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Liquide(s) agentivité, usages, représentations et imaginaires du liquide dans l’Art du XXe siècle à nos jours (Paris)

Liquide(s) agentivité, usages, représentations et imaginaires du liquide dans l’Art du XXe siècle à nos jours (Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Davia Lagos)

Le laboratoire HAR (Histoire des Arts et des Représentations, Université de Nanterre) et le LIRA (Laboratoire International de Recherche en Art, Sorbonne Nouvelle) organisent un colloque les 20 et 21 mars 2025 pour interroger collectivement la notion de liquide dans le domaine des arts au cours des  XXe et XXIe siècles. Il s’agira d’étudier la façon dont le liquide a été ou est impliqué dans l’œuvre d’art, que ce soit pour contribuer à sa réalisation, sa dimension matérielle, formelle ou thématique, ainsi que son impact sur les imaginaires lorsqu’il est employé comme un symbole de la pensée, du social ou du politique.

En Chimie, trois états de la matière existent : solide, gazeux et liquide. Contrairement à une matière solide dont les composants sont ordonnés, ou à celle gazeuse dont les éléments sont dispersés, la matière liquide a des composants à la fois condensés et désordonnés. Corps déformable, un liquide a comme spécificité de prendre la forme de son contenant. 

Du liquide, différentes qualités sont à relever : fluide, visqueux, pâteux, miscible, non-miscible, stable, instable, etc. En outre, cet état de la matière est susceptible de changer : un liquide devient un gaz par vaporisation et un solide par solidification. Il existe ainsi certains états intermédiaires de la matière tels que les « cristaux liquides » qui sont à la fois liquides et solides, si bien qu’ils remettent en question la tripartition des états de la matière.

Si c’est bien l’image de l’eau qui s’impose lorsque l’on s’intéresse au liquide, d’autres composants chimiques ne sont pas à omettre, comme l’éthanol ou le mercure. Les fluides corporels que sont le lait, le sang, le sperme, la sueur, les larmes, la bave etc., constituent autant d’extensions biologiques à la notion de liquide.

 En dehors de sa description chimique et physique, les propriétés et les changements de l’état liquide ont été sources d’inspiration pour de nombreux artistes, philosophes et  théoricien·ne·s de l’art. Ainsi c’est pourquoi le laboratoire HAR (Histoire des Arts et des Représentations, Université de Nanterre) et le LIRA (Laboratoire International de Recherche en Art, Sorbonne Nouvelle) organisent ce colloque pour questionner la notion de liquide au sein de l’Art, des arts et des œuvres, du XXe siècle à nos jours. Il s’agira d’interroger les différents usages des liquides dans la dimension matérielle, formelle et thématique des œuvres d’art, mais aussi dans leur réalisation, leur conservation et leurs différents impacts sur les imaginaires. 

1. Matérialité du liquide

Bien des artistes ont utilisé l’élément liquide pour sa matérialité dans leurs œuvres pendant toute la période contemporaine. On pense par exemple à la méthode du dripping en peinture pratiquée par Jackson Pollock, par la suite parodiée à l’urine par Andy Warhol et son Oxydation painting (1978). Il y a aussi les compositions aqueuses de John Cage qui utilisent l’eau comme partie intégrante de Water Walk (1959), ou alors les performances sanglantes de Gina Pane ainsi que d’autres performeur·euse·s du body art dans les années 70. La matière liquide intéresse les artistes pour ses qualités propres qui permettent de subvertir la figuration, de mettre l’accent sur la matérialité des œuvres, sur leur épaisseur sensible et sensuelle, ainsi que sur celle, à la fois fragile et outrancière des corps, notamment féminins. En explorant les limites de la figuration, les artistes s’aventurent vers les limites de la représentation. Le liquide permet de représenter les interdits du corps, mais aussi paradoxalement de l’abstraire en le réduisant aux liquides qui le composent et l’entourent.

