
Intime et politique
Sorbonne Université – Doctorales de l’ED3 - 24 mai 2025
Appel à communication pour la journée d’étude sur le sujet « Intime et politique », organisée par les doctorants de l’école doctorale III de Sorbonne Université et destinée aux doctorants et jeunes docteurs.
Les notions d’intime et de politique paraissent à première vue opposées. Alors que l’intime renvoie à une expérience subjective, impénétrable à l’observation extérieure, le politique, qui s’intéresse à l’organisation des sociétés, tend à dissoudre l’individualité du sujet dans la collectivité. Pourtant, examiner leurs rapports permet d’explorer une porosité entre sphères publique et privée mise en évidence par Foucault : loin d’être préservé du politique, l’intime est au contraire déterminé par lui[1]. Cette intrication entre intime et politique s’est manifestée au fil des siècles selon différentes modalités.
L’intime, dont le sens varie selon les périodes et les contextes historiques et politiques[2], peut être envisagé comme « un espace de retrait au plus intérieur de soi, coulisses de la vie privée qui échappe au regard social[3] ». Or, l’écriture de l’intime en littérature, dans un geste éminemment paradoxal, expose ce qui est d’ordinaire caché aux yeux du public, révèle des secrets parfois inavouables. Si « toute la littérature dit l’intime », comme le souligne Michelle Perrot[4], ce dévoilement de l’intimité par l’écriture littéraire ne revêt-il pas aussi une dimension politique, lorsque l’on envisage que « dévoiler c’est changer, et qu’on ne peut dévoiler qu'en projetant de changer[5] » ?
Voix intimes, résonances politiques
Il s’agira donc d’examiner comment certains récits, qu'ils soient fictionnels ou non-fictionnels, mettent en lumière les liens complexes entre intime et politique à travers les genres et les époques. On observera la façon dont la littérature tend parfois à « politiser » l’intime, ou comment des auteurs et autrices choisissent délibérément d’entrelacer expression de l’intime et réflexion politique, instaurant un dialogue entre expérience individuelle et expérience collective. Il sera également possible d’explorer la manière dont la littérature peut parfois procéder à une « intimisation » du politique, en remplaçant la causalité politique d’événements historiques par des causalités affectives relatives à l’intimité de figures historiques.
Cette articulation entre intime et politique en littérature invite en outre à s’intéresser aux effets de réception qu’elle produit : le détour par l’intime permet-il d’éclairer des enjeux politiques et de pouvoir ? Ces voix intimes portées par la littérature peuvent-elles trouver un écho chez le lecteur ou la lectrice, et transformer sa perception du monde social ?
L’expression de l’intime à l’épreuve du politique
Dans la mesure où l’écriture de l’intime est indissociable du contexte politique dans lequel elle s’inscrit, on pourra réfléchir à la manière dont les révolutions, les régimes autoritaires, ou les guerres modifient profondément les conditions d’expression du sujet. Ces situations sont susceptibles de la troubler, voire de l’entraver : l’écriture de l’intime peut dès lors devenir un acte de résistance, une manière de subvertir un discours politique coercitif.
Ainsi certaines périodes de grands bouleversements sociopolitiques incitent-elles les écrivains et écrivaines à repenser les implications politiques du discours intime. Dans cette perspective, la parole intime peut devenir, dans certaines circonstances, un enjeu collectif.
Enjeux poétiques et politiques de l’intime
La capacité de l’écriture littéraire à remettre en question l’empire du politique sur l’intime pourra également être interrogée. L’écriture de l’intime peut en effet être envisagée comme un geste politique transgressif quand il s’agit de dénoncer un interdit, ou quand le récit intime révèle quelque chose de l’organisation sociale. La littérature offre ainsi l’occasion d’incarner le politique à travers des parcours individuels afin de le questionner, devenant un espace de réflexion critique permettant de remettre en question les normes et l’ordre établi.
Cependant, l’expression de l’intime et la dénonciation qu’elle formule peuvent aussi être neutralisées par les instances de pouvoir, exposant l’écrivain ou l’écrivaine à la censure, à la stigmatisation, voire à une condamnation sociale ou politique. Dans ces circonstances, les auteurs et autrices doivent élaborer des stratégies d’écriture pour contourner ces risques tout en préservant la force subversive de leur récit. Le cas échéant, il conviendra d’explorer comment cette tension influence la poétique des textes.
