Appel à contributions pour un numéro spécial de la revue Littérature (2027) sur
Les Formes de l’objectophilie dans la littérature d’Ancien Régime
Numéro coordonné par
Nathalie Kremer (IUF/Sorbonne Nouvelle) et Olivier Leplatre (Université Lyon 3)
Envoi des propositions: 1er mars 2025
Remise des articles : 1er mars 2026
Publication: mars 2027
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Lors d’une cérémonie un peu étrange, les Parisiens ont pu assister en 2007 au mariage célébré entre une jeune femme Américaine, Erika LaBrie, et la Tour Eiffel, pour laquelle elle se sentait une attirance folle[1]. Ce cas célèbre d’objectophilie, qu’on peut définir comme une attirance érotique et amoureuse d’un être humain pour un objet, est loin d’être unique, et des recherches sur ce sujet abondent dans les domaines de la psychologie et de la sociologie ainsi que des études de genre[2].
La question mérite toutefois aussi d’être posée dans le champ littéraire où bien des cas et des formes diverses d’objectophilie existent depuis l’antiquité. Ce sont bien sûr en premier lieu des images peintes ou des statues – celle aimée par Pygmalion étant peut-être la plus célèbre – qui sont à la source de rapports objectophiles, toutefois quantité d’objets matériels de toutes sortes, y compris les plus ordinaires, sont aimés et désirés par les personnages de fiction. Ils méritent également d’être étudiés pour le rapport empathique et/ou idolâtre qu’ils suscitent : bijoux, livres, crucifix, voiles, bibelots, coffrets… Le rapport objectophile, qui se distingue en partie de la relation privilégiée au corps ou aux parties du corps d’une aimée ou d’un aimé, relève-t-il de l’anthropomorphisme, du fétichisme, de la cristallisation, de l’idolâtrie, de l’empathie et de la sympathie, ou de la folie, voire de la perversion ? Quelles modalités du sentir et de l’éprouver, quelles représentations du corps ce contact privilégié avec les objets mobilise-t-il ?
Ce numéro spécial de la revue Littérature propose d’interroger les formes, les conditions et la nature des rapports objectophiles qui apparaissent dans les récits de fiction durant l’Ancien Régime, du suicide de Céladon dans le Lignon tout chargé des fétiches d’Astrée (ruban, lettres, sac parfumé, bague) au déguisement du Prince lutin en statue pour se faire aimer dans un conte de Madame d’Aulnoy, en passant par la cristallisation du livre lui-même semblable à un corps. Nous cherchons à définir la spécificité de cette relation aux objets durant la période qui précède le développement de l’ère industrielle, lorsque la valeur des objets ne se pense pas encore autrement que comme valeur unique, i.e. non reproductible et dans un contexte où le lien à l’objet religieux s’impose comme un paradigme imaginaire dominant.
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[1] Voir notamment l’articles dans The Telegraph : https://www.telegraph.co.uk/news/newstopics/howaboutthat/2074301/Woman-with-objects-fetish-marries-Eiffel-Tower.html
[2] Voir l'étude synthétique d'Amie March, "Love among the objectum sexuals", Electronic Journal of Human Sexuality 13/1, 2010, en ligne :
http://www.ejhs.org/volume13/ObjSexuals.htm
Voir aussi Amber Jamilla MUSSER, « Objects of Desire: Toward an Ethics of Sameness », Women, Gender & Sexuality Studies Research, 6 (2013), en ligne :
https://openscholarship.wustl.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1005&context=wgss
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Pour définir l’objectophilie aux XVIIe et XVIIIe siècles, un ensemble de questions seront favorisées dans les contributions, permettant de croiser des paramètres thématique, anthropologique, rhétorique, pragmatique et fictionnel.
a) Au niveau thématique. Quels objets sont privilégiés dans les rapports objectophiles qui apparaissent dans les textes, et plus précisément, dans quelle mesure la forme même de ces objets, leur matérialité, leur charge symbolique, déterminent-elle le type de rapport qu’on lui porte ? Les objets anthropomorphes favorisent-ils l’objectophilie, et à partir de quand reconnaît-on une forme humaine dans un objet ou dans une image ?
b) Au niveau anthropologique. Comment définir avec plus de précision les différentes formes de rapports objectophiles aux objets, entre idolâtrie, fétichisme, narcissisme, désir de collection, folie ou perversité ? Mais également comment situer l’objectophilie dans le cadre d’une anthropologie des images qui prennent en compte les régimes de représentation propres à la culture d’Ancien régime ?
c) Au niveau rhétorique. Comment se noue le contact aux objets ? Est-il de l’ordre de la synecdoque ou de la métonymie, points de départ éventuels de processus métaphoriques ? Engage-t-elle des formes d’investissements synesthésiques ou cénesthésiques ? Quel type de scénographie énonciative construit la verbalisation de la relation de désir ? Quelle est l’éloquence de l’objet ? Quelle place par exemple pour la prosopopée dans son animation ?
d) Au niveau pragmatique et fictionnel. Quelles sont les conditions pour qu’un rapport objectophile se mette en place : illusion de réalité, sensibilité à la matière, récits préparant ou entourant la « rencontre » du personnage avec l’objet ou l’image...? Les questions soulevées engagent aussi un certain usage de la fiction. Elles appellent à réévaluer les notions de personnages, de vraisemblance, de description, les modalités d’incarnation du corps fictionnel, sur la part du rêve et de la projection fantasmatique dans l’économie fictionnel. Mais c’est également la manière dont les constructions objectophiles s’intègrent dans la trame d’un récit et déterminent leur motivation qui pourra être interrogée.
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Propositions de participation :
Les personnes intéressées à participer au numéro sont priées d’envoyer une proposition et une brève présentation bio-bibliographique aux responsables du numéro, Nathalie Kremer et Olivier Leplatre, avant le 1er mars 2025 :
Nathalie.Kremer@sorbonne-nouvelle.fr
Envoi des articles définitifs :
En cas d’acceptation, les articles définitifs seront à envoyer avant le 1er mars 2026. Ils compteront entre 35.000 et 45.000 signes espaces compris. Les articles seront soumis à une double évaluation à l'aveugle.