiphaine (dir.), Où est la littérature mondiale ?, Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2005.

SAPIRO Gisèle, « Addomesticare lo straniero:le traduzioni letterarie in francese (dal XIX al XXI secolo) », dans Irene Fantappiè et Michele Sisto (dir.), Letteratura italiana e tedesca 1945-1970: Campi, polisistemi, transfer, Instituto Italiano di Studi Germanici, 2013, p. 13-37.

STRATFORD Philip, « Translation as Creation ». Dans Diane Bessai et David Jackel (dir.), Figures in a Ground. Canadian Essays on Modern Literature Collected in the Honor of Sheila Watson, Saskatoon, Western Producer Prairie Books, 1978, p. 9-18.

TOMICHE Anne (dir.), Le Comparatisme comme approche critique, t. 3, Objets, méthodes et pratiques comparatistes, Paris, Classiques Garnier, coll. « Rencontres », 2017.

VAILLANT Alain, L’Histoire littéraire, Armand Colin, 2017.

VAN TIEGHEM Paul, « La synthèse en histoire littéraire : littérature comparée et littérature générale », Revue de synthèse historique, vol. 31, 1921, p. 1-27.

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Les propositions de contribution, rédigées en 300 mots maximum et accompagnées d’une notice bio-bibliographique de 150 mots maximum, sont à envoyer à max.berges@gmail.com et lucie.garrigues1@hotmail.fr d’ici le 31 octobre 2025

La journée d’étude aura lieu le mercredi 21 octobre 2026, à Sorbonne Université.

  • Responsable :
    Maxime Berges & Lucie Garrigues
  • Adresse :
    Sorbonne Université