
Louis de Funès, l’homme-orchestre : poétique d’un acteur comique et réception d’un phénomène populaire (Nancy)
Louis de Funès, l’homme-orchestre :
poétique d’un acteur comique
et réception d’un phénomène populaire
Université de Lorraine - Nancy - 5 et 6 juin 2025
Personnalité artistique plurielle, Louis de Funès reste une figure marquante du cinéma français et de la culture populaire, depuis les années de ses succès, qui débutent véritablement en 1963 avec Pouic-Pouic, jusqu’à aujourd’hui. Le colloque « Louis de Funès, l’homme-orchestre : poétique d’un acteur comique et réception d’un phénomène populaire » propose de porter un double regard sur le phénomène de Funès : phénomène de jeu, tant à la scène qu’à l’écran, et phénomène populaire, faisant l’objet d’appropriations multiples. L’étude de la singularité – ou de la typicité – comique et celle de la fortune populaire renvoient naturellement l’une à l’autre.
Excellent pianiste, homme de théâtre, comédien de films à succès, Louis de Funès est un performer qui reflète les problématiques sociales et politiques en pleine mutation dans les années 70, ainsi qu’un imaginaire de la France auquel de nombreux étrangers sont attachés et dans lequel les Français peuvent eux aussi se projeter.
Au-delà des performances de l’artiste et des représentations culturelles, ce colloque réfléchira également à l’héritage de de Funès : en quoi les humoristes de la fin des années 80 jusqu’à nos jours se sont nourris du modèle ? A-t-il créé un type théâtral original et comment a-t-il pu créer une didactique et une pédagogie de la pratique de la scène (il faut penser à Valère Novarina, dans son Pour Louis de Funès) ?
Avec la conscience de s’inscrire dans un processus contemporain - et controversé - de « relégitimation » de la figure de de Funès, processus marqué notamment par l’ouverture en 2019 du musée de Funès et par l’organisation en 2020 de l’exposition de Funès à la Cinémathèque française, les chercheurs et les chercheuses souhaitant participer au colloque de 2025 pourront, par exemple, s’inscrire dans les axes suivants :
Axe 1 – Poétique d’un acteur comique
1. Les sources du comique de Louis de Funès
L’artiste ne s’est jamais caché d’avoir parodié, contrefait, incorporé sa mère Léonor. Nos interrogations peuvent s’étendre sur une conception plus large et peut-être diatopique du traitement du comique : dans quelle mesure existe-t-il un comique à l’espagnole qui aurait nourri la vis comica de Louis de Funès ? Parallèlement, l’artiste a été influencé par Chaplin et Jerry Lewis : en quoi retrouve-t-on des traces imitatives d’une culture comique – et cinématographique – intégrée et corporéisée ? Pour Céline Candiard, de Funès impose un modèle issu de la commedia dell’arte. Concentrant les signes esthétiques d’un théâtre d’improvisation et du mime, et s’inspirant Buster Keaton ou des Marx Brothers, l’acteur non seulement synthétise une tradition comique tout en devenant un modèle pour des générations d’humoristes qui se réclament de son art. Est-il inventeur d’une vis comica, créateur d’un type syncrétique, ou transmetteur d’une tradition ? ce faisant, comment en moderniserait-il les signes ?
2. Analyse d’une vis comica
De Funès a rencontré ses premiers succès importants à la fin des années cinquante, mais les rôles qui lui étaient confiés ne sortaient pas des situations comiques et des gags plutôt classiques. L’acteur a cependant su imposer une marque de fabrique dans le cinéma français en incorporant des valeurs universelles de la comédie : comment la définir ? Il s’agit d’un comique fait de justesse mais aussi de démesure, que Novarina propose de résumer en évoquant l’ « exactitude des grands égarés ». La question de la théâtralité se pose : s’agit-il d’une théâtralité cinématographique, d’un jeu cinématographique reposant sur des ressorts théâtraux ?
Le travail du corps est particulièrement important : analysant le travail gestuel de l’artiste, Novarina définit le corps funésien comme une matière divisée et un corps sacrifié : « Louis de Funès n'entrait en scène que pour se diviser aussitôt en quatre, multiplier sa tête par huit, rompre les mille ruptures et parler treize langues à la fois. On reconnaît le vrai corps d'acteur à ce qu'il est toujours profondément écartelé, intérieurement quadrillé, parfaitement dissocié, asymétrique en profondeur ». Comment définir le jeu de l’acteur tout à la fois dans l’unité et la division, dans la maîtrise et l’éparpillement ?
La dimension musicale et rythmique ne saurait être oubliée. Louis de Funès a fait de la musique et du rythme un élément fondamental de son jeu. De Funès sort également des singles (“Les Poupons” et “Piti Piti Pas”, issus de la BO de L’Homme-orchestre). Des analyses de films à travers leur bande originale – l’on songe par exemple à La Folie des grandeurs orchestrée par Michel Polnareff – seront les bienvenues.
