VISAGES DE L’INDE
Volet I - L’Inde des Occidentaux
Université de La Réunion 9 et 10 décembre 2024
DIRE – LCF – OSOI
Comité scientifique :
Carpanin Marimoutou Vilasnee Tampoe-Hautin Vincent Mugnier Françoise Sylvos
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Comme le montre la bibliographie qui suit cet appel, la question des représentations de l’Inde n’est pas nouvelle. La réactualiser est cependant souhaitable, soit que l’on explore des œuvres anciennes encore peu connues, comme l’est par exemple la production de Joseph Méry, soit que l’on aborde un corpus ultracontemporain, ou que l’on reconsidère la question avec un œil neuf. Nulle limite temporelle n’est fixée ici. Dans l’intitulé du colloque, la nature du deuxième terme, « les Occidentaux », donne à réfléchir. Un « Occident » problématique du fait des migrations et contacts culturels Le propos du colloque englobe aussi bien le regard extérieur des Occidentaux sur l’Inde que celui des sujets, colonisateurs ou Indiens de la diaspora - dont l’identité plurielle est nourrie par les contacts de cultures, par les brassages de la colonisation et des migrations. Ainsi, la préoccupation majeure de ce colloque, qui sera suivi d’un deuxième volet consacré à la culture indienne dans l’indianocéanie (2025), porte sur les représentations de l’Inde, sur l’Inde considérée comme un objet sur lequel on porte un regard extérieur. Mais il s’agira aussi d’analyser créations ou énoncés émanant de sujets indiens expatriés en Occident. L'espace de la riche production artistique occidentale sur l’Inde est d'une délimitation problématique. Et cette production, parfois issue de la diaspora, ménage une place importante à l'histoire, à la réalité sociologique et à la symbolique politique de l'Inde, notamment à travers la question des castes. L’Inde n’est parfois qu’un prétexte. On a noté la dérive et la projection politique de son temps que réalise Nerval sur l'Inde antique (Le charriot d’enfant, 1850); dans La tresse de Laetitia Colombani (2017), on interroge le statut de la femme en général à travers le croisement de fils narratifs; le destin des dalits (autrement connus sur le terme connoté de parias) est ici envisagé avec espoir tandis que d'autres auteurs/autrices présentent une vision beaucoup plus sombre de la destinée féminine (Avni Doshi, Sucre amer, 2020), à peine relevée de quelques épices culinaires et touches pittoresques. Au cinéma, la coproduction entre l’Inde et différents pays (Canada, Angleterre) est fréquente, de sorte que la question du point de vue est complexe. Un corpus large se prêtant à l’interdisciplinarité Le corpus du colloque inclut productions littéraires et artistiques (cinéma, bande dessinée, arts visuels et arts du spectacle), écrits de voyage, textes ayant valeur historique, ressources documentaires, iconographiques, articles de presse, lettres, illustrations, reproductions de décors et de costumes de théâtre, d'opéra, de ballet, cartes, etc. ... Cet appel invite en effet à l’interdisciplinarité. Les albums de voyage illustrés ouvrent des pistes de recherche fécondes sur l’état des savoirs et les représentations. A côté des récits de voyages tel celui d’Alfred Duvaucel ou, le plus célèbre, de Victor Jacquemont, les écrits sur l’Inde se répartissent entre deux lignages dont les frontières ne sont pas absolument étanches : d’un côté celui des savants tels les philologues Chézy ou Burnouf, de l’autre, celui des spectacles, des poètes et romanciers à l’instar de Théophile Gautier et de Joseph Méry. Aires géographiques Le sujet du colloque invite à la juxtaposition de nombreux regards sur l’Inde et les Indiens pour former une véritable monadologie. Cette diversité de regards trouve d’abord son origine dans la multiplicité des nations occidentales – Grande Bretagne, France, Hollande, Portugal – s’étant intéressées, avec divers succès, à l’implantation de colonies en Inde. Elle s’origine dans les voyages touristiques vers l’Inde, d’où émanent des impressions de voyage issues de différentes nations, mais aussi dans les migrations massives des Indiens eux-mêmes dont on peut dire qu’ils ont créé des communautés partout dans le monde, d’où sont issus « New York masala » et coolitudes. Cet exode massif engageait récemment jusqu’à XX millions de personnes sous le dénominateur commun de l’IDC (Indian Diaspora Council). Représentations de l’Inde Les représentations de l’Inde sont innombrables. Elles recouvrent parfois tout simplement ce que les colons disent généralement des pays qu’ils dominent. La vision qu’a Kipling d’une Inde infantilisée ne fait pas exception. D’autres productions sont plus subtiles et tendent au contraire à revaloriser