Colloque Parole Contrainte Prison (Université Paul Valéry- Montpellier 3)
Ce colloque s’adresse aux chercheurs et chercheuses, décideurs politiques, chef-fes d’établissements, travailleuses et travailleurs sociaux, formateurs/formatrices, enseignant-es, intervenant-es culturels et artistiques, désireux d’inscrire la question de la parole au cœur de la recherche, de la professionnalisation et de l’action politique et de participer à une réflexion commune sur l’art de conjuguer conceptualisations et expériences professionnelles.
La recherche sur le terrain carcéral s'est considérablement développée ces dernières années, du fait d'une demande forte, à l'échelle européenne, d'expertises scientifiques qui contribuent à la production de réformes pénales et à la transformation (parfois) des conditions de vie dans les prisons. Dans ce cadre la parole est souvent envisagée comme un dispositif visant à restituer l'expérience de la détention, à donner la possibilité de faire entendre la voix des détenu-es. Cependant, existe-t-il des formes de réciprocité ? Quand et comment la parole (re)entre et (re)sort ? Quelle est sa fonction, quel est son endroit ? A l'interstice des entrées et sorties de celels et ceux qui purgent une peine ou qui participent aux activités sociales autorisées ? Ces interrogations ont amenées à réfléchir aux manières dont la parole est déployée dans l'environnement contraint de la prison. La principale hypothèse de travail qui a conduit à l'organisation du colloque "Parole Contrainte Prison" est de considérer la parole comme un phénomène systémique (I) qui implique l'institution carcérale, la sphère médiatique, le milieu militant et associatif notamment (II) qui est supportée par de multiples modes de circulation (III) dont l'expression prend plusieurs formes : utilitaire, médiée, silenciée, ambigüe, provoquée.
La parole est ainsi définie comme l’exercice d’un lien entre mutations sociales et pratiques professionnelles et scientifiques à l’œuvre au sein de l’institution de peine. Les recherches sociologiques et anthropologiques permettent d’aborder la prison pour les premières comme le lieu physique et symbolique des formes d’exercice du pouvoir coercitif et pour les secondes de penser les activités sociales non spécifiques à la prison. Il n’est donc pas rare de constater que des activités se positionnent en lien ou en rupture avec l’institution de peine afin de produire de nouvelles formes d’exercice de la parole. Dans l’étude de la parole « détenue » (produite « dans » et « sur » la prison), le traitement du thème de la privation de la liberté en relation avec les autres activités accomplies dans l’établissement, revient à considérer le rôle de la prison de manière endogène et exogène à la fois (Combessie 1996, Reynaert 2004).
Les travaux de Foucault (1975) engagent à exhorter la parole des détenu(e)s par le biais d’une problématisation historique des questions actuelles sur la prison : interroger les modes de circulation de la parole revient à positionner l’institution de peine comme un problème contemporain pour lequel il s’agit précisément de faire une analyse des effets constatés dans notre présent. Dans une perspective similaire, Chantraine (2003) propose de déplacer notre regard de l’institution vers l’acteur à partir du concept de trajectoires carcérales. Il voit là une combinaison entre expression du matériel biographique fourni par les personnes détenues et le contrôle social exercé et amplifié en prison mais comparable dans sa nature à celui exercé dans l’espace ouvert.
Le rôle propositionnel de la prison est corrélé à une orientation dont la logique purement disciplinaire croise en fait les logiques institutionnelles et les trajectoires de recherche. Les activités sont rendues visibles par des données qui rendent compte de leur accomplissement effectif, mais aussi par des points de vue énoncés lors des interviews programmées de recherche. Pour Chantraine (2004), la venue du chercheur et les échanges avec les différents acteurs de ce lieu constituent des intersections qui deviennent significatives des trajectoires personnelles. Celles-ci sont particulièrement remarquables parce qu’elles contribuent à la production de savoirs expérientiels et critiques (Chantraine 2010) dont le sociologue peut assumer légitimement en être le passeur[1]. Ainsi, les acteurs interrogés se mettent sur des rails narratifs, réactivent des modes de pensée. Mais d’autres situations que celles de l’entretien rendent visibles ces modes de pensée par exemple par le biais d’écrits et d’échanges discursifs comme les journaux produits et diffusés en prison.
Ainsi, la parole est souvent portée en tant que pratique de résistance dont le caractère exogène pose les bases d’une identité en prison (Artières et al. 2004), d’une identité qui reviendrait à « énoncer des paroles vraies » et à adopter toujours les mêmes comportements et professer les mêmes paroles, quelle que soit la situation d’interlocution » (Ibid. : 86). De plus, elle peut aussi bien faire remarquer le rôle propositionnel de la prison. Ainsi, lorsque différents acteurs de l’environnement carcéral (Blanc 2005; Vasseur 2001; Coninck & Lemire 2011; Marchetti 2001; Chamoiseau 2007, Corbeyran 1999) produisent des ouvrages sur leurs expériences en prison, tous arguent en faveur d’une parole libératrice, réflexive, informative. Ils mettent au jour des expériences hétérogènes pour définir ce qu’il y a de symboliquement échangeable, proprement égalitaire (Hameau 2008) dans les situations et les personnes rencontrées.
