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Violence et destruction (Séminaire des doctoriales de la SERD, Paris)

Violence et destruction (Séminaire des doctoriales de la SERD, Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Justine Michon)

Appel à communications « Violence et destruction »

Les Doctoriales de la Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes (SERD) sont ouvertes à tous.tes les doctorant.e.s et jeunes docteurs dont les recherches portent sur la littérature du XIXe siècle, en France et à l’étranger. En collaboration étroite avec les activités de la SERD, les Doctoriales de la SERD participent à l’organisation de l’Atelier du XIXe siècle. Les Doctoriales de la SERD mènent également un projet de recherche indépendant, qui donne lieu à des publications en ligne ainsi qu’à l’organisation d’un colloque. Pour s’inscrire sur la liste de diffusion : contact.doctoriales.serd@gmail.com

Le séminaire a pour vocation de donner la parole aux jeunes chercheurs et chercheuses. Le séminaire est organisé autour d’un thème choisi pour deux ans mais porte également sur des questions d’ordre méthodologique. Il a lieu une fois par mois, le samedi matin de 10h à 13h pour des communications de 20 à 30 minutes, à la Bibliothèque Jacques-Seebacher, à l’Université Paris Cité.

Nous invitons tout.e jeune chercheur.se dix-neuviémiste (littérature, langue, histoire, histoire de l'art, philosophie, etc.) à proposer des thèmes de séances ou des communications en rapport avec cet argumentaire, pour l’année universitaire 2024-2025 (la première séance de ce cycle de séminaires aura lieu en janvier). Vous pouvez nous soumettre vos propositions, d’une longueur maximale de 300 mots, à l’adresse suivante : contact.doctoriales.serd@gmail.com jusqu’au 22 novembre 2024. Elles seront complétées par une notice bio-bibliographique indiquant notamment le laboratoire et l’université de rattachement.

Le séminaire des Doctoriales de la SERD ouvre cette année le thème de « Violence et destruction ».

Définition et intérêt de la question

Le long XIXe siècle, tel que le définit Eric Hobsbawm, s’ouvre sur la Révolution française, qui n’est pas exempte d’épisodes sanglants, et qui vient jeter bas un ordre ancien. De régimes en régimes, le siècle est émaillé de révoltes et de révolutions. La sensibilité, quant à elle, entre dans un nouveau paradigme : dans la lignée du Sturm und Drang allemand, le déchaînement des passions est valorisé. Les artistes recherchent la violence des émotions : les Romantiques épuisent la vie, mettent en scène la souffrance du créateur, tandis que le réalisme s’attache à représenter les violences à la fois sociales et politiques, à l’échelle du pays et des individus. La violence pénètre aussi les œuvres d’écrivains et artistes, marqués par l’influence du fantastique introduit en France par E. T. A Hoffmann. Tout au long du siècle, la littérature fait l’objet de controverses houleuses, que l’on songe à la célèbre bataille d’Hernani de 1830 ou à la question de la valeur de l’art, soulevée notamment par les Parnassiens. Époque de l’essor de la presse, c’est aussi le grand moment de la caricature (Honoré Daumier, Paul Gavarni, Cham, etc.) et des polémiques par articles interposés. Les notions de violence et de destruction peuvent donc nous permettre de mener un parcours à travers le siècle, sa littérature, ses représentations.

Ces deux notions vont de paire, comme la cause et l’effet, comme l’élan d’une action positive et la conséquence de cette action. La violence, dans ce siècle que Dominique Kalifa qualifie de « criminel », est avant tout interpersonnelle : il s’agit comme l’indique le TLFi de la « force exercée par une personne ou un groupe de personnes pour soumettre, contraindre quelqu'un ou pour obtenir quelque chose ». La destruction, quant à elle, peut s’appliquer à des objets variés (biens et personnes, monuments, voire régimes et civilisations). L’un et l’autre de ces termes ont un vaste champ d’application, et des sens figurés qui les rendent régulièrement interchangeables : la violence du courant, détruire moralement quelqu’un, etc. La violence se prête aux forces vives, à l’énergie ; la destruction aux ruines, à la déploration. Ce thème est susceptible de nombreuses déclinaisons dont nous donnons un rapide échantillon.

Enjeux historiques

Le siècle est d’abord marqué par la violence du fait historique, dès les bouleversements engendrés par la Révolution. Dans ses Mémoires d’outre-tombe (1849), Chateaubriand, parmi d’autres, conscientise la disparition sans retour d’un ordre ancien, l’Ancien Régime, et l’arrivée d’un nouvel ordre marqué par l’incertitude.

