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Inventer en revue. Expérimentations esthétiques et éditoriales dans les revues de poésie francophone, 1970- 2000 (Liège)

Inventer en revue. Expérimentations esthétiques et éditoriales dans les revues de poésie francophone, 1970- 2000 (Liège)

Publié le par Marc Escola (Source : Stéphane Cunescu)

Colloque international

« Inventer en revue. Expérimentations esthétiques et éditoriales dans les revues de poésie francophone (1970- 2000) »

Date limite de l'appel : 5 octobre 2025 

Organisé par Stéphane Cunescu (ULiège) et Félix Katikakis (ULiège)

Les 5 et 6 mars 2026 à l'Université de Liège

Échappant aux contraintes éditoriales et économiques imposées au livre, les revues sont des objets stimulants pour étudier la poésie des cinquante dernières années. Espaces propices aux expérimentations formelles, bancs d’essai pour certains, ateliers de création pour d’autres, les revues donnent la possibilité de « faire du concret » (Venaille 1983) à travers la manipulation des matériaux (textes, images, documents) qui constituent un numéro.

À partir des années 1970, les revues de poésie se multiplient en France, et ce mouvement va se poursuivre jusqu’au milieu des années 1980. À côté des revues structurantes des années soixante (L'Éphémère, Tel Quel, Action poétique, Change, TXT), qui disparaissent les unes après les autres dans les deux dernières décennies du 20e siècle, de nouvelles entreprises revuistiques entendent maintenir des espaces d’expérimentation. Ces revues naissent avec l’héritage des avant-gardes, avec lequel elles doivent composer tout en évacuant l’inclination pour la théorie et, concomitamment, l’impératif consistant à se construire autour d’un programme ou d’un discours manifestaire. Il en résulte un changement de paradigme : les revues cessent progressivement d'exposer le travail collectif qui les sous-tend comme produit d'une logique groupale, avec les connotations négatives que la notion de « groupe » peut alors véhiculer (écrasement des individualités derrière un chef de file et un manifeste, inflation théorique, dynamique de repli en « chapelles » qui s'opposent mutuellement, etc.). Ainsi, par exemple, pour Liliane Giraudon et Jean-Jacques Viton, animer la revue Banana Split revenait à instaurer un lieu « déterritorialisé, échappant aux distributions d’influence des groupes en place » (Place 1983). On peut, en définitive, se demander si l’évolution ne se manifeste pas avant tout au niveau des « postures collectives » (Baud 2023) adoptées par les revues.

Les évolutions techniques infléchissent fortement le sens des mutations qui se font jour au cours de la période. En effet, l’utilisation de nouveaux procédés comme l'offset ou la photocopie (Théval 2014) participent à ménager une inventivité éditoriale, la création d’une revue allant ainsi souvent de pair avec la revendication d’une singularité matérielle et/ou graphique. Ces modalités de fabrication inédites se répercutent d’un point de vue esthétique, mais suscitent aussi des innovations quant à la diffusion et à la périodicité de l’objet-revue (que l’on songe à la revue liégeoise M25, qui tendit pendant quinze ans à un régime de publication mensuel, ou encore à l’In plano de Claude Royet-Journoud).

Dans un dialogue croissant avec les arts visuels, de nombreuses revues de poésie contemporaines tendent à devenir des espaces éditoriaux où l’image prend une place aussi déterminante que le texte. Ce phénomène s’observe notamment dans des périodiques comme Chorus ou Exit, qui accueillent régulièrement des artistes issus de la Figuration narrative. Si les images jouaient déjà, à la fin du XIXe siècle, une « fonction critique » (Stead 2020), et si certaines revues d’avant-garde du XXe siècle ont développé de véritables esthétiques du visuel (Castant 2002 ; Didi-Huberman 1995), elles sont aujourd’hui intégrées aux sommaires comme des contributions tout à fait autonomes. Par ailleurs, les techniques du collage ou du cut-up s’immiscent dans la mise en page elle-même, brouillant les frontières entre le lisible et le visible. D’autres revues, comme Luna Park ou Banana Split, mettent en valeur les « graphies » des auteur·rices invité·es, en reproduisant directement manuscrits et tapuscrits. De manière générale, la présence des arts visuels (photographie, peinture, cinéma, roman-photo, bande dessinée) dans ces publications joue un rôle majeur dans l’inventivité formelle qui caractérise une part importante de la poésie contemporaine.

