Actualité
Appels à contributions
De l’homme et d’autres monstres : technologie et monstruosité dans les littératures des langues romanes (22-25 septembre 2025, Section 8 du 39e Congrès de l'association allemande des romanistes, Konstanz)

De l’homme et d’autres monstres : technologie et monstruosité dans les littératures des langues romanes (22-25 septembre 2025, Section 8 du 39e Congrès de l'association allemande des romanistes, Konstanz)

Publié le par Marc Escola (Source : Rogier Gerrits)

Vampires, sorcières, cyborgs, cannibales et extraterrestres : en tant que constructions de l’imaginaire culturel, les diverses manifestations du monstrueux reflètent les peurs et désirs collectifs. Elles unissent des oppositions prétendument incompatibles telles que la vie et la mort, l’homme et l’animal, l’organisme et la machine (Smits 2006 : 495). Ainsi, les monstres remettent en question les catégories cognitives établies et interrogent notre compréhension du monde et de nous-mêmes (Weinstock 2020 : 3). 

Grâce à son hybridité, le monstrueux est une surface de projection pour les bouleversements culturels, qui apparaissent sous des formes récurrentes mais toujours modifiées. Comme le suggère l’étymologie du mot (lat. monstrum), les monstres révèlent quelque chose ou sont des signes de danger imminent (Cohen 2018 : 62). Ancrés « at the border of the known and the unknown » (Broedel ; Byars 2018 : 3), ils apparaissent de plus en plus lorsque des transformations sociales, scientifiques, culturelles ou technologiques s’annoncent. Il n’est donc pas surprenant que les monstres se multiplient particulièrement lorsque des nouvelles technologies s’imposent. Comparé à l’anglistique ou à la germanistique, la romanistique a encore un certain retard à rattraper en ce qui concerne l'étude du monstre, notamment en lien avec la technologie. Pourtant, les monstres sont omniprésents dans les cultures des pays romanophones, de l'Antiquité à la postmodernité. 

 Au cours de la révolution scientifique du XVIIe siècle, les monstres commencent progressivement à être associés aux créations humaines (cf. Hanafi 2000). Cependant, c’est dans la transition vers la modernité que cette connexion avec l’innovation technologique s’exprime de manière plus prononcée. Les scientifiques de la littérature fantastique franchissent les limites du possible tout en révélant les facettes monstrueuses du projet de modernisation (Frankenstein, Mary Shelley 1818; The Strange Case of Dr. Jekyll & Mr. Hyde, Robert Louis Stevenson 1886, Horacio Kalibang, Eduardo Ladislao Holmberg 1879). En même temps, des découvertes scientifiques comme l’électricité, la génétique ou les particules invisibles suscitent une fascination pour l’invisible, qui se manifeste dans l’émergence des histoires de fantômes ou dans des narrations comme Le Horla (Guy de Maupassant 1887). De manière similaire, ces nouveautés fusionnent avec des idées d’occultisme et de spiritisme, pour créer de nouveaux monstres littéraires rendus possibles ou expliqués par la science (par exemple, dans les œuvres de H.G. Wells, Luigi Capuana, Leopoldo Lugones et Horacio Quirogas). Dans tous ces cas, la technologie ne contribue pas au progrès individuel ou sociétal, mais ouvre plutôt la voie à de nouvelles monstruosités jusqu’alors inconnues. 

Avec le passage au XXe siècle, les monstres commencent à incarner la modernité : des machines provoquant des tragédies (Cuentos macabros, Alejandro Cuevas 1911), aux représentations de la ville comme un Moloch (Metropolis, Fritz Lang 1927), jusqu’aux régimes dystopiques de la technologie (Alphaville, Jean-Luc Godard 1965). De plus en plus, le monstrueux ne représente plus nécessairement une menace étrangère pour un système de connaissance établi, mais, à l’instar du cas de Frankenstein, les monstres devienntent des figures qui incitent à réfléchir sur les côtés sombres de la société, y compris sur l'abus de la technologie. Le monstre devient un miroir pour l’homme. Ainsi, Godzilla traite du traumatisme historique des bombardements atomiques au Japon (Suzuki 2020 : 423), et l’émergence de la figure du zombie (pour lequel l’industrie cinématographique italienne a joué un rôle incontournable avec des contributions telles que Zombi 2 et Zeder) est une allégorie des dangers des masses d’humaines dociles (Heise-von der Lippe 2018 : 219-220).  

