
Les cabanes du contemporain
Colloque in situ : Maison de la Forêt de Saint-Sauveur (54)
23-24 octobre 2025
« La cabane ensemence les rêves de l’époque[1] » : c’est par ce constat liminaire que Natacha Wolinski ouvre son article consacré à la présence de la forme cabanière dans les propositions artistiques contemporaines, les arts plastiques aussi bien que l’architecture. La cabane, affirme-t-elle, apparaît comme « le lieu de tous les possibles des artistes et la nouvelle obsession des architectes ». La présente manifestation postule d’une obsession qui déborde de beaucoup le camp des seuls architectes : sur fond d'écopoétique et d'écocritique du point de vue méthodologique, de désir de repli, voire de disparition du point de vue thématique, d’esprit de refus voire de résistance du point de vue politique, les écritures contemporaines, comme l’art contemporain, ont pleinement réinvesti notre besoin de cabanes, motif qui, pour la vulnérabilité ou la fragilité qu'il semble supposer, ainsi que pour l'isolement voire l’insularité qu'il met en œuvre, paraît tenir à distance (et, peut-être, mettre en échec) les logiques de la pérennité, de l'abondance, de l'outrance, ou encore de la masse. Gardons-nous toutefois d’en faire une lecture strictement anti-moderne ou contre-moderne : car la cabane contemporaine, souvent héritée du rebelle Thoreau plutôt que de l’entrepreneur Robinson, exploite un autre sillon de la modernité, trop souvent et trop facilement réduite au seul fantasme technique.
Si le cabanisme n’est pas un mouvement, il donne toutefois lieu à une rêverie pratique que nous connaissons bien, entre esprit d’enfance, désir régressif, robinsonnade revisitée, ou posture d’indiscipline. À ce titre, la cabane n’est plus seulement un espace à habiter mais la forme donnée à une revendication, un logis-manifeste dont la puissance et la pertinence symboliques restent à identifier et à évaluer. Machine philosophique rudimentaire, la cabane jouit du privilège de ne pas être assez solide, de prendre l’eau et de laisser passer les courants d’air : en renonçant à l’imperméabilité du dedans et du dehors, elle ouvre aux métamorphoses et se ressaisit des conditions de la présence individuelle à l’aune d’une sensibilité écologique et paysagère réaffirmée, et peut-être d’un néo-romantisme du sol à l’heure où celui-ci, dit-on, se dérobe. Ainsi la cabane relève-telle tout à la fois d’une expérience du monde et d’une « expérience de pensée » selon Gilles A. Tiberghien[2].
Les gestes et les pratiques d’encabanement marquent aussi le désir d’un nouveau rapport à l’espace qui serait habité par un corps itinérant et sans empreinte, cherchant à se relier au territoire ou au périmètre, souvent par le biais d’une écolangue qui renoue avec l’idylle et la pastorale, réévaluées aux conditions d’un « monde abîmé », plutôt qu’à l’occuper ou à l’assiéger – des espaces « ménagés plutôt qu’aménagés[3] ». Par une approche renouvelée, ou régénérée/régénérante, du sol et de l’environnement, la cabane se fait expérience anthropologique fondamentale plutôt que fondatrice. Elle s’offre encore comme un espace transitionnel et de l’entre-deux (sauvage/civilisé, naturel/artificiel, …) qui abrite une part de la subsistance des rêves d’un monde en mutation, appelé à se métamorphoser par la négociation de relations nouvelles, non pas seulement avec le vivant et l’écoumène, mais aussi avec les grandes idéologies de la modernité triomphante ou avec les rebuts et les rebutants des temps présents – « Quand le ciel entre dans les yeux du rebutant, rien, il ne se passe rien, sauf un autre jour, une semaine, puis un mois, une vie entière[4]. » Au risque, parfois pointé, de la facilité et de la naïveté – une lecture qui mériterait d’être discutée, textes à l’appui.
Ce colloque s’intéressera à la manière dont la cabane constitue depuis le second vingtième siècle un lieu d’investissement imaginaire et symbolique. Il se propose d’explorer les façons dont la cabane, qui ne se transmet pas ni ne produit de ruines, fait paradoxalement l’objet d’un nouvel héritage intellectuel et sensible pour tenter d’offrir un abri de fortune à des désirs qui, dans le bruit et la fureur d’un contemporain auto-proclamé « en effondrement », n’ont pas dit leur dernier mot et formulent la possibilité d’une utopie modeste, bien éloignée des grands systèmes de sens qui se sont appuyés sur le monumentalisme architectural. « Nous sommes là où notre présence fait advenir le monde, nous sommes plein d’allant et de simples projets, nous sommes vivants, nous campons sur les rives et parlons aux fantômes, et quelque chose dans l’air, les histoires qu’on raconte, nous rend tout à la fois modestes et invincibles. Car notre besoin d’installer quelque part sur la terre ce que l’on a rêvé ne connaît pas de fin[5]. » Si nous ne savons plus toujours où nous sommes dans un contemporain aussi cacophonique que cacotopique, la prolifération des cabanes, des encabanés et des gestes d’encabanement dit quelque chose de nos désirs d’habiter, d’installer, ou plus généralement de nos façons d’être présents, dans un enthousiasme malgré tout à produire une réserve de gestes possibles, et possiblement partagés. Le mot cabane s’affirme à ce titre comme une fiction géographique régulièrement répétée, la survivance d’une « histoire modeste et invincible » que nous souhaitons ici ressaisir et raconter.
Ce colloque ambitionne donc de faire parler les encabaneurs et les encabanés du contemporain pour comprendre ce qu'ils ont à dire de notre séquence culturelle au sens le plus large (anthropologique, sociologique, intellectuel, esthétique…), dans le cadre d'une recherche située : le colloque sera en effet accueilli par la Maison de la forêt de Saint-Sauveur (Lorraine), où se croiseront interventions académiques, paroles des acteurs locaux, paroles d’artistes et séquences en plein air.
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Co-organisé par l’Université de Lorraine et l’Université de Lille, le colloque se déroulera les 23 et 24 octobre 2025 à la Maison de la Forêt de Saint-Sauveur (54480).
Les propositions, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, sont à adresser au plus tard le 15 mai 2025 à l’adresse suivante : matthieu.freyheit@univ-lorraine.fr
Les propositions venant d’artistes et écrivains (ouverture à des formats autres) sont encouragées.
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Comité d'organisation :
Geoffroy Brunson, Université de Lille
Anne Cousseau, PU, Université de Lorraine
Laurent Deom, PU, Université de Lille
Matthieu Freyheit, MCF, Université de Lorraine
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[1] « L’appel des cabanes », Beaux-Arts, n° 85, juin 2023, p. 85.
[2] Gilles Tiberghien, Notes sur la nature, la cabane et quelques autres choses, École Supérieure des arts décoratifs, Strasbourg, 2000.
[3] Marielle Macé, Nos Cabanes, Verdier, 2018, p. 27.
[4] Dominique Sampiero, Le Rebutant, Gallimard, « L’un et l’autre », p. 25.
[5] Matthieu Riboulet, Nous campons sur les rives, Verdier, 2018.