Parlers populaires. « Dans la guerre du langage », de Vidocq à Rocé
19, 20, 21 mars 2025
Véritable mosaïque culturelle et géographique à l’échelle mondiale, il s’agit de faire valoir la diversité de la francophonie à tous les niveaux (international, national). Il s’en suit que, tant nous pouvons observer des variations (diatopiques, diastratiques, diachroniques, diaphasiques), nous pouvons avancer qu’il n’existe pas une langue françaisepourtant mise en valeur dans les institutions. Ces dites variations deviendraient alors non standard. Certaines fois, elles seront considérées comme patrimoine linguistique, d’autres fois comme déviance linguistique ; c’est le cas de dialectes, patois, argots, néologismes divers avec emprunts aux langues étrangères ou manipulations systématiques des matrices internes de la langue. Quelles en sont les conséquences ?
L’objet principal du colloque sera d’analyser les relations qu’entretiennent les diverses formes de marginalité sociale et les actualisations standard et non standard de la langue française. Il s’agira d’interroger notamment les productions identitaires par la langue ainsi que leur réception. Quel rôle le langage tient-il dans les dynamiques d’inclusion et d’exclusion sociale ? Quels mots peuvent être désignés comme marginaux ? Comment dire la marginalité ?
Il s’agira, alors, d’interpeller les marges et/ou fonctionnement des stigmates, à travers les concepts d’identité et d’altérité (identification, notamment, de la figure de l’outsider), mais aussi de vulnérabilité linguistique et sociale, en décrivant notamment la porosité des frontières de la marginalisation avec le dit standard. Nous attendons de ce colloque qu’il contribue à un défrichage du concept dans un contexte d’hégémonie linguistique. Pour cela, des études théoriques et/ou empiriques, des analyses de corpus – anciens aussi bien que contemporains, en langue française ou dans une autre langue de manière comparative – sont attendues. Les diverses communications pourront analyser l’investissement de parlers non standard en tant que pratiques marginales dans les discours spontanés, les discours institutionnels, les dictionnaires, mais aussi dans les arts et la littérature (motivations, applications techniques).
Œuvre picturale : Louis-Léopold Boilly, Réunion de trente-cinq têtes d’expression, vers 1825
Le colloque prendra place à l’Université d’Artois sur le campus d’Arras, ville d’une importance particulière dans l’histoire des argots, puisqu’elle a vu naître, notamment, Eugène François Vidocq, symbole incontournable de l’argot des voleurs. Le colloque propose aux chercheurs de parcourir les époques pour étudier les langages marginaux/identitaires de Vidocq à l’époque contemporaine. Une table ronde mettra à l’honneur le linguiste et sémioticien, professeur émérite à l’Université de Liège Jean- Marie Klinkenberg et l’artiste rappeur Rocé qui s’intéresse particulièrement à l’habitus linguistique dans «la guerre du langage». Nous souhaiterions appréhenderla lexicalisation, la mise en scène et les représentations de ce rapport à la marginalité dans une motivation pluridisciplinaire et accessible à un public non initié aux sciences du langage. Nous espérons ainsi coopérer en vue de la construction d’une réflexion nouvelle, opérante et prévoyante de l’histoire des discriminations linguistiques grâce à la réunion et l’harmonisation des points de vue en sciences du langage, en littérature, mais aussi en sociologie, en arts (chanson, cinéma, théâtre...) et en didactique.
Axes et pistes de réflexion
1. Analyse d’une pratique linguistique discriminée
PRATIQUES ET REPRESENTATIONS. Il s’agira de produire une analyse linguistique et/ou une analyse du discours épilinguistique (sémantique, morphologie, fonctions, imaginaire linguistique...) de pratiques linguistiques en tant que pratiques subissant une discrimination. Pourraient être à ce sujet analysées les pratiques argotiques qu’elles soient contemporaines (néologismes) ou non, tout comme les pratiques dialectales (patois picards, régionalismes), notamment dans leur lexique et leurs fonctions.
PARLERS NON STANDARD SUR LE TERRITOIRE DU NORD. Si Arras est une ville d’importance dans l’histoire des argots, Eugène François Vidocq étant le symbole incontournable de l’argot des voleurs, elle a également vu naître Jehan Bodel, à qui l’on attribue les premières traces écrites d’un argot dans la littérature. Plus largement, le Nord de la France est aussi le lieu convoquant, avec la présence des patois, des représentations linguistiques sociotypées. La sauvegarde de ces langues est aujourd’hui au cœur d’un processus de patrimonialisation. L’inscription du territoire (Nord et Pas-de-Calais) dans la recherche se trouve alors encouragée dans cet événement.
DISCOURS INSTITUTIONNELS. Que les discours institutionnels influent sur les pratiques reste un sujet d’étude considérable. Nous chercherons donc, dans le cadre de ce colloque, à analyser la discrimination linguistique en pratique dans ce type de discours. Nous souhaiterions également questionner les solutions didactiques apportées.
2. Analyse d’un argot carcéral et argot des voleurs
FONCTION CRYPTIQUE. C’est à travers la fonction cryptique des argots que nous souhaitons aussi analyser les relations entre déviance sociale et lexicale.
