Appel à propositions d’articles pour un dossier sur Mavis Gallant (revue Voix et Images)
« I have lived in writing, like a spoonful of water in a river, for more than forty-five years. »
Mavis Gallant, « Afterword », Paris Stories
« Mavis Gallant est un personnage fascinant[1] », écrit Jean Royer en 1983. La trajectoire de l’écrivaine, née à Montréal dans une famille anglophone, déménageant seule à Paris en 1950 et publiant son œuvre en anglais depuis la capitale française jusqu’à sa mort, n’a cessé de susciter admiration et étonnement. Dans la postface de Paris Stories, Gallant commente elle-même le caractère singulier de son parcours : « Je ne sais toujours pas ce qui pousse une personne saine d’esprit à quitter le lieu d’où elle vient pour passer le reste de sa vie à décrire des gens qui n’existent pas[2]. »
Gallant s’impose aujourd’hui comme l’une des grandes nouvellistes du XXe siècle. En plus des articles qu’elle a écrits au Montreal Standard[3], des romans Green Water, Green Sky (1959) et A Fairly Good Time (1970), de la pièce de théâtre What is to Be Done ? (1983) et du recueil de textes Paris Notebooks (1983), l’écrivaine a publié au-delà d’une centaine de nouvelles au New Yorker entre 1951 et le début des années 2000. Décrite comme un « phénomène supranational[4] » par Judith Skelton Grant, Gallant se trouve à suivre un parcours qui la positionnera souvent en marge de contextes éditoriaux définis par des critères linguistiques et nationaux. Première anglophone à avoir obtenu le prix Athanase-David, la plus haute distinction en littérature au Québec, Gallant appartient au même titre que Mordecai Richler et Leonard Cohen à l’imaginaire anglo-montréalais[5]. Pourtant, Gallant reste peu lue par la critique au Québec. Ce tout premier dossier de revue en français consacré à Mavis Gallant vise à corriger cette lacune. Il se veut un lieu pour jeter un regard contemporain sur son parcours et son œuvre.
Nous proposons ici quelques-uns des chantiers possibles (ces axes sont non limitatifs et servent à lancer la réflexion) :
Une écrivaine d’écrivain·e·s : « Gallant is a writer’s writer[6] », écrit Claire Wilkshire. Comment ce statut d’« écrivaine pour les écrivaine·e·s » a-t-il contribué à façonner les contours de l’œuvre ? Comment la réappropriation des textes de Gallant par une constellation d’auteurs et d’autrices a-t-elle orienté la réception et la circulation des textes ? Et comment les amitiés littéraires, centrales dans la vie de Gallant, ont-elles contribué à une partie de l’accompagnement littéraire de l’œuvre ?
Essais et entretiens - le savoir littéraire de Gallant : Depuis la publication de la thèse de doctorat de Neil Besner The Light of imagination (1988) jusqu’à la parution de Mavis Gallant : The Eye and the Ear de Marta Dvorak (2019), les études universitaires sur Gallant allouent au sein de leur analyse une place peu commune à la parole de l’écrivaine sur son travail et sur la littérature. En plus d’avoir écrit un nombre important de préfaces, de postfaces et d’essais, Gallant a aussi accordé des entretiens, en anglais et en français, souvent longs et riches. Quels savoirs sur son œuvre et sur la littérature ce corpus d’essais et d’entretiens révèle-t-il ?
Les « femmes ordinaires de son temps » : C’est Heather O’Neill qui écrit que les textes de Gallant sont « d’incroyables dépositaires de la vie des femmes ordinaires de son temps[7] ». Soulignant aussi l’attention que l’écrivaine porte aux personnages féminins qui dévient de parcours traditionnels, Janice Kulyk Keefer remarque quant à elle le motif récurrent de la « dame seule[8] ». Quel potentiel narratif ces parcours déploient-ils ? Comment les désirs de ces « héroïnes existentielles » s’articulent-ils dans l’univers fictionnel de Gallant ?
