
Séance 3 Séminaire littéraire des Armes de la Critique : "Féminisme matérialiste et littérature" (ENS Paris)
La troisième séance du Séminaire Les Armes de la Critique aura lieu le vendredi 7 mars 2025, de 14h à 16h30, à la salle Émile Borel (U 203), 29 rue d’Ulm. Elle sera consacrée à repenser le travail littéraire dans la perspective des féminismes matérialistes.
Nous accueillerons deux interventions : celle de Pauline de Vergnette sur la notion de travail littéraire dans l'œuvre de Monique Wittig, et celle d'Aurore Turbiau sur un possible "style" matérialiste chez diverses autrices féministes du moment 1970-1980 :
Pauline de Vergnette : L’écriture depuis le « chantier littéraire » : la représentation du travail de l’écrivain dans l’œuvre de Monique Wittig
Dans Le Chantier littéraire, Monique Wittig part à la recherche du point de vue de l’écrivain, invisible parce que se trouvant à l’endroit qui précède l’achèvement du langage dans la phrase, là où les mots sont encore un matériau non déterminé par ce qu’en fait l’usage. C’est d’un face à face spécifique qu’il s’agit de parler : écrire, c’est occuper une situation face au langage, « avec lui, sur lui, par lui, contre lui ». Une « pratique » est en jeu, pratique textuelle d’un écrivain-ouvrier qui forme la matière par sa force de travail, et ce faisant dévoile la « face » matérielle par lequel le langage, dans l’expérimentation poétique, est saisi. Alors, le langage en question est compris par l’écrivain, loin des dissections postérieures, comme un tout hétérogène et polysémique dont la manipulation est un processus où on « bute sur le langage ». Matériau-langage se produisant à la fois depuis une pratique singulière et depuis des formes « déjà-là » : composer en tant qu’écrivain avec le matériau, c’est composer avec la sédimentation des usages, où les mots sont marqués, structurent les rapports de force, sont pourvus d’effets. La pratique est appropriation, réinvestissement, et c’est la façon dont il s’agit de se faire sujet dans le langage qui est en jeu, le “travaillant” de l’intérieur.
Aurore Turbiau : « Corps matériel gravé de signes matériels » : des styles féministes matérialistes en chantier.
L’intervention reviendra, pour poser le contexte de réflexion, sur la base de ce qu’on peut entendre comme pensées du différentialisme et du matérialisme, au moment des années 1970-1980 en littérature et en contexte féministe. À partir de là, et en s’intéressant plus particulièrement à quelques manifestations esthétiques du matérialisme (chez diverses autrices : Monique Wittig, mais également France Théoret ou Madeleine Gagnon), il s’agira de demander quand l’on peut parler de “style” matérialiste. Certains traits stylistiques peuvent être repérés (on croise des figures de soustraction, de distanciation, d’énallages, par exemple), dont la signification esthétique s’ancre à la fois dans des épistémologies post-marxistes et existentialistes (celles de la “situation” et du “point de vue”), et dans une réflexion sur ce que l’on peut faire matériellement à la langue et à l’espace littéraire pour y modeler une place à des sujets, en l’occurrence féminins. On expliquera pourquoi la question de possibles styles matérialistes vaut d’être posée dans l’état actuel des recherches en littérature et en études de genre, et on se demandera si et comment elle rejoint d’autres interrogations, hors contexte féministe, sur les interprétations matérialistes de l’objet littéraire.
La séance, modérée par Mathilde Roussigné, est ouverte à toutes et à tous, sans inscription préalable.