Athlète du cœur, comme l’écrirait Artaud : quelle figuration de l’humanité crée le comique funésien ? Pour Artaud, l’être humain est un « spectre plastique et jamais achevé dont l’acteur vrai singe les formes, auquel il impose les formes et l’image de sa sensibilité ». De Funès crée-t-il dès lors un fantoche, un imaginaire du Français simplement caricatural ou bien est-il en train de proposer une vraie poétique du personnage concourant à l’expression d’un art de l’acteur ? En novembre 1968, de Funès déclare : « Je fais mon métier de comédien et j’essaie de le faire au mieux dans la bonne vieille tradition du théâtre comique français. Pour moi, le comique naît d’une situation exceptionnelle qui, selon qu’elle est considérée, peut être aussi bien dramatique que comique. Mais mes personnages sont des reflets burlesques et sympathiques de la vie… Tout comme le gendarme de Guignol a son côté cordial, amical et humain. Dans mes personnages de patrons coléreux, de gendarme chatouilleux, j’aime porter témoignage du côté abusif de certains « petits chefs » ».
3. De Funès, du duo
Le regard volontiers fasciné que suscite de Funès ne doit pas faire oublier la dimension fondamentale du duo. Les modalités dramaturgiques des collaborations, physiques et énergétiques, avec Gabin, Galabru, Bourvil, Coluche et d’autres méritent d’être analysées et resituées dans leur contexte et leur histoire. Le travail de l’artiste se pense également dans ses relations familiales puisque son épouse - Jeanne - présente sur les plateaux, pouvait être considérée comme le double silencieux de l'acteur ; tandis que son fils Olivier a partagé avec l’affiche avec son père sur de nombreuses productions. L’on pourra bien sûr se pencher sur les duos conjugaux. De Funès insistait pour que ses partenaires féminines soient visiblement plus grandes que lui. L’avantage de douze centimètres que Claude Gensac avait sur lui a joué son rôle dans la carrière de celle qui, bien malgré elle, est restée « ma biche ».
4. Les inflexions des années soixante-dix : y a-t-il deux Funès ?
Soucieux de recueillir enfin les suffrages de l’intelligentsia, de Funès a tenté une inflexion de son répertoire au début des années 1970, à travers notamment sa collaboration avec Serge Korber, proche de Claude Chabrol et François Truffaut. Ces derniers ont tenté de convaincre Korber d’éviter, en travaillant avec de Funès, de « se commettre dans un cinéma pourri ». La période 1970-1973 est considérée par Serge Blumenfeld comme celle des films les plus « baroques » de l'acteur, avec L’Homme-orchestre (1970) dans laquelle de Funès prend une certaine dimension « pop », Sur un arbre perché (1971) – « une pièce de Beckett dans une voiture », selon le réalisateur –, La Folie des grandeurs (1971) et Les Aventures de Rabbi Jacob (1973), où la figure de de Funès prend une épaisseur politique nouvelle. La question se pose de l’évaluation à faire de ce vent de nouveauté dans la filmographie funésienne. Y a-t-il deux Funès ? Y en a-t-il davantage, comme le suggère Novarina ?
Axe 2 – Réception et popularité d’un phénomène de la scène et de l’écran
1. Louis de Funès et la critique
Fréquemment malmené, voire assassiné par la presse – l’on se souvient que Jean-Louis Bory, dans Le Nouvel Observateur, qualifia Le Corniaud de « vomi du cinéma français » –, et souffrant de cette situation, de Funès a pourtant suscité des regards louangeurs, tant du côté théâtral – Jean-Jacques Gautier lui consacre une chronique ébahie pour sa prestation scénique dans Oscar – que du côté cinématographique – Le Monde a évoqué le « génie comique » funésien en 1971, au sujet de La Folie des grandeurs. Celui qui divisa semble, au XXIème siècle, être mieux capable de rassembler : le « génie » est souvent donné comme une évidence – c'est du moins ce que semble indiquer le titre du hors-série consacré à l’acteur par Le Point en 2018 (Louis de Funès – Les secrets d’un génie). Les ressorts du rejet comme de l’accueil favorable, l’évolution de la réception critique et de ses lignes de tension, méritent d’être étudiés.