La parole est supportée par de multiples modes de circulation qui croisent les expériences, les pratiques et activités des professionnel-les de terrain avec les études en sciences humaines et sociales. Nous pouvons citer le Caisne (2000) Kalinsky (2004) ou encore Piot et Cliquennois (2009) dont les travaux anthropologiques portent sur les activités culturelles, sportives en tant qu’espaces distincts, séparés de la détention et générateurs d’identités sociales spécifiques. Sur ce dernier point, les travaux de Chauvenet (2010) ont détaillé les limites du champ d’action de la personne détenue. Sans histoire, privée de toute possibilité de construction d’une nouvelle identité, la personne détenue doit s’adapter à un milieu « hors du commun » sur la base de schémas typiques attendus (la relation surveillant-e ou entre détenu-es par exemple) ou bien sur des phénomènes plus singuliers (le rapport aux études en prison).
Ce colloque propose de mettre en regard des recherches qui observent et analysent des activités humaines, sociales, discursives et interactionnelles et qui mettent en évidence des mécanismes structurants du monde carcéral. Les propositions de communication porteront sur des phénomènes qui apparaissent dans le cours d’activités sociales, dans la production/réception des discours (écrits ou oraux) des personnes en situation de détention ou d’aménagement de peine, ou bien des professionnel-les.
Ce colloque est l'occasion de mieux comprendre le processus de circulation de la parole, ses implications par les expériences individuelles et collectives et nous permet aussi de considérer des phénomènes, sociaux, interactionnels et linguistiques significatifs des activités menées en milieu fermé.
Somme toute, la parole apparaît fondamentalement contrainte et donc subjective et nécessaire. Elle renvoie à des fonctionnements linguistiques (oraux et écrits) à des titres et des degrés divers qui renvoient eux-mêmes à la constitution de réalités sociales situées et vécues et à leurs catégorisations. C’est pourquoi nous nous intéressons de près, dans le cadre de ce colloque, aux activités et expériences des acteurs dans l’environnement carcéral, dans leurs manières de développer des espaces vacants, des intersections à même de produire des situations propositionnelles plutôt que réactives ou punitives.
En fait, les entrées et les champs disciplinaires varieront mais toutes étudieront la prison en tant qu’espace « fermé-ouvert » par le biais des mutations à l'intersection de différents domaines (médecine, enseignement, formation) et répondront à une volonté de dialogue entre professionnel-les du « terrain » carcéral et chercheur-es en sciences sociales. L’ensemble des propositions retenues contribuera à mettre en évidence les mutations, les zones d’intersection et le rôle propositionnel sous-jacent de la prison. Outre des conférences plénières, le colloque proposera des communications en atelier organisées autour de plusieurs axes.
Axe 1. Compétences et ressources langagières
Il apparaît essentiel et fondamental de réflechir à de nouvelles manières d’accéder à la compréhension, par ses acteurs, d’événements sous leurs formats interactionnels dans une institution de peine. Qu’il s’agisse de la sphère médiatique, du milieu militant ou associatif, de l’éducation, de la santé notamment, la prison est un cadre d’actions complexe où différentes institutions interagissent. Ce jeu relationnel met en évidence la fragmentation des espaces et des publics, les compétences sociales ainsi que les ressources langagières mobilisées pour affronter ou contourner les contraintes de l’environnement carcéral.
Axe 2. Dispositifs technologiques en prison
Il pourra s’agir de caractériser les mutations de la parole à travers le rôle joué par le mise en place et la pérennité des dispositifs technologiques autorisés ou non, en prison. Les communications peuvent donc faire état de ces travaux mais elles pourront aussi considérer la problématique de la circulation de la parole dans les usages technologiques. Les interventions auront trait aux pratiques et aux modes d’interactions qui y sont attachés.
Axe 3. Expression écrite et orale
Il sera question d’analyser et de modéliser les dispositifs d’expression, notamment à travers la description des activités « lecture » et « écriture », proposées par les services socio-culturels, et en lien avec les partenaires locaux : ateliers d’écriture, rencontres avec des auteurs/autrices, journal collectif interne, recueils collectifs d’écrits individuels. La littérature (réception et pratiques) comme espace de « libération » (de la parole, rencontres inter-détenu-es, appropriation de compétences/appétences en lecture et écriture, ouvertures culturelles, etc), comme espace de « liberté » et d’« évasion » vers un imaginaire. L’atelier est également un moyen d’apprivoiser la langue : dépasser les blocages (orthographe, grammaire…), en user pour s’exprimer et partager (souvenirs, émotions, projets), en jouer (exercices créatifs, ludiques, poésie) Enfin, l’atelier est aussi un espace privilégié pour développer une dynamique de groupe et devient un vecteur de confiance en soi.