LITTÉRATURE ARGOTIQUE. François Villon, Cartouche ou Eugène-François Vidocq ont en commun si ce n’est leur réputation dans la littérature, au moins la langue du voyou de leur propre époque. Ex-détenu devenu agent de police, Vidocq en tirera profit. C’est ainsi qu’il sera amené à rédiger Les Voleurs. Physiologie de leurs Mœurs et de leur Langage (1837), où il se plaît à recenser le vocabulaire des voleurs de son temps. L’« argot » permettait alors de se cacher pour commettre un acte de délinquance. Nous chercherons notamment à déterminer ce qu’il reste d’un «argot des voleurs» aujourd’hui.
ARGOT CARCÉRAL. Nous en viendrons alors à analyser un argot carcéral contemporain. La typologie dans la terminologie scientifique reste instable. Il s’agira dès lors de s’interroger sur sa définition. Les gardiens de prison connaissent-ils l’argot des détenus ? Devient-il, en réalité, l’argot carcéral dès lors qu’il n’est plus spécifique aux détenus mais à l’ensemble des individus inclus dans le monde de la prison ? Dans ce cas, nous pouvons imaginer que la dimension cryptique de cet argot ne pourrait subsister ; devient-il alors un jargon ?
DIFFUSION CONTEMPORAINE. Enfin, si l’argot carcéral sort de la prison par le biais des ex-détenus ou des gardiens, il nous semble que le rap démocratise également ces mots. C’est donc aussi grâce à cette pratique contemporaine que nous aimerions appréhender la caractérisation de la marginalité linguistique.
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MOTS-CLEFS
Marginalité; identité; argot; patois; patrimoine; vulnérabilité; milieu carcéral; lexicologie ; rap ; francophonie ; déviance ; Vidocq
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
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Bavoux Claudine (éd.), Le français des dictionnaires. L'autre versant de la lexicographie française. De Boeck Supérieur, Paris.
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Bourdieu Pierre (1982) Ce que parler veut dire, Fayard, Paris.
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François-Geiger Denise (1968) « Les Argots », in : Martinet André (dir.), Le Langage, Gallimard, Paris, pp. 620- 648.
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Guerin Emmanuelle, Wachs Sandrine (2017) Dynamique des mots, in : Gadet Françoise (dir.) Les parlers jeunes dans l’Ile-de- France multiculturelle, Ophrys, Paris, pp.101-125.
Guiraud Pierre (1956) L’argot, P.U.F., Paris.
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Sarfati Georges-Elia (2011) « Analyse du discours et sens commun : institutions de sens, communautés de sens, doxa, idéologie », in : Guilhaumou Jacques, Scheppens Philippe (dir.), Matériaux philosophiques pour l'analyse du discours, P.U.F.C., Besançon, pp.139-173.
Sourdot Marc (2011) Aux marges de la langue : argot, style et dynamique lexicale, Podhorná- Polická Alena (éd.), Masarykova Univerzita, Brno.
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Vidocq Eugène-François (1837) Les Voleurs. Physiologie de leurs Mœurs et de leur Langage, Paris.
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Modalités
La langue utilisée durant ce colloque est la langue française. Une communication doit durer 20 minutes et est suivie d’une discussion de 10 minutes. Aucune communication proposée en visioconférence ne sera acceptée.
La proposition de contribution (au format indiqué ci-après) doit être soumise au plus tard le 14 octobre 2024 à l’adresse danslaguerredulangage@gmail.com.
Le résumé ne doit pas dépasser 300 mots. Il doit être accompagné d’une bibliographie indicative et d’une brève bio-bibliographie de l’auteur.e (dont le nom, l’affiliation institutionnelle et l’adresse courriel doivent clairement apparaître). Les auteur.e.s dont la proposition aura été acceptée en seront informé.e.s au plus tard le 30 octobre 2024.
Frais d’inscription au colloque en tant que communicant extérieur à l’Université d’Artois (hors doctorants) : 70 euros
Frais d’inscription au dîner de gala, en sus : 30 euros
Une publication des études présentées au colloque est prévue, sous réserve de leur acceptation après évaluation par les pairs.
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COMITÉ D’ORGANISATION
GENSANE Anne, Université d’Artois, laboratoire Textes & Cultures, équipe CoTraLIS LOPEZ Mélanie, Université d’Artois, laboratoire Textes & Cultures, équipe CoTraLIS MANGIANTE Jean-Marc, Université d’Artois, laboratoire Grammatica
COMITÉ SCIENTIFIQUE
ÉLOY Jean-Michel, Université d’Amiens (France)
GOUDAILLIER Jean-Pierre, Université de Paris V (France)
GENSANE Anne, Université d’Artois, laboratoire Textes & Cultures, équipe CoTraLIS HOROVÁ Helena, Université de Bohême de l’Ouest (Tchéquie)
KHALFALLAH Nejmeddine, Université de Lorraine (France)
KLINKENBERG Jean-Marie, Université de Liège (Belgique)
LOPEZ Mélanie, Université d’Artois, laboratoire Textes & Cultures, équipe CoTraLIS MANGIANTE Jean-Marc, Université d’Artois, laboratoire Grammatica MUDROCHOVÁ Radka, Université Charles (Tchéquie)
NAPIERALSKI Andrzej, Université de Łódź (Pologne)
NÉDELEC Claudine, Université d’Artois (France)
PODHORNÁ-POLICKÁ Alena, Université Masaryk (Tchéquie)
SZABÓ Dávid, Université Eötvös Loránd (Hongrie)
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CONTACT
A. Gensane : annegensane@gmail.com danslaguerredulangage@gmail.com