On pourra ainsi traiter le sujet selon les axes suivants, ou d’autres encore :
- (Re)configurations des rapports entre intime et politique
- Politisation de l’intime / « Intimisation » du politique
- Mutations politiques et expression de l’intime
- Écriture de l’intime et regard social
Les propositions de communication, d’une longueur de 400 mots maximum, devront être anonymisées, et sont à faire parvenir avant le 21 avril 2025 à l’adresse suivante :
doctoralesed3@gmail.com
Les communications feront l’objet d’une publication en ligne sur Hypothèses.
La journée d’étude aura lieu exclusivement en présentiel et en français. Les frais de déplacement et de séjour ne seront pas pris en charge.
Bibliographie indicative
Histoire de la vie privée, éd. Philippe Ariès et Georges Duby, [1985-1987], 5 tomes, Paris, Éditions du Seuil, Paris, 1999.
Itinéraires, « Intime et politique », dir. Véronique Montémont et Françoise Simonet-Tenant, 2012-2, 2012. URL : https://journals.openedition.org/itineraires/1062.
L’Invention de l’intimité au siècle des Lumières, dir. Benoît Mélançon, Littérales, n°17, 1995.
Orages, « Les révolutions de l’intime », dir. Paul Kompanietz et Jean-Marie Roulin, n°18, décembre 2019.
Politique de l'autobiographie. Engagements et subjectivités, dr. Jean-François Hamel, Barbara Havercroft, Julien Lefort-Favreau, Montréal, Nota Bene, 2017.
AUDE, Nicolas, Les aveux imaginaires. Scénographie de la confession dans le roman (Angleterre, France, Russie), Lyon, ENS Editions, 2022.
FOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1997.
FREIDEL, Nathalie. La Conquête de l’intime. Public et privé dans la correspondance de Madame de Sévigné, Paris, Honoré Champion, coll. « Lumières classiques », 2009.
FROIDEVAUX-METTERIE, Camille, « Littératures incarnées : l'intime est politique », Sciences Humaines, n°364, 2023, p. 64-66.
GEFEN, Alexandre, La littérature est une affaire politique, Paris, Éditions de l’Observatoire, coll. « Hors collection », 2022.
JEANNELLE, Jean-Louis, Écrire ses Mémoires au XXe siècle : déclin et renouveau, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 2008.
MARTIN GOLAY, Annabelle, Beauvoir intime et politique. La fabrique des Mémoires, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013
MAJOREL, Jérémie, Théâtres de l'intime et du politique au XXIe siècle, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, coll. "Arts", 2024
NANCY, Jean-Luc, « Tout Est-Il Politique ? (Simple Note) » Actuel Marx, n°28, 2000, p. 77–82.
RANCIERE, Jacques, Politique de la littérature, Paris, Galilée, coll. « La philosophie en effet », 2007.
SAPIRO, Gisèle, Les Écrivains et la politique en France. De l’affaire Dreyfus à la guerre d’Algérie, Paris, Seuil, 2018
SARTRE, Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio-Essais », 1993.
[1] Voir Michel Foucault, Histoire de la sexualité III. Le souci de soi, Paris, Gallimard, 1997.
[2] Voir Véronique Montémont, « Dans la jungle de l’intime : enquête lexicographique et lexicométrique (1606-2008) », Itinéraires, 2009/4, p. 15-38. URL : http://journals.openedition.org/itineraires/585, consulté le 13 mars 2025.
[3] Françoise Simonet-Tenant, « À la recherche des prémices d’une culture de l’intime », Itinéraires, 2009/4, URL : http://journals.openedition.org/itineraires/1466, consulté le 13 mars 2025.
[4] « Entretien avec Michelle Perrot. “Toute la littérature dit l’intime”. », Orages, N° 18/1, p. 243-249.
[5] Jean-Paul Sartre, Qu'est-ce que la littérature ? [1948], Gallimard, 1993, p. 29.