Nouvelles perspectives sur la critique cinéma à l’ère du numérique. Histoire, théories, pratiques (Québec)
Nouvelles perspectives sur la critique cinéma à l’ère du numérique. Histoire, théories, pratiques
Colloque international
Université Laval
Québec, Canada, 2-4 juin 2025
Dans Le Monde du 9 novembre dernier, des membres du Syndicat français de la critique de cinéma et de télévision publiaient une lettre ouverte sur la situation actuelle de leur profession. Ils déploraient la volonté des grands studios d’entraver leur travail, la tentative d’inféoder la critique à la pure logique promotionnelle, les stratégies marketing qui menacent leur indépendance et leur accès aux films, les journalistes blacklistés pour avoir fait simplement leur métier, l’uniformisation des films remplacés par des contenus propres à infantiliser le public, la presse formatée, les propos convenus qui en résultent. Si ces menaces prennent un accent actuel avec la culture numérique, il faut bien avouer que ces dangers existent depuis que le cinéma est considéré comme un art – les critiques dignes de ce nom ont toujours dû s’inscrire en faux contre ces dérives. Pensons seulement au procès intenté par Jean Sapène, directeur de la Société des Cinéromans et distributeur du film Jim le harponneur (The Sea Beast, 1926), contre Léon Moussinac qui avait commis une critique sagement négative du film de Millard Webb dans L’Humanité du 15 octobre 1926. Seule véritable nouveauté, les signataires de la lettre au Monde pointaient la propension récente de l’industrie à mettre de l’avant une nouvelle figure d’« autorité », les « influenceurs choisis » des médias sociaux, dans leur visée d’atteindre directement le public en court-circuitant les médias traditionnels.
Cette lettre ouverte est symptomatique du fait que la critique s’est vue bousculée avec l’avènement de la culture numérique. Les plateformes en ligne et les nouvelles sociabilités du Web ont changé la donne du paysage médiatique, de même que les équilibres précaires entre l’industrie, les critiques et le public (le grand comme le cinéphile). Que ce soit sur YouTube ou X, sur des sites comme Letterboxd, et même sur la plateforme TikTok, les modes d’évaluation des films se transforment et se déplacent, en parallèle à une désaffectation des jeunes cinéphiles envers les institutions critiques traditionnelles, quand ce n’est pas la notion même d’autorité qui est remise en question en faveur de la critique amateure. Cette situation ne va pas sans une démocratisation bienvenue des lieux de la critique, mais aussi sans une dilution de ces espaces.
Sur un autre versant, les archives numériques et l’apport que permet l’informatique dans son traitement ont transformé les modes de la recherche sur la critique. La numérisation des périodiques (journaux et revues), l’océrisation des textes, la puissance des moteurs de recherche et la décentralisation de l’accès ont permis la redécouverte et le dépouillement de corpus méconnus. Des sites comme Media History Digital Library, Gallica (BNF) ou BAnQ numérique permettent à la recherche de renouveler son éclairage sur des figures oubliées, ce qui va de pair avec le travail plus traditionnel en archives. On a vu ainsi, depuis une dizaine d’années, la publication de nombreux recueils, dont le plus impressionnant est sans doute la somme d’André Bazin (Écrits complets, 2019). Cette mise au jour de nombreux écrits change la façon qu’on a de penser la critique et sa mémoire, chaque fois que des textes retrouvés déplacent les lignes, chaque fois que des lieux communs de l’histoire du cinéma sont invalidés par des découvertes, chaque fois qu’un auteur ou une autrice est tirée de l’oubli (comme Francine Laurendeau et Denis Côté récemment). On assiste actuellement à un moment archivistique où de nombreuses questions sont posées à nouveaux frais, loin des topoï habituels. L’accès aux archives de critiques importants des années 1950-60 crée un moment éditorial – le plus spectaculaire étant la republication des œuvres critiques des jeunes-turcs des Cahiers jaunes (François Truffaut, Éric Rohmer, Jacques Rivette, Jean-Luc Godard), à l’instar de leur père putatif – qui a ouvert de nouvelles perspectives et relancera la recherche dans des directions inattendues.