Cette certitude d’une rupture profonde se traduit également par la nouvelle perception des monuments et des œuvres hérités des siècles précédents. La violence et l’ampleur des destructions commises pendant la Révolution créent un sentiment de perte et éveillent une conscience patrimoniale qui se renforce tout au long du siècle. Le terme de « vandalisme », popularisé par l’abbé Grégoire, apparaît sous la plume de maints défenseurs du patrimoine, tels Alexandre Lenoir, fondateur du Musée des monuments français, ou encore Victor Hugo et Charles de Montalembert, s’attaquant aux spéculateurs qui mettent à bas les monuments anciens. Les Bandes noires font alors figure de profanateurs qui portent atteinte à un héritage commun et anéantissent les traces d’un passé national. Il en va de même pour les grands travaux d’urbanisme de la capitale : l’ancienne ville médiévale, disparaissant sous la pioche des démolisseurs, cède la place à de larges artères qui viennent rationaliser, mais également encadrer et donc contraindre les déambulations.

Le XIXe siècle est aussi le temps d’importants conflits militaires, à commencer par les guerres napoléoniennes : guerres contre les coalitions européennes, campagne d’Italie (1796-1797), d’Allemagne et d’Autriche (1809), de Russie (1812). L’imaginaire guerrier inspire largement la génération de Victor Hugo mais la gloire militaire a son revers. Dès 1818, le peintre Horace Vernet, avec Le Dernier Grenadier de Waterloo (Norton Simon Art Fondation), offre une image de l’armée défaite avec un soldat méditant sur les affres de la guerre. Les protestations de Victor Hugo, exilé à Jersey (Les Châtiments, 1853), puis l’antimilitarisme du Rimbaud du « Dormeur du Val » (1870) annoncent le pacifisme des écrivains de la Grande Guerre, de Romain Rolland (Au-dessus de la mêlée, 1914) à Roland Dorgelès (Les Croix de bois, 1919).

Les violences coloniales du XIXe siècle ont accompagné l'expansion impérialiste européenne dès 1830 en France. Les pratiques brutales et systématiques des puissances européennes à l'encontre des populations autochtones, dans les territoires qu'elles occupent, se manifestent par des massacres, la poursuite du système esclavagiste, les expropriations ou encore la répression des révoltes. Néanmoins, la représentation croissante des combats des opprimés pour leur liberté dans les arts et la littérature est l’indice de la montée de la cause abolitionniste, dont témoignent, à peu d’années d’intervalle, la parution du poème dramatique Toussaint Louverture d’Alphonse de Lamartine (1850) et du roman La Case de l’Oncle Tom de l’écrivaine américaine Harriet Beecher-Stowe (1852). De nombreux récits de voyage témoignent de ces violentes conquêtes et renvoient à un imaginaire occidental fantasmé des terres colonisées.

Enjeux sociaux

Les troubles sociaux se multiplient dans un pays constamment en état d’ébullition. Leur représentation dans les lettres devient un enjeu majeur. Comme le Fabrice de Stendhal à Waterloo (La Chartreuse de Parme, 1839), Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale (1869) assiste dans une forme d’inconscience hébétée aux émeutes de 1848 et à leur terrible répression. La fusillade du boulevard des Capucines (23 février 1848) apparaît comme un sommet de l’horreur, que rappelle la mort de Gavroche dans Les Misérables (1862). Ces débordements dont les civils sont les victimes sont également dénoncés par toute une imagerie devenue populaire. Avec sa lithographie Rue Transnonain, le 15 avril 1834, Honoré Daumier insiste sur le contraste entre l’image d’une famille massacrée et un titre qui fait l’économie de la description. Maximilien Luce use d’un procédé similaire avec son tableau Une rue à Paris en mai 1871 (Musée d’Orsay, 1903-1905), laissant voir les corps sans vie des Communards jonchant le pavé parisien.

Corps contraints, consciences soumises : l’émergence d’un prolétariat exploité suscite l’indignation des réalistes et des naturalistes qui prennent à bras le corps la question des violences sociales. La répression de la Commune inspire à Zola la nouvelle « Jacques Damour » (1880) qui retrace l’itinéraire d’un ex-Communard de retour du bagne de Nouméa, rejeté par la société et tenté par le suicide. La lutte des classes, théorisée par Marx et Engels dans le Manifeste du Parti communiste (1848) ouvre un imaginaire violent, appuyé sur les théories du darwinisme social.