Ces transformations invitent à interroger les formes d’inventivité poétique et éditoriale que la revue rend possibles : dans sa matérialité même, dans les modalités d’écriture qu’elle engage, comme dans les dynamiques collectives qu’elle génère ou reconfigure. Les propositions de communication pourront s’inscrire dans ces trois axes principaux :

1.     Dimension sociologique :

On s’intéressera à la manière dont les revues s’instituent, à travers leurs métadiscours et les pratiques d’écriture et de sociabilité qu’elles mettent en œuvre, comme espaces légitimes de production poétique collective dans la période 1970-2000. Quelles scènes poétiques cherchent- elles à composer ? Quels réseaux d’auteurs, de lieux ou de références organisent-elles ? Sur quelles « postures collectives » s’appuient-elles ? On pourra interroger, entre autres :

·      La figure du revuiste (Liliane Giraudon, Claude Royet-Journoud, Jean-Christophe Bailly, Robert Varlez, Jean Daive, etc.), en tant que forme particulière d’« animateur de la vie littéraire »(cf. Dozo 2014) ;

·      Le rôle des marges : en Belgique, la courbe d’activité des revues (cf. Aron & Soucy 1998) suit globalement celle observée en France, avec un pic dans les années 1970, puis une diminution. Le rôle des revues y est-il pour autant identique ? Quelles sont celles qui se créent ou se maintiennent dans les années 1990-2000 ? Avec quel héritage spécifique – celui des avant-gardes belges, de la « Belgique sauvage », de l’effervescence liégeoise des années 1970 (Aménophis, Mensuel 25, etc.) – doivent-elles composer ? En France, on pourra également interroger la manière dont certaines revues jouent de leur implantation en province pour revendiquer une position périphérique (ex. : Le Jardin Ouvrier, In’hui en Picardie) ;

·      La question de la traduction : les revues constituent des espaces de circulation privilégiés pour les textes étrangers contemporains, souvent avant leur parution en volume. Quelle image des poésies étrangères construisent-elles ? L’ouverture aux poétiques étrangères est-elle génératrice de tensions esthétiques ? L’échantillon constitué tend-il à conforter ou à déplacer le projet éditorial de la revue ? Peut-on identifier des courants poétiques translinguistiques dont les revues constitueraient le lieu d’émergence ?

2.     Dimension poétique : pratiques d’expérimentation formelle :

On s’attachera à interroger les dispositifs d’écriture singuliers que les revues accueillent ou provoquent. Quelle place ces publications donnent-elles à la recherche formelle ? Comment mettent-elles en scène des écritures inventives, soucieuses de bousculer les normes génériques et stylistiques ? On pourra s’intéresser, entre autres : 

·       à la manière dont certaines revues fonctionnent comme des lieux de « mise à l’essai » poétique : espaces de fragments, de suites, d’ébauches, où le poème s’invente au fil des numéros ;

·       aux formes de la notation, de l’essai critique intégré, du discours d’accompagnement : ces formes hybrides tendent à brouiller les frontières entre théorie et poésie, entre création et réflexion ;

·       à l’importance de certaines pratiques et formes d’écriture (listes, collages, transcriptions, jeux de contraintes, montages verbaux), souvent relayées ou expérimentées en revue avant leur figement dans le livre.

3.     Le rapport texte-image-matérialité :

·       Quels rapports (dialogiques, illustratifs, critiques, intriqués) sont mis en place entre textes et images ? On pourra s’interroger sur les formes de co-création entre poètes et plasticiens, les pratiques de contamination, voire de brouillage des régimes sémiotiques.

·       En quoi la revue permet-elle de faire apparaître la page comme un lieu plastique en soi, où la disposition typographique, les blancs, les polices, contribuent au sens ?

