Hélas, hélas !
Vois, le beau monde,
Ta main puissante
L’a mis à bas;
Tu l’as détruit,
Il croule, il tombe,
Terrassé par un demi-dieu. [...]
O toi, le plus puissant
Des enfants de la terre,
Eblouissant
Refais-le, pierre à pierre.
Reconstruis-le
Dans ta poitrine.
Qu’elles soient diaboliques ou intérieures, ces voix qui s’expriment dans le Faust I mettent en avant l’enlaidissement et la destruction de l’Univers par la main de l’Homme. C’est de ce constat nihiliste avant la lettre que le romantisme va se nourrir pour tâcher de reconstruire l’identité d’un monde anéanti par l’hybris et la violence humaines. Comme l’écrit Jacques Darras, « le romantisme fut encore plus faustien dans son projet. Il posait l’ouverture au départ. Il multiplia l’ouverture dans le fragment, disant bien avant T.S. Eliot : “Dans ma fin est mon commencement” » (Nous sommes tous des romantiques allemands, 2002).
Assimilé à une période de l’histoire européenne et/ou à un mouvement littéraire et artistique, le romantisme échappe à une prise théorique d’ensemble. Les affirmations romantiques, œuvres et comportements produits et exprimés aux quatre coins de l’Europe au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, divergent, se contredisent parfois. C’est pourquoi il serait vain de vouloir déceler une unité au romantisme et de chercher à procéder à sa périodisation. Émergence d’un nouveau regard porté sur le monde, il s’impose, en effet, par son refus de toute catégorisation. Si Albert Béguin écrit que « l’attitude romantique fut celle d’une époque déterminée […] », il ajoute aussi qu’« elle s’apparente en même temps, par ses croyances essentielles, à certaines attitudes que l’esprit humain peut reprendre d’âge en âge [...]. Aucune définition, semble-t-il, ne peut saisir vraiment cette essence du romantisme, qui est de l’ordre de la qualité sensible et de l’affirmation vitale, non point de l’intelligence seule. [...] Peut-être n’y peut-on parvenir que par une série d’approximations successives et par l’évocation des mythes favoris qui furent ceux du romantisme ». (L’âme romantique et le rêve, p. 395-396).
La présente manifestation s’inscrit dans la continuité du workshop (22 mars 2024, Metz) qui avait réuni des doctorants venus des Études germaniques, des Arts et des Lettres. En accord avec ce qui vient d’être présenté, le romantisme n’a pas été abordé en premier lieu comme un courant figé dans le temps, mais bien comme une toile de fond propice à réappropriation(s) et réactualisation(s), comme le point de départ vers d’autres formes et d’autres époques. Toutefois, pour pouvoir l’inscrire dans ce processus de recréation, il est indispensable de questionner, du point de vue d’aujourd’hui, ce qui le constitue et le distingue.
Nous partageons cette vision d’une non-détermination du mouvement qui semble se confirmer tout concrètement dans l’intermédialité et la transmédialité du romantisme: il ne se limite en effet à aucun genre, mais implique tous les arts. Encore engendre-t-il des œuvres qui dépassent elles-mêmes la classification traditionnelle des arts (calquée, dans le contexte francophone, sur le modèle des muses antiques) et interrogent les frontières : œuvres d’art hybrides, voire « totales », qui permettent de faire aisément le lien avec les arts du XXe et XXIe siècles. À cela s’ajoute la place du spectateur, prise en compte dans la conception romantique de l’œuvre, qui est pensée dans son rapport au monde et à la sensibilité de celui qui l’éprouve. Le romantisme devient ainsi un espace esthétique en soi : à la fois l’objet de l’œuvre, le modèle et l’outil, une attitude contemplative, une spiritualité et/ou une religiosité visant à montrer le passé ou à s’en saisir afin de le détourner ou de le contrarier. L’œil visionnaire du créateur – ou, pour reprendre l’expression rimbaldienne, le poète comme voyant – puise dans le romantisme l’effet kaléidoscopique mystificateur des jeux d’ombres et de lumières propices au surnaturel, à l’étrangeté, à l’hybridité, au grotesque satirique et/ou fantastique. Cet ensemble implique un jeu sur les corps, les contours et les apparences.
À travers tous ces aspects, le romantisme ne saurait donc être compris qu’au sein d’une pluralité sémantique, sémiotique et artistique. L’objectif de ce colloque est d’interroger plus avant les « formes romantiques » (Cahen-Maurel) du monde artistique afin de montrer comment les arts contemporains se nourrissent des différents romantismes pour faire valoir ou (re)mettre sur le devant de la scène une œuvre méconnue, pour créer un univers spécifique (fantastique, grotesque, merveilleux, onirique, gothique…) ou réaffirmer le sentiment d’un paradis perdu, l’importance de l’enfance, du rêve, de l’intime, ou pour questionner notre rapport au monde environnant. Si de nombreux artistes à présent s’attachent à convoquer la nature dans leurs œuvres, il faudra s’interroger sur le déplacement des affects et des attentions qui s’opère à l’ère de l’anthropocène. Avant tout, il ne s’agit plus simplement de contempler avec distance une nature mystérieuse mais de placer l’humain en son sein et d’être attentif aux interactions entre l’homme et l’environnement. L’exploration du rapport de l’humain et de la nature au sein d’œuvres contemporaines marquent ainsi une césure avec le romantisme, car il ne s’agit plus de projeter sur elle nos propres sentiments. Cependant, est-il possible d’y échapper complètement ? De même, il semble difficile, voire contre-productif, d’essayer de rompre avec toute forme d’anthropomorphisation. Enfin, nous souhaitons que ce colloque soit l’occasion de nous interroger sur la manière dont les théories de l’anthropocène mobilisent actuellement l’esthétique du sublime au sein des arts scéniques et plastiques.
Les communications, centrées sur les œuvres des arts scéniques et des arts plastiques ou visuels contemporains, pourront ainsi investir les nombreux thèmes qui ont constitué les marqueurs de ce romantisme pluriel. Pourront par exemple être interrogés:
L’activité créatrice conçue comme reflet de l’intériorité et de l’inconscient
Le rapport du “Moi” au Monde et à la Nature
La réappropriation des concepts esthétiques du romantisme (grotesque, fantastique, gothique) et leurs formes contemporaines (le trash ? le kitch ?)
La mission “politique” de l’art dans sa capacité à s’emparer de l’Histoire, à agir comme une force révolutionnaire susceptible d’éveiller les consciences, à promouvoir un désordre générateur d’un horizon prométhéen, à fédérer par l’expérience d’une émotion partagée…
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Les propositions de communication ainsi qu’une brève note biobibliographique sont à envoyer à Ingrid Lacheny, Roxane Martin, Susanne Muller et Marie Urban d'ici le 16/12/2024.
Durée des communications : 30 minutes
Dates du colloque : 15-17 octobre 2025
Comité d’organisation
Ingrid LACHENY (MCR-HDR en Études germaniques), Roxane MARTIN (PR en Histoire et esthétique du théâtre), Susanne MÜLLER (MCF en Arts plastiques et sciences de l’art), Marie URBAN (MCF en Études théâtrales)
Comité scientifique
Olivier GOETZ (PR en Études théâtrales à l’Université de Lorraine), Hilda INDERWILDI (PR Études germaniques à l’Université de Bourgogne), Sylvie LE MOËL (PR en Études germaniques à Sorbonne Université), Aurélie MICHEL (MCF en Arts plastiques à l’Université de Lorraine), Isabelle MOINDROT (PR en Études théâtrales à l’Université Paris 8)