Le prolétariat est également contraint par son environnement immédiat. Les grands travaux d’urbanisme du XIXe siècle, dont l’acmé sont les grands desseins haussmanniens, sont perçus comme autant d’interventions brutales entraînant la disparition de quartiers entiers. Ces bouleversements du paysage urbain obligent les populations ouvrières – rejetées loin du centre – à s’installer en périphérie de la capitale, accentuant une ségrégation déjà marquée. Ces destructions et reconstructions, vécues comme une agression par les classes populaires, se voulaient précisément une réponse à la violence émanant de ces classes. Dès la monarchie de Juillet, les travaux des statisticiens entendent démontrer que la criminalité est l’expression des problèmes sociaux touchant les plus pauvres. Leurs théories se généralisent rapidement, aussi bien dans la presse qu’en littérature.

Les violences liées aux questions de genre et de sexualités constituent un fait de société, que l’on pense à l’intérêt littéraire nouveau pour le monde de la prostitution, à la naturalisation dans le discours médical et pédagogique des phénomènes de genre, à la figure de l’hystérique ou tout simplement à la contractualisation du mariage. Insidieusement, la violence s’impose alors comme le chaperon accompagnant la destinée des femmes, qu’elles soient artistes, auteures ou personnages. Confrontées à des violences tant physiques que morales, certaines s’insurgent, elles aussi avec véhémence comme le témoigne le développement de la presse féministe : La Voix des femmes, La Femme libre, La Tribune des femmes.

La violence s’immisce également dans les rapports interpersonnels, qu’elle détermine les relations amicales, amoureuses ou même sexuelles avec l’idée, notamment développée dans La Vénus à la fourrure de Sacher-Masoch (1870) ou Le Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau (1899), que non seulement il y aurait une articulation entre volupté brutale et plaisir, mais que cette violence érotique pourrait également être à l’initiative de femmes.  

Enjeux moraux

Les Romantiques voient dans le mal, la violence et la destruction l’expression du mal-être de l’homme, indépendamment de son statut social. Le sombre héros byronien, emblème du « mal du siècle », est la proie d’un désespoir convulsif. Ce désespoir devient signe d’élection, on assiste à une poétisation du suicide, inversant ainsi les valeurs traditionnelles de la morale chrétienne. La folie finit par guetter les écrivains : Alfred de Musset, qui dans sa Confession d’un enfant du siècle (1836) a résumé l’esprit de son temps, est victime d’une crise de folie dans la forêt de Fontainebleau (1833) ; Gérard de Nerval, quant à lui, après plusieurs séjours en instituts psychiatriques, se suicide en 1855, inspirant à Gustave Doré l’inquiétante lithographie « La Rue de la Vieille Lanterne ».  

L’intérêt pour la violence et le mal peut même aller jusqu’à la fascination : pour Baudelaire, « le plus parfait type de Beauté » n’est-il pas Satan ? (Fusées, Feuillet 16, 1867) Cette esthétisation du mal, de Baudelaire à Huysmans en passant par Lautréamont, consomme la rupture qu’opère le XIXe siècle avec le kalos kagathos (l’idéal du « beau et bon ») grec qui nourrissait l’esthétique classique, et voulait que le Beau aille toujours de pair avec le Bien. 

La question de la violence suscite de nombreuses interrogations morales au XIXe siècle. La réponse scientiste de Zola et des positivistes de la fin du siècle, qui font du mal le fruit d’une dégénérescence médicale, répond imparfaitement à l’inquiétude générale autour de la violence du monde. Dans une société bourgeoise et conformiste, les faits-divers captivent les foules : figures troubles d’ouvriers meurtriers dans le roman populaire (le « Chourineur » dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, 1842-1843), attentats anarchistes à répétition (assassinat de Sadi Carnot en 1894), peur des « Apaches » de Belleville qui font le succès du Petit Journal autour de 1900.

Enjeux stylistiques 

La description de corps suppliciés, meurtris, torturés rencontre aussi une violence directement injectée au sein des corps textuels. Les titres des œuvres qui ont traversé le siècle et fait l’objet d’une postérité fructueuse, des Misérables d’Hugo aux Fleurs du mal de Baudelaire, de Crime et Châtiment de Dostoïevski à Une saison en enfer de Rimbaud, donnent déjà une indication sur l’imaginaire mortifère qui se cristallise au XIXe siècle,. 

