Migrance(s)
Tunis Les 10 et 11 avril 2025
Le thème directeur de ce colloque porte sur la migrance dans ses dimensions littéraires, langagières et artistiques. Le paradigme des notions corollaires utilisé dans les études sur cette question comprend des concepts différents tels que l'errance, l'altérité, l'exil, les frontières, etc.
Un retour sur cette question est justifié par un contexte international particulier. On annonce de grandes vagues migratoires pour les années à venir. Le mouvement ne fait que commencer. Son étude est d'autant plus difficile qu'elle relève de l'histoire immédiate. Dans les pays pourvoyeurs de migrants, un chiasme caractéristique répond par un nihilisme culturel qui regrette la fuite des cerveaux, signe s’il en est que l’universel est toujours l’apanage des dominants, que les cerveaux seuls sont universels et que la migrance elle-même pose encore en « méritocratie ». Si les études transculturelles font de cette migrance une valeur identitaire et un principe de création littéraire, l’essentialisme culturel la considère comme un élément d’altération et de dilution de la spécificité culturelle. C’est pourquoi, il serait pertinent d’affronter un problème anthropologique loin de toute forme de déni ou de catastrophisme. Il s’agit de prendre du recul par rapport à l’actualité et à l’actuel. L’honnêteté intellectuelle nous invite à revisiter l’histoire de la migrance, à la fois le fait migratoire, la condition de celui qui migre, la conscience que celui-ci prend du fait, de la condition qui s’y attache et du vécu qui la caractérise ou la dépasse. Il faudrait pouvoir interroger l’histoire de la double représentation artistique et politique de la migrance, voire l’histoire même de sa non-représentation, cette non-représentation étant peut-être, comme la gratuité dans l’art, la plus parlante de toutes, au milieu des logorrhées de tous bords qui s’emparent aujourd’hui de la question comme maître des enjeux politiques du moment.
Notre planète a subi des séismes géographiques certes, mais aussi politiques, identitaires, linguistiques. De ces fractures intimes naîtront des questionnements, devenus ferments d’une littérature foisonnante. Il y a eu l’esclavage, il y a eu la colonisation, il y a eu la dictature, il y a eu des combats, des haines, des apaisements et/ou réconciliations. Ces « aventures ambiguës » (Kourouma) vont permettre d’écrire dans l’errance, dans une "migrance" qui cherche dans l’altérité le moyen de s’ouvrir au monde. En cela, écrire, c’est éprouver les frontières : celle de la syntaxe pour lui tordre le cou, celle du politique pour le transgresser, celle du territoire pour le dépasser. Il faut trouver ses propres codes : trouver une langue susceptible de traduire les tourments, de repenser les paramètres constitutifs d’une identité en mouvance, d’altériser le regard que nous portons sur des individus minorisés, devenus invisibles et de transformer la quête identitaire d’une traversée mortifère en une migrance salutaire, d’une langue à même de dire la (con)fusion entre le semblable et le différent.
L’exil est une fracture indélébile faite aux paramètres constitutifs de toute identité. Langue en points de suspension, mémoire éclatée, présent figé, avenir en attente, balbutiements de l’enfance refoulés, combat tatoué à même la chair parfois, mais relégué à cause d’une géographie qui impose sa rationalité. Comment décliner le présent? Comment conjurer le sort qui est rupture ? Comment dépasser la douleur incommensurable des départs au goût de sel ? Comment oublier l’enfer carcéral qui enserre le corps mais aussi l’esprit ? Comment osciller – sans se perdre – entre une mémoire bloquée et une anamnèse abréactive ? Comment conférer une part d’humanité à ceux devenus depuis des années de simples statistiques ? En recréant des « patries imaginaires, invisibles » (Natalie Edwards) à même de dire l’identité « à la fois plurielle et partielle » (Fatima Sadiqi). L’écriture devient un kaléidoscope où l’expérience exilique, loin d’être reniée, laisse la place à des « migrances » assumées voire revendiquées. « Homme de l’exil, le migrant écrivain produit une littérature dont les personnages sont en quête d’identité, dont les personnages sont dotés d’identités variables, où ils sont porteurs d’un désir de mémoire (mémoire blessée ou apaisée), porteurs également de désirs d’enracinement. Ce qui caractérise de telles œuvres, c’est une nouvelle approche de l’écriture littéraire » (Emile Ollivier). L’écriture migrante est polysémie désenclavante, dangereuse pour les sédentaires, salvatrice pour les voyageurs. C’est une migration des imaginaires, un ethos de l’altérité qui réfléchit sur le dépassement et rend les frontières plus poreuses. Elle est un antidote à l’exil parce qu’elle souligne « le mouvement, la dérive, les croisements multiples » (Martin Doré). En cela l’écriture migrante, tout comme son étude, sont désormais à envisager comme des expériences qui détotalisent. Certaines œuvres et certains essais littéraires tentent aujourd’hui de réhabiliter la représentaion du migrant en s’adressant directement à la conscience des sociétés tentées par le rejet de l’autre au nom de la peur et de la xénophobie. Il s’agit de réhabiliter le migrant comme étant la figure du nomade par excellence, un Ulysse non pas en quête d’Ithaque mais un Ulysse désireux de faire du monde une Ithaque chaleureuse et hospitalière.
Le colloque « Migrance(s)», organisé par le Département de français de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba en collaboration avec le laboratoire de Recherches: Analyse Textuelle, Traduction et Communication, propose de réfléchir à la question de la migrance dans ses différentes acceptions en proposant une lecture ontologique, éthique et phénoménologique et surtout une critique transdisciplinaire permettant de rendre compte des différentes manières à travers lesquelles elle est représentée.
Les axes suivants peuvent orienter des études en langue française dans les domaines de la littérature française et francophone, de la langue, de la sociologie, de l’histoire ou des arts:
· Identité, altérité et transformations culturelles.
· Discours et politiques autour des migrances.
· L’art, la littérature et les médias comme expériences transformatrices.
· Les effets de la migrance sur la langue et l’imaginaire socio-linguistique.
· Nouvelles écritures, nouvelles représentations de la mémoire/ nouvelles reconfigurations de la mémoire de l’écriture et de la représentation.
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Les propositions de communication ne dépassant pas les 500 mots, et accompagnées d’une notice biobibliographique, seront à adresser à l’adresse électronique suivante :
Dernière date de soumission des propositions : 15-10-2024.
Notification de l’acceptation des propositions : 31-10-2024.
Le colloque se tiendra les 10 et 11 avril 2025.
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Responsable du colloque :
Bessem Aloui.
Comité d’organisation :
Ahlem Ghayaza, Marouene Souab, Imen Gharbi et Rym Abdelhak.
Comité scientifique :
Ali Abassi, Héla Ouardi, Farah Zaiem, Thouraya Ben Amor, Abbès Ben Mahjouba, Inès Ben Rejeb, Jouda Sellami, Olivier Guerrier, Leonardo Tonus, Simona Modreanu, Carla Calargé et Jean-Marie Kouakou.