2. Anatomie d’un phénomène populaire
Louis de Funès a été, des années durant, « le maître absolu du box-office hexagonal » (Samuel Blumenfeld). Les audiences considérables de ses rediffusions, encore récemment remarquées en temps de covid (plus de cinq millions de téléspectateurs en 2020 pour La Folie des grandeurs et pour La Grande Vadrouille), témoignent d’une inscription durable dans un certain horizon collectif français. Sébastien Le Pajolec a montré que de Funès était perçu par les uns comme un « médicament » en temps de crise, par les autres comme un « produit de consommation ». L’acteur a-t-il su tendre à la France un miroir pertinent ? Un exutoire ? L’on cherchera à savoir comment l’acteur a fourni un reflet de la société française, dans ses rapports de pouvoir, ses marques de hiérarchies et ses caractères stéréotypés. En jouant les autoritaires hypocrites, l’acteur s’amuse à entretenir une critique implicite de l’autorité institutionnalisée et des comportements frondeurs ou serviles de ceux qui la subissent. La filmographie funésienne interroge également un certain nombre de changements qui marquent la société française de son temps, en particulier la modernité scientifique et technique (Hibernatus), le souffle d’une jeunesse qui prend ses libertés (Les Grandes vacances), la société de consommation (Le gendarme et les extraterrestres), la désertification des campagnes (La Soupe aux choux) ou encore les cultures culinaires (L’Aile ou la cuisse). Au XXIème siècle, la popularité funésienne persiste en se modifiant, prenant les teintes sépia d’une certaine France vintage, probablement stéréotypée par certains aspects, mais proposant un regard singulier sur un moment d’histoire.
3. Postérité artistique… et scientifique
La filiation : l’on a souvent estimé, contre l’avis de l’intéressé, que Christian Clavier devait être comparé à de Funès. Clavier considère de son côté que, s’il « incarne des personnages à défauts, ce ne sont pas les mêmes défauts ». Alexandre Astier dédie Kaamelott à de Funès et a souvent confié que c'est à travers ses films qu'il a appris le métier d'acteur. Si de Funès est bien un modèle pour certains humoristes se revendiquant d’une certaine filiation, son art a été à l’origine de nombreuses réflexions sur le théâtre et les pratiques d’acteur (on pense à Valère Novarina dans Pour Louis de Funès), mais également un modèle pour les sciences : l’anthropologue et primatologue Jane Goodall s’est par exemple intéressée à sa gestuelle en consacrant une partie de ses travaux aux représentations des chimpanzés.
Figure iconique du cinéma français, Louis de Funès intéresse également les auteurs et illustrateurs de bandes dessinées. Témoignant d’une intertextualité culturelle, sa figure est reconnaissable dans les albums de Gos et Walthery (Natacha) ou de Fersen (Attila). Présent dans l’album de Lucky Lucke Le Bandit manchot ou apparaissant furtivement dans Spirou, de Schwartz et Yann (Le Groom vert de gris), et même dans Pif gadget (Jean Richard enquête de Gil Das et Cabrol), ses mimiques sont reconnaissables, surcaricaturées et dupliquées. Ainsi devient-elle un prototype physique du comique histrionique, couard et teigneux en même temps.
4. Patrimoine institutionnel, patrimoine familial
En 2019, le musée Louis de Funès ouvre à Saint-Raphaël. En 2020, la Cinémathèque française consacre à l’acteur une exposition ambitieuse. Exposer de Funès semble pourtant un défi. L’institutionnaliser conduit probablement à envisager « une autre histoire du cinéma français », comme l’a suggéré Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française.
Sur un plan moins institutionnel, La Grande vadrouille et Oscar figurent, aux côtés de Mon Oncle de Tati et des Temps modernes de Chaplin, parmi les « films qu’il faut absolument faire voir aux enfants de sept ans », selon Le Point. « Mes enfants sont morts de rire devant ses films », témoigne une mère de famille pour Les Dernières nouvelles d’Alsace. Tout se passe comme si de Funès faisait désormais partie d’une forme de patrimoine national et familial. L’on pourra interroger le sens, les enjeux et les modalités de cette patrimonialisation et de cette transmission intrafamiliale.
La question patrimoniale rencontre également certains choix artistiques et stratégiques de de Funès : dans les années 70, il enregistre des lectures théâtralisées dans lesquelles il interprète les rôles célèbres du théâtre classique. Il joue Géronte dans Les Fourberies de Scapin (enregistrement 33 tours, direction musicale Jean Calvi). En jouant ainsi avec les classiques (4 volumes de 45 tours), de Funès travaille à une popularisation dramatico-musicale des classiques, mais inscrit également sa propre identité artistique dans une tradition comique inspirée de Molière. Le rapport de de Funès au patrimoine théâtral en général et à la figure tutélaire du comique français pourra, dans cette perspective, être interrogé.
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Les propositions d’environ 350 mots maximum, accompagnées d’une très courte biobibliographie, sont à envoyer à yannick.hoffert@univ-lorraine.fr et à bernard.jeannot@univ-lorraine.fr avant le 01/02/2025.