Au-delà des titres, cette violence pénètre la poétique langagière. Celle-ci pourrait mener à une physiognomonie textuelle s’amorçant dans le contexte romantique de remise en cause des carcans classiques, à partir de la dislocation de « ce grand niais d’alexandrin » (Victor Hugo dans sa « Réponse à un acte d’accusation » de 1854), se poursuivant par l’intrusion de la prose en poésie avec le Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand (1842), en passant par les excentricités linguistiques de certains romantiques de la marge qui malmènent syntaxe et grammaire, proposent des néologismes parfois fantasques, débrident la ponctuation et bravent les normes éditoriales. Que l’on songe par exemple aux incongruités typographiques du Roi de Bohême et de ses sept châteaux de Charles Nodier (1830). Si ce défi imposé à la langue et à ses usages peut s’apparenter à la destruction d’un art littéraire codifié, il peut également être perçu au contraire comme une forme d’élan constructeur et novateur encourageant de nouvelles potentialités langagières, notamment exploitées dans ses formes les plus extrêmes au siècle suivant.

 La traduction textuelle de la violence occasionne également le recours à des sociolectes : l’argot de la pègre, celui de la prison donnent lieu à un langage social composé d’inventions lexicales, truffé d’expressions fleuries, parfois teintées de truculence ou de vulgarité. Cette langue régit un monde de la violence gangrené par la criminalité et la pauvreté et qui occupe, entre autres, une place importance dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue (1842-1843).

Enjeux esthétiques

La thématique de la violence et de la destruction appelle une nouvelle esthétique. Dès le XVIIIe siècle, Edmund Burke théorise la notion de sublime (Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau, 1757) où la violence de la nature est reçue comme sentiment esthétique chez le spectateur médusé.

Ce relativisme s’envisage également sur le plan géographique à travers l'exploration, tout au long du siècle, de contrées qui captivent l’imaginaire collectif, l’Italie, l’Espagne ou l’Orient. À partir d'œuvres telles que La Mort de Sardanapale d’Eugène Delacroix (1827, Musée du Louvre) ou Le Giaour (1813) de Lord Byron, il sera possible d’appréhender les notions d’exotisme et d’orientalisme à travers le prisme de la violence, que l’on pense à la figure ambiguë et fantasmée du “barbare” ou de la femme “orientale”.

La modernité triomphante, emmenée par les machines, conduit à une importante célébration de la vitesse. Dans les tableaux de sa dernière manière (Rain, Steam, and Speed, 1844, National Gallery), William Turner explore les possibilités esthétiques de cette vitesse qui fait se mêler les couleurs, annonçant l’impressionnisme. Mais le progrès est aussi source d’angoisse. En témoignent les tons éteints des silhouettes des Déchargeurs de charbon de Claude Monet (vers 1875, Musée d’Orsay). Plus offensif, Jean Veber donne à voir une machine broyeuse d’hommes avec Dynamis (1902, Musée des Beaux-arts de Tours). Dans l’explicit de sa Bête humaine (1890), Zola représente ce progrès sous la forme d’un train lancé à pleine vitesse, et dont personne ne maîtrise la course. L’image du déraillement hante ce récit où rôde une violence pulsionnelle, venue d’un mythique temps des cavernes.

La destruction enfin s’impose par la ruine, dans un monde où les entreprises humaines ne cessent de crouler. Chateaubriand en littérature (Génie du christianisme, 1802), Hubert Robert (« Robert des ruines ») en peinture méditent sombrement sur les ruines, dont Diderot loue les vertus réflexives (Salon de 1767, à propos d’Hubert Robert). Thomas Cole, dans sa série de tableaux Le Cours de l’Empire (1833-1838, New-York Historical Society), propose une réflexion sur le cycle de toute société se concluant nécessairement par sa déchéance, suivie de sa disparition. En science même, l’idée de destruction fait son chemin : Georges Cuvier développe dans son Discours sur les révolutions du globe (1812) l’idée d’un monde traversé de crises violentes où tout se trouve renversé, les espèces détruites, la face de la terre changée radicalement. La fascination de la fin du XVIIIe siècle pour les montagnes traduisait déjà ce goût, à une époque où l’on voyait dans les reliefs les « ruines » de créations anciennes. Plus prosaïquement, l’incendie des Tuileries par les Communards en 1871 fait pendant à la démolition de la Bastille par les révolutionnaires, et représente puissamment la mise à bas du monde ancien.

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