Le liquide fait aussi partie intégrante de la production et de la conservation des œuvres. Jeff Wall dans son texte Photographie et intelligence liquide (1989) explique comment la photographie fige la liquidité et le flux du monde mais aussi comment il fait partie intégrante de la production de l’image photographique par le biais des bains de révélateurs qui la font apparaître. Cette généalogie matérielle liquide de la photographie peut aussi s'appliquer au cinéma, notamment argentique (Michaud, 2014), qui non seulement est matériellement produit par le liquide révélateur (Oscar Muñoz, Ciclope [Cyclope] 2011.)  mais qui, par sa capacité à reproduire le flux du réel et sa fascination toute particulière pour l’élément aquatique (Thouvenel, 2010), en fait peut-être le médium liquide par excellence.

Ces différentes utilisations des liquides dans la production artistique questionnent l’agentivité d’une telle matière qui, par ses qualités chimiques spécifiques, autogénère ses mouvements et ses formes. Si les artistes exploitent l’agentivité propre des liquides dans leurs œuvres, on examinera aussi comment ces liquides acquièrent une certaine autonomie créative leur permettant de faire œuvre, d’assurer leur conservation (comme dans l’œuvre Equilibrium de Jeff Koons (1985) et ou chez Damien Hirst, The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, en 1991 présentant un requin plongé dans le formol) ou au contraire de les détruire (comme dans Spiral Jetty de Robert Smithson (1970) par le biais du phénomène d’entropie).

Les qualités matérielles spécifiques des liquides poussent également les philosophes et théoricien·e·s de l’art à concevoir le liquide en tant que concept esthétique qui subverti les catégories de forme et de fond, d’objet et de sujet, d’intérieur et d’extérieur, de corps et d’environnement, de créateur et de création (Fréchuret, 2004, Lécole Solnychkine, 2023).  Cette mise en tension de dualismes fondateurs de la théorie esthétique nous permettra de constituer collectivement une première histoire liquide des arts.

2. Imaginaires liquides

L’utilisation matérielle du liquide crée des imaginaires qui sont liés soit à des propriétés spécifiques du liquide utilisé, soit à leur valeur sociale, culturelle et symbolique qui est remise en cause ou qui nourrit la création artistique. Ainsi, l’utilisation de fluides corporels dans les œuvres a-t-elle pour objectif, de repousser les limites de la représentation voir de transgresser les interdits sociaux. Mais parfois, il n’est pas nécessaire d’utiliser matériellement les fluides, leur seule suggestion, visuelle ou textuelle, suffit aux œuvres pour se nourrir de leur pouvoir de transgression. On pense par exemple au Corps Lesbien (1973) de l’écrivaine et théoricienne Monique Wittig qui, par l’évocation des fluides corporels, tente de redéfinir le corps désiré et désirant.

Il en est de même pour l’imaginaire marin et sous-marin. La simple évocation de l’océan convoque un imaginaire qui prend sa source dans la littérature depuis l'Antiquité (L'Odyssée, Homère) et qui voit dans l'océan l'endroit où se cachent monstres, créatures étranges ainsi que des découvertes fabuleuses (Corbin, Richard, 2004).

L’eau nourrit ses imaginaires et fait émerger d’autres récits alternatifs des profondeurs, comme celui du duo musical Drexciya qui fonde ses albums sur la construction d’un univers sous-marin, peuplé des descendants d’esclaves noyés dans l’océan Atlantique.  