·       Quels usages du fac-similé, du manuscrit, du dessin ou de la photographie sont mobilisés dans ces dispositifs ?

·       Enfin, une attention pourra être portée aux revues qui intègrent la matérialité même de leur support (choix du papier, format, techniques d’impression) dans une logique esthétique — souvent artisanale, parfois subversive ou critique.

Les propositions de communication (maximum 3500 caractères espaces compris) sont à envoyer à l’adresse : colloquerevuesdepoesie@gmail.com avant le 5 octobre 2025. Réponse du comité scientifique courant décembre 2025.

Comité scientifique : 

Stéphane Baquey (Université Aix-Marseille)

Jean-Marc Baud (Université de Namur)

Justine Huppe (ULiège)

Corentin Lahouste (UCLouvain)

Maria Elena Minuto (ULiège)

Gérald Purnelle (ULiège)

Anne Reverseau (UCLouvain)

Anne-Christine Royère (Université de Reims Champagne-Ardenne)

Gaëlle Théval (Université de Rouen)

Bibliographie sélective :

ARON, Paul & SOUCY, Pierre-Yves : Les revues littéraires belges de langue française de 1830 à nos jours, Bruxelles, Labor, 2002.

BARDA, Jeff & CHARRON, Philippe : « Manutention des images et pensée pratique dans la création poétique contemporaine », in Desclaux, Jessica, Gervais, Bertrand, Lahouste, Corentin, Reverseau, Anne, Scibiorska, Marcela (dir.), Iconothèques. Collecte, stockage et transmission d’images chez les écrivains et les artistes (XIXe-XXIe s.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2025, p. 114.

BAUD, Jean-Marc, « Peut-on penser une posture collective ? Tentative de théorisation à travers l’exemple du collectif inculte », Elfe XX-XXI [En ligne], 10 | 2021, URL : http://journals.openedition.org/elfe/3364 ; DOI : https://doi.org/10.4000/elfe.3364

CASTANT, Alexandre : « Esthétique de l'image de La Révolution surréaliste », in CURATOLO, Bruno & POIRIER, Jacques, Les revues littéraires au vingtième siècle, Dijon, Presses Universitaires de Dijon, 2002, p. 111-125.

DIDI-HUBERMAN, Georges : La Ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, Paris, Macula, 1995.

CURATOLO, Bruno : Dictionnaire des revues littéraires au XXe siècle. Domaine français,Paris, Honoré Champion, 2014.

CUNESCU, Stéphane : « Envisager la poétique chorale de l'objet-revue. L'exemple de chorus et de Monsieur Bloom », Revue des Revues: Histoire et Actualité des Revues, n° 73, avril 2025, p. 2-27.

MINUTO Maria Elena & DE VREE Jan : Engaged Visuality: The Italian and Belgian Visual Poetry Phenomenon in the 1960s and 1970s, De Gruyter, Berlin (à paraître en 2025).

PLACE, Jean-Michel : Enquête auprès de 543 revues de poésie, Paris, Jeanmichelplace, 1983.

THEVAL, Gaëlle : « “Trois mots pour te dire que je suis vivant…” Doc(k)s, la carte postale en revue », in Reverseau, Anne & Nachtergael, Magali, Un Monde en cartes postales, Marseille, Le mot et le reste, 2022, p. 85-95.

—   « ‘Les revues ne sont pas des livres’. La revue comme espace de création (1960- 2000) », in Bénédicte Mathios, Isabelle Chol, Serge Linarès (dir.), Espace(s) du livre : espace(s) d’expérimentations poétiques, 2016, p. 305-334.

DE MARNEFFE, Daphné et DENIS, Benoît (dir.) : Les réseaux littéraires, Bruxelles, Éditions Le Cri, 2006

SAINT-AMAND, Denis : La dynamique des groupes littéraires, Liège, Presses universitaires de liège, 2016.

STEAD, Évanghélia, Sisyphe heureux. Les revues artistiques et littéraires. Approches et figures, Presses Universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2020.