Les monstres de l’ère numérique mettent de plus en plus en lumière les risques de la technologie, par exemple à travers des personnifications des dangers de l’intelligence artificielle (Ex Machina, Alex Garland 2014) ou des récits dystopiques où les espaces numériques menacent de remplacer la réalité (Verde Rojo Anarajado, Mariana Enríquez 2016). Cependant, la fusion croissante de l’humain et de la technologie permet également la création de figurations subversives du monstre, qui remettent en question les discours hégémoniques à partir de perspectives transdisciplinaires telles que les gender studies (Titane, Julia Ducournau 2021 ; la théorie du cyborg de Donna Haraway), l’écocritique (Distancia de Rescate, Samanta Schweblin 2014 ; Cadaver exquisito, Agustina Bazterrica 2020) et le post-humanisme (Black Mirror, Charlie Brooker 2011-2023 ; Kentukis, Samanta Schweblin 2019). 

La capacité d’adaptation du monstrueux se montre également au niveau médiatique : en partant des contes folkloriques et mythologiques, le monstre reste un motif constamment populaire dans tous les médias et se manifeste dans la littérature de référence pré-moderne (historiographie antique, chroniques coloniales, traités médicaux), dans les récits fictionnels, au cinéma et à la télévision, ainsi que dans les jeux vidéo et les médias numériques (Creepypasta, Twitterature). Le monstre peut donc être considéré comme une trace de l’évolution médiatique. Enfin, la question se pose de savoir si le monstre ne s’exprime pas uniquement sur un plan thématique, mais aussi s’il privilégie certaines formes et esthétiques (Koenig-Woodyard et al. 2018 : 5). 

La section orientée vers les sciences humaines et les lettres examine les facettes, fonctions et évolutions du monstre dans les espaces linguistiques romanes, en se concentrant particulièrement sur le lien entre les monstres et la technologie. De plus, il sera examiné quelles formes esthétiques et médiales sont particulièrement souvent utilisées dans ce contexte et si le monstrueux parvient également à engendrer de nouveaux styles.  

Contributions sur les thèmes suivants sont souhaitées : 

·      Éclaircissements théoriques sur la relation entre monstres et innovation technologique 

·      Points de contact caractéristiques entre monstres et technologie 

·      Monstres en tant que motifs transmédiatiques 

·      Monstres en tant que symboles des ordres de connaissance hégémoniques ou subversifs ou la tension entre les deux 

·      Développement de motifs monstrueux récurrents à travers des changements technologiques ou médiatiques 

·      Facettes et réécritures du monstrueux à partir de contextes socioculturels dans les pays de langues romanes 

·      Stratégies de mise en scène et poétiques du monstrueux 

·      Perspectives post-humanistes sur le monstre

Des propositions (environ 300 mots) accompagnées d’une brève biographie (environ 150 mots) peuvent être envoyées aux organisateurs jusqu’au 31 décembre 2024 : rogier.gerrits@uni-hamburg.de 

Álvaro Arango Vallejo (Rheinische Friedrich-Wilhelms-Universität Bonn)

Rogier Gerrits (Université de Hambourg)

Stefanie Mayer (Université de Vienne)

Bibliographie

Smits, M. (2006): “Taming monsters: The cultural domestication of new technology” in Technology in society, Vol. 28(4), 489-504.

Weinstock, J. (2020): The Monster Theory Reader. University of Minnesota Press.

Cohen, J. (2018): „Monster Culture (Seven Theses)” in A. Mittman/M. Hensel: Classical readings on monster theory. Arc-Humanities-Press.

Broedel, J./Byars H.P. (2018): Monsters and Borders in the Early Modern Imagination. NY: Routledge.

Hanafi Z. (2000): The Monster in the Machine: Magic, Medicine, and the Marvelous in the Time of the Scientific Revolution. Duke-University-Press.

Heise-von der Lippe, A. (2018): „Zombie Fictions” in L. Kremmel / K. Corstorphine (Hrsg.): The Handbook to Horror Literature. Cham: Palgrave, 219-231.

Suzuki, E. „Beasts From The Deep” in Weinstock, J. (Hrsg.): The Monster Theory Reader. University of Minnesota Press. S.423-428.

Koenig-Woodyard C./Nanayakkara S./Khatri Y. (2018): „Introduction: Monster Studies“ in University of Toronto Quarterly, Vol. 87(1), 1-24.