l’Inde, comme c’est le cas des productions sur Gandhi (Richard Attenbourough, Gandhi, 1982) ou du film Confident royal (Stephen Frears, 2017) dans lequel la culture, la langue indienne et les Indiens eux-mêmes sont perçus positivement. L’Inde est envisagée à travers le prisme des contrastes comme le montre précisément l’exemple du leader pacifiste international en proie à des forces individuelles et collectives opposées et violentes. Nouvelle frontière de l’imaginaire occidental, l’Inde bouleverse les classifications, repousse toutes les limites de la sensation et de l’entendement. Citons quelques aspects des représentations de l’Inde : - L’Inde serait pour certains le berceau de la culture occidentale et de la plupart des langues d’Europe. « Tout, sans exception, est originaire de l’Inde ». (Lettre de Friedrich Schlegel à Tieck, 1808). - L'Inde est instrumentalisée à des fins racialistes ou idéologiques (construction du mythe aryen) - L’Inde comme parangon de l’immobilisme (Jouffroy[2]) ou d’une barbarie que les Lumières et le positivisme européens doivent combattre[3]. - Elle est aussi tenue pour le conservatoire de la spiritualité, pour le pays de tous les miracles (Goethe, Le Dieu et la bayadère, 1797). - L’Inde, entre mysticisme et sensualité extrêmes La représentation de la femme indienne oscille entre l'archétype de la danseuse sacrée, bayadère, et celle de la créature au tempérament de feu, comparable aux préjugés sur les fougueuses Espagnoles; la dévadâsî; nonne ou prostituée, déesse ou femme de peu, fait vaciller les cloisonnements occidentaux (Anjali Mitter Duva, Adhira, Fille de la pluie, 2018). De profondes explorations du côté de la mystique voient le jour aux XIXe et XXe siècles, avec, notamment, les figures poétiques de Leconte de Lisle, de Jean Lahor ou, proche du poète indien Tagore, de Romain Rolland et, enfin, les deux récits de voyage en Inde de Pierre Loti. Mais, parallèlement, Théophile Gautier ouvre la voie aux décadents (dont Jean Lorrain) ; ces derniers voient dans l'Inde un réservoir de sensations inédites propres à émoustiller le lecteur blasé et le dandy. - L’Inde barbare et fantastique Alors que le sati est retenu comme l’emblème d’une Inde barbare, Méry imagine de fantastiques étrangleurs, amalgamant l’horreur des zombis et l’historique (les thugs). Chez Eugène Sue puis Conan Doyle, s’affiche le poncif de la beauté vénéneuse de l'Inde, la fascination pour le danger qu'elle semble représenter, avec ses tigres, ses serpents, ses créatures aussi éblouissantes que fatales, ses pierres aussi fatales que précieuses. - L’Inde révolutionnaire De nombreuses productions mettent l’accent sur les révolutions de l’Inde. Si Méry imagine que des cipayes se sont assuré le concours des tughs, représentés tels des zombis, la série Heeramandi, les diamants de la cour, par Sanjay Leela Bhansali., met en relief le courage des Indiens face à la domination britannique. C’est aussi le cas de nombreux films américains (Lazlo Bénédek, La révolte des cipayes, 1954). - Connaissance de l’Inde Certaines représentations à valeur documentaire tendent à mettre cette contrée lointaine à la portée des lecteurs et spectateurs occidentaux. L’album illustré de Burnouf permet de se familiariser avec les métiers des Indiens et d’identifier la caste professionnelle attachée à leurs noms de famille ; les tableaux réalisés dès la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle par des voyageurs occidentaux représentent la nature luxuriante de l’Inde, des portraits, des scènes de genre ou d’actualité, des monuments. La poésie elle-même prétend à une dimension cognitive dans les textes mythologiques ou naturalistes de Leconte de Lisle (Poèmes barbares). Le reportage en Inde n’est pas une nouveauté, tant les frères Williams ou William Simpson sont commandités par le cabinet Colnaghi & Son pour « couvrir » la révolte indienne de 1857. On pense aussi à la production filmique non-signée : émanant des caméras primitives d’auteurs peu connus ou anonymes, comme les premières images de Gandhi avant son arrestation, venant soutenir les mouvement khilafat et de non-coopération, tournées dans les années 1920, par des animateurs hostiles au régime britannique. (First Running Pictures of Gandhi in India, Mahatma Gandhi's involvement in khilafat movement, (1920) (00mn 55 sec/Anglais/Noir et Blanc)[1]. Ainsi de ces prises de vue du cinéma des premiers temps, classées comme des documentaires aujourd’hui, qui ont servi de socle, et à nourrir d’autres regards de réalisateurs des grandes fresques cinématographiques de nos jours, telles signées d’Attenborough en 1982…
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