D’autres milieux liquides, naturels ou non, peuvent apporter des imaginaires différents, comme les rivières, les marais, les lacs ou les piscines qui inspirent les artistes pour leurs liquidités alternatives, empreintes du mélange des êtres et des matières. On pense par exemple à l’œuvre virtuelle de Jacob Kudsk Steensen, Berl Berl (2021) qui nous place au cœur des marais entourant la ville de Berlin, soulignant leurs caractères fantastiques et essentiels au maintien de la biodiversité. De ces univers et milieux liquides naissent de nouvelles manières politiques d’envisager cet élément, à la fois décoloniales, féministes et écologiques, notamment quand ces milieux subissent l’extractivisme (Gomez Barris, 2017) et les conséquences de la crise écologique. Les milieux naturels liquides sont des écosystèmes fragiles dont la perturbation provoque très rapidement leur dérèglement, menaçant l’existence humaine par leur disparition mais aussi par la possibilité de la submersion liquide engendrée par la montée des eaux.  Ainsi, la création artistique est-elle aussi façonnée par des pensées contemporaines de la liquidité, qui interrogent la force créatrice et destructrice des liquides. C’est le cas de la recherche hydroféministe de Astrida Neimanis (2017) ou de la pensée critique de Zygmunt Bauman sur la « société liquide » (2000) qu’il étudie aussi sous ce prisme les œuvres de Herman Braun Vega ou de Jacques Villeglé. 

DISTANCIEL & CONTACT

Pour suivre en ligne le colloque LIQUIDE(S), veuillez demander le lien de l’évènement à l’adresse mail suivante : lagos.davia@parisnanterre.fr

COLLOQUE INTERNATIONAL ORGANISÉ PAR

Élise JOUHANNET, Doctorant•e en Cinéma et audiovisuel,
Université Sorbonne Nouvelle (LIRA) ;
Davia LAGOS, Doctorante en Histoire de l’art contemporain
Université Paris Nanterre (HAR) ;
Hugo BERNARD, Doctorant en Histoire de l’art contemporain,
Université Paris Nanterre (HAR).
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Teresa CASTRO, Maître de conférence en Études cinématographiques
et audiovisuelles, Université Sorbonne Nouvelle (IRCAV) ;
Judith DELFINER, Maître de conférence en Histoire de l’art contemporain,
Université Paris-Nanterre (HAR) ;
Antonio SOMAINI, Professeur des universités spécialisé
en Théorie du cinéma, des médias et de la culture visuelle,
Université Sorbonne Nouvelle (LIRA) ;
Guillaume LE GALL, Professeur des universités en Histoire de l’art
contemporain, Sorbonne Université (Centre André Chastel) ;
Eric THOUVENEL, Professeur des universités en Études cinématographiques,
Université Paris-Nanterre (HAR) ;
Béné MEILLON, Professeur des universités en Littératures
et Culture d’Amérique du Nord, Université d’Angers (3L.AM).

Programme du colloque 

Jour 1 - 20 Mars 2025 Maison de la recherche (Sorbonne nouvelle)
Salle Claude Simon - 4 rue des Irlandais, 75005 Paris 

8h45: Accueil des participant•e•s et invité•e•s
9h: Introduction

Matériaux et matières liquides

9h15: Liquidités du lieu dans l’œuvre numérique de Leighton Pierce - Quentin LEPETITDIDIER - Doctorant en études visuelles, Université Paris Cité.

9h35: La coulure dans l'art urbain, témoignage d'une pratique mouvante - Simon GRAINVILLE - Doctorant en Histoire de l’Art contemporain, Université Paris - Nanterre.

9h55: Discussion avec Isabella HIN (Artiste plasticienne) et Marie GOEHNER-DAVID (Doctorante et enseignante en arts visuels, Université de Strasbourg)

10h25: Questions & Réponses
11h: Pause café

11h30: Le cinéma mouillé, figures aqueuses et milieux hydriques du cinéma - Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE - Professeur des universités en Esthétique, Université Toulouse - Jean Jaurès.

12h30: Déjeuner
14h30:  Introduction de la 2e partie de la journée

Extractivisme et migrations

14h45: Fluid, viscous and sticky visions: oil images and visual culture of extraction - Giovanni PEROLO - Doctorant en culture visuelle, Université de Milan, La Statale. 

15h05: Traces liquides d’une opération de filtrage « réussie » - Evgenia GIANNOURI (Maître de conférence en Cinéma & Audiovisuel, Université Sorbonne Nouvelle).