Histoire éditoriale, textes fantômes et imaginaire des lieux : L’histoire éditoriale de la publication des recueils de nouvelles (120 nouvelles rassemblées selon des critères variables dans dix-huit recueils, lesquels se recoupent largement), de la traduction en français de l’œuvre et des manuscrits fantômes (certains projets, comme l’enquête sur l’affaire Dreyfus et la publication des journaux personnels de l’autrice annoncée depuis une dizaine d’années, n’ont jamais vu le jour) reste à faire pour assurer la pérennité des études sur Gallant. Quels nouveaux éclairages cette cartographie éditoriale peut-elle offrir ? Et comment ces enjeux de publication permettent-ils de revisiter l’imaginaire des lieux et la question centrale du déplacement chez Gallant ?
Style et critique sociale : Nicole Côté note « la capacité qu’a l’autrice de suggérer des abîmes de sens en alignant des mots très simples[9] ». De l’écriture de Gallant, on a dit qu’elle était d’une virtuosité sans ostentation[10], à la fois sobre et éblouissante, incisive et elliptique[11]. « Ne jamais embellir la société, plutôt la décaper[12] », écrit Gallant. Qu’est-ce que l’analyse du style, autant en fiction qu’en non-fiction, révèle sur la perspective critique de l’écrivaine ? Comment cette tonalité singulière pose-t-elle un défi particulier en contexte de traduction ? À quelle critique sociale et politique le caractère incisif du style de Gallant s’attache-t-il ?
Nous invitons chaleureusement les chercheuses et chercheurs à enrichir cette liste de questions afin d’ouvrir les études sur l’œuvre de Mavis Gallant à un large éventail de perspectives.
Les propositions d’articles (350 à 400 mots) ainsi qu’une brève notice biographique (5 à 10 lignes) doivent être acheminées aux adresses suivantes :
biron.charlotte@uqam.ca et lianne.moyes@umontreal.ca
Date de soumission des propositions : 29 novembre 2024
Soumission des textes complets aux fins d’évaluation : été 2025 [date à venir]
Les propositions feront l’objet d’une première sélection pour la constitution du dossier. Une fois les articles complets soumis, ils seront évalués par le comité scientifique de la revue.
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Charlotte Biron, Université du Québec à Montréal
Lianne Moyes, Université de Montréal
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[1] Jean Royer, « Mavis Gallant. La vie est une suite de nouvelles, 1983 », dans Femmes et littérature. Entretiens sur la création, 2017, Montréal, Bibliothèque québécoise, p. 68.
[2] Mavis Gallant, « Afterword », Paris Stories, New York, New York Review of Books, 2002, p. 366.
[3] La maison d’édition Vehicule Press rassemble pour la première fois les articles dans un recueil qui paraît à l’automne 2024.
[4] Judith Skelton Grant citée par Marta Dvorak, « Acquisitions’: Mapping World and Work”, Mavis Gallant: The Eye and the Ear, Toronto, University of Toronto Press, 2019, p. 14.
[5] Catherine Leclerc et Sherry Simon en parlent comme d’une « écrivaine montréalaise emblématique » : « Zones de contact : nouveaux regards sur la littérature anglo-québécoise », Voix et Images, v. XXX, no3, p. 16.
[6] Claire Wilkshire, « "Voice Is Everything": Reading Mavis Gallant's "The Pegnitz Junction" », University of Toronto Quarterly, vol. LXIX, no4, 2000, p. 891.
[7] Heather O’Neill, « La jeune femme selon Mavis Gallant. A Fairly Good Time », dans Virginie Blanchette-Doucet (dir.), Canons: onze déclarations d’amour littéraire, Montréal, VLB éditeur, 2023, p. 23.
[8] Janice Kulyk Keefer, «La Dame Seule Meets the Angel of History: Katherine Mansfield and Mavis Gallant», dans Marta Dvorak and W.H. New (éd.), Tropes and Territories, McGill-Queen’s University Press, 2007, p. 90-102.
[9] Nicole Côté, « Littérature et trait d’union », Québec français, no 117, 2000, p. 89.
[10] L’expression « quietly dazzling » apparaît, entre autres, sous la plume de Marta Dvorak et de Michael Trussler.
[11] Héliane Ventura parle d’un registre de la réticence. « Image et magie dans la nouvelle canadienne anglophone 1980-2000 », Études anglaises, vol. LIV, no 2, Paris, Klincksieck, 2001, p. 10.
[12] Mavis Gallant dans Jean Royer, « Mavis Gallant. La vie est une suite de nouvelles, 1983 », p. 71.