Ce colloque s’adresse aux chercheurs et chercheuses, décideurs politiques, chef-fes d’établissements, travailleuses et travailleurs sociaux, formateurs/formatrices, enseignant-es, intervenant-es culturels et artistiques, désireux d’inscrire la question de la parole au cœur de la recherche, de la professionnalisation et de l’action politique et de participer à une réflexion commune sur l’art de conjuguer conceptualisations et expériences professionnelles.
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Références citées dans l’appel
Chantraine G., 2003, « Prison, désaffiliation, stigmates. L’engrenage carcéral de « l’inutile au monde » contemporain », Déviance & Société, 27-4 : 363-387.
Chantraine G. 2004, Par-delà les murs. Expériences et trajectoires individuelles en maison d’arrêt. Paris, PUF-Le Monde.
Chantraine G., 2005, « Sociologie des expériences carcérales individuelles en maison d'arrêt», Droit dans le mur - Le sens de la prison, Bruxelles.
Chantraine G., 2010, « Du cidre et des hameçons », Les Cahiers Dynamiques, 46 : 52-62.
Chantraine G. & Mary P. 2006, «Prisons et mutations pénales, nouvelles perspectives d’analyse», Déviance & Société, 30-3 : 267-271.
Combessie P., 1994, «L’ouverture des prisons et l’écosystème social environnant», Droit & Société, 28 : 629-636.
Combessie P., 1996, Prisons des villes et des campagnes. Paris, Les Éditions de l’Atelier / Les Éditions ouvrières.
Combessie P., 2008, «Paul Fauconnet et l’imputation pénale de la responsabilité : une analyse méconnue mais aujourd’hui pertinente pour peu qu’on la situe dans le contexte adéquat», in Claude Ravelet (dir.), Trois figures de l’école durkheimienne: Célestin Bouglé, Georges Davy, Paul Fauconnet, Anamnèse, 3 : 221-246.
Fabiani J.-L., 1995, « Lire en prison. Enquête», Les terrains de l'enquête. Consulté sur internet (http://enquete.revues.org/document287.html.), le 17 avril 2012.
Lacassagne M., 1904, «Anthropologie criminelle», L'année psychologique, 1 : 446-456.
Béthoux É., 2000, « La prison : recherches actuelles en sociologie », Terrains & travaux, 1-1 : 71-89.
Chauvenet A., 2010, « «Les prisonniers» : construction et déconstruction d'une notion», Pouvoirs, 135-4 : 41-52.
Hameau P., 2008, « Une œuvre autobio-graphique en milieu carcéral », Ethnologie française, 38-1 : 151-162.
Rostaing C., 2009, « La compréhension sociologique de l’expérience carcérale », Revue européenne des sciences sociales, XLIV-135. Consulté sur Internet (http://ress.revues.org/249), le 23 avril 2012.
Artières P., Lascoumes P. & Salle G., 2004, « Prison et résistances politiques. Le grondement de la bataille », Cultures & Conflits, Prison et résistances politiques. Consulté sur Internet (http://conflits.revues.org/index1555.html) le 28 mars 2012.
Zanna O., 2010, «Un sociologue en prison», Nouvelle revue de psychosociologie, 9-1 : n.c.
Reynaert P., 2004, « La prison entre immobilisme et mouvement perpétuel » : 233-255, in D. Kaminski et M. Kokoreff, Sociologie pénale : système et expérience. Trajets, Érès.
Naepels M., 2004, « Dispositifs disciplinaires. Sur la violence et l'enquête de terrain», Critique, 680/681-1 : 30-40.
le Caisne L., 2000, Prison: une ethnologue en centrale. Paris, Editions Odile Jacob.
Lamoureux D., 2009, Le travail d’enseignant en milieu carcéral. Mémoire de criminologie, Université de Montréal.
Kalinsky, B., 2004, « L'anthropologie sociale dans les contextes de recherche fragiles», Revue internationale des sciences sociales 1-179 : 171-188.
Piot S. & Cliquennois G., 2009, « La pratique sportive comme vecteur d’expérience créative en prison », Recherches sociologiques et anthropologiques : 40-1. Consulté sur Internet [http://rsa.revues.org/295], le 28 août 2012.
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Modalités de soumission des communications orales
Les propositions de communication se limiteront à 2500 signes (hors bibliographie et mots clés). Pour cela, vous devez indiquer le titre, le résumé dans l’espace de texte (vérifier la compatibilité du navigateur pour les copier /coller) et les mots clés dans « Métadonnées ». Ensuite, indiquez les informations nécessaires dans « Auteur-e(s) » puis passez au « Récapitulatif » pour « Déposer » votre proposition (plusieurs sont possibles et dans ce cas, il faut répéter l’opération).
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Calendrier
Date limite d’envoi des propositions : 1er novembre 2024
Réponses du comité scientifique : 1er décembre 2024
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Frais d’inscription
- 50€ pour les doctorants
- 150€ pour les enseignants chercheurs
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Les propositions de communication devront être sur le site : https://paroleprison.sciencesconf.org
À l’issue du colloque, une sélection d’articles donnera lieu à la publication d’un ouvrage et/ou d’un numéro de revue.