Pour penser ces développements actuels, le programme de Cinéma et culture numérique de l’Université Laval invite la communauté des chercheuses et des chercheurs, des étudiants et des étudiantes des cycles supérieurs, ainsi que les praticiennes et les praticiens du métier à venir à Québec partager leurs nouvelles perspectives sur la mémoire de la critique, ainsi que sur sa situation actuelle, induites peu ou prou par l’arrivée de la culture numérique. Ce colloque désire jeter un éclairage nouveau sur toutes ces problématiques qui innervent et charpentent la pratique de la critique, des débuts du cinéma jusqu’à aujourd’hui.
Nous sollicitons des propositions faisant appel à des méthodologies diverses et travaillant sur les objets les plus variés, dès lors qu’elles éclairent la critique cinéma sous un jour neuf. Citons, parmi les sujets possibles :
● Les auteurs ou les autrices oubliées
● La place des critiques femmes dans l’histoire et leur accès plus facile à cette pratique
● Les critiques de film qui écrivent également sur d’autres arts et spectacles
● La question des archives pour la mémoire de la critique
● La réception différente d’un film par la critique de différents pays
● Les lieux de socialisation et d’échanges de la critique que sont les festivals
● Les interinfluences entre les critiques de nationalités différentes
● La représentation du métier de critique dans les films
● L’histoire du métier, des associations de critiques, des revues de cinéma
● Le type de professionnalisation, la nature de la formation, les outils et les normes de la profession
● Les rapports de la critique avec les cinéastes, les attachés de presse, les producteurs et les diverses censures (gouvernements, Code Hays, etc.)
● Les différentes plateformes de la critique, nouvelles ou anciennes
● Les lieux et dispositifs de la critique et leur pression sur l’écriture
● La tension entre journalisme et littérature
● Les « écrivains de cinéma » (François Truffaut)
● La critique et la cinéphilie
● La question des affects et de la subjectivité
● Les modalités d’écriture : comment écrit-on sur le cinéma ?
● La réfraction des images en mouvement dans les mots : comment citer les films ?
● Les genres de la critique : texte sur un film, entrevue, portrait de cinéaste, panorama, éditorial, top 10, enquête, compte rendu de tournage ou de festival, réflexion thématique ou théorique, etc.
● L’histoire du lexique, des concepts, des figures de style et des arguments (rhétorique)
● L’analyse historique d’un concept critique dans la diachronie ou la synchronie
● La constitution du canon esthétique
● La critique et l’écriture de l’histoire du cinéma
● L’articulation de la politique et de l’esthétique
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Modalités de soumission des propositions
Les propositions doivent être envoyées à colloquecritiquequebec@gmail.com avant le 15 janvier 2025. Toute question relative au colloque doit également être envoyée à cette adresse. Les propositions de communications individuelles ne devront pas dépasser 300 mots, auxquels s’ajoutent une bibliographie de trois à cinq sources et une brève notice biobibliographique (5-10 lignes). Les propositions doivent être rédigées en français. Lors du colloque, les interventions ne devront pas excéder la durée maximale de 20 minutes de présentation (éléments audiovisuels inclus).
Colloque dirigé par Karine Abadie (Memorial University, Saint-Jean de Terre-Neuve), Marc Cerisuelo (Université Gustave Eiffel/IUF, Paris) et Jean-Pierre Sirois-Trahan (Université Laval, Québec).
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Comité scientifique :
Antoine de Baecque (ENS Ulm), Sam Di lorio (Hunter College/City University of New York), Hervé Joubert-Laurencin (Université de Paris-Nanterre/IUF), José Mourre (Sorbonne Paris 1), Katalin Pór (Université Paris 8/IUF) et Cécile Sorin (Université Paris 8).