15h25: Questions & Réponses
16h00: Pause café

Perspectives décoloniales

16h30: Des expériences sous-marines afrofuturistes, avec et après Drexciya : perspective cinématographique, littéraire et écosomatique - Lucile COMBREAU - Docteure en Théorie et Histoire des Arts et des Littératures de la Modernité, Université Sorbonne Nouvelle).

16h50: Eau, vaseline et autres liquides dans le Black Atlantic - Marie-Laure DELAPORTE - Docteure en Histoire de l’Art contemporain, Université Paris Nanterre.

17h10: Le ‘Passage du Milieu’ et l’art de la liquidation. La noyade de masse dans l’esthétique contemporaine des Afrodescendants - Marc BERNARDOT - Professeur des universités en Sociologie, Université d’Aix-Marseille).

17h30: Questions & Réponses
18h: Conclusion de la 1ère journée

Jour 2- 21 Mars 2025, INHA, Salle Vasari - 2 rue Vivienne, 75002 Paris

8h45: Accueil des participant•e•s et invité•e•s
9h: Introduction

Bio-Art et Liquidité, expressions non-anthropocentrées de l'art liquide

9h15: POV : La science-fiction liquide de Pierre Huyghe - Valentina PERAZZINI - Doctorante en Histoire de l’Art, UCLouvain.

9h35: L’eau et les données : dialogues entre arts, sciences et culture numérique - Everardo REYES - Professeur des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication, Université Paris 8, Vincennes - Saint-Denis.

9h55: "Le combat des dards d'amour" discussion autour d'une performance baveuse entre Chloé Saksik (artiste plasticienne, sculpture et performance) et Chloé Pretesacque (doctorante en Théorie de l'art, Université Sorbonne Nouvelle)

10h25: Questions & Réponses
11h: Pause café

11h30:  Eaux sombres, les artistes à l’épreuve - Maurice FRÉCHURET - Historien de l’art, conservateur en chef du patrimoine.

12h30: Déjeuner
14h : Introduction de la 2e partie de la journée

Fluides corporels

14h15: La création menstruelle comme revendication féministe : Esthétisation et banalisation du fluide corporel. Étude de cas du projet
artistique « Beauty in blood » de Jen Lewis - Lucile GIRARDET - Doctorante en arts plastiques, Université de Lorraine.

14h35: « Uriner : ruiner » Fictions et mictions dans l’architecture de François Roche - Pierre BOURDAREAU - Maître de conférence en design, Université Bordeaux Montaigne.

14h55: « Le monde est tellement sec qu’il faut sans cesse tout humecter » : Eugène Savitzkaya et la mécanique des fluides (poétiques) - Léa M. FOUGEROLLE - Doctorante en Études francophones, Université de Louisiane.

15h15 : Liquidité et cinéma d'exploitation italien – Images immergées, images hybridées - Élie CIMOLINO - Étudiant Master 2 Esthétique du Cinéma,
Université Toulouse - Jean Jaurès.

15h35 :Questions & Réponses
16h05 : Pause café

Temps, inconscient et mémoires liquides

16h30 : Spectralité de l’eau dans la création artistique contemporaine de Colombie : dissoudre la réalité établie de la violence - Estelle VANWAMBEKE - Doctorante en arts hispano-américains, Université Sorbonne Paris Nord.

16h50 : Into the ‘Blue’ : plongée dans l'eau salée avec Laura Magnusson - Bruna BONANNO - Doctorante en Culture visuelle et Théorie des Médias, Université de Milan, La Statale.

17h10 : Vers le temps liquide : le monde englouti dans le cinéma de Théo Angelopoulos - Hyunyoung KIM - Doctorante en Études cinématographiques, Université Sorbonne Nouvelle.

17h30 : Questions & Réponses

18h00 : Conclusion de la 2e journée et du colloque