Cité-Jardin. Utopies littéraires et expérimentations sociales autour des villes végétales (Rouen)
Cité-Jardin. Utopies littéraires et expérimentations sociales autour des villes végétales.
Projet HELIOS / AMI Vallée de la Seine / Institut TURN / Cabinet +2
Colloque des 16 et 17 janvier 2025
Université de Rouen Normandie / Mont-Saint-Aignan
Organisé par
Charly Machemehl (Université de Rouen Normandie / CETAPS),
Thierry Roger (Université de Rouen Normandie / CÉRÉdI) et Yvette Vaguet (Université de Rouen Normandie / IDEES)
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Comité scientifique
Claire Barel-Moisan (CNRS-ENS Lyon) - Nathalie Blanc (CNRS) - Valérie Chansigaud (Université Paris Cité – CNRS) - Jean-Paul Engélibert (U. Bordeaux Montaigne) – Isabelle Hajek (U. de Strasbourg) -Thierry Paquot (Institut d’Urbanisme de Paris) - Pierre-Olaf Schut (U. Gustave Eiffel)
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Contexte
Ce colloque prend place au sein d’un projet de recherche-action porté par l’Institut TURN de l’Université Rouen Normandie, nommé HELIOS (« De la caractérisation spatiale, sanitaire et sociale des pHÉnomènes d'îLots de chaleur urbaIns à l'exploration et l'évaluation de solutiOns d'adaptation fondéeS sur la nature »), qui porte sur la description et la perception de la chaleur urbaine de six sites d’étude implantés sur l’axe de la Seine (Le Havre, Métropole Rouen Normandie, Mantes-la-Jolie, Cergy-Pontoise, Argenteuil), pour une durée de deux ans (2024-2026). Le projet vise aussi à réfléchir sur les modes de vie urbains confrontés aux îlots de chaleur, dans leur dimension économique, sanitaire et sociale, historique et culturelle, comme aux modalités de réintroduction de la « nature » dans l'espace urbain, dans un dialogue avec les décideurs publics. Mobilisant plusieurs unités de recherche rouennaises (physiciens, biologistes, économistes, psychosociologues, géographes, spécialistes des études littéraires et des études sportives), ce projet interdisciplinaire est une réponse à un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI), « Transition écologique, Valorisation économique », du CPIER Vallée de Seine, co-financé par l’ADEME, le FNADT, les régions Île-de France et Normandie.
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Argument
Soudain, toute la ville éclate d’arbres.
Jean Giono, Les Vraies Richesses, 1937.
Les mauvaises herbes des lotissements urbains sont porteuses du même enseignement que les séquoias.
Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, 1949.
L’escargot d’Amsterdam combat l’îlot de chaleur urbain.
Nicolas Gilsoul, Bêtes de villes, 2019.
Si l’on s’accorde sur l’idée que le désastre bioclimatique en cours doit être pensé en termes de « crise de la sensibilité » affectant nos « cultures de la nature », à savoir nos institutions, nos imaginaires et nos récits collectifs, nos univers de discours, nos cadres perceptifs et cognitifs, comme nos représentations du non-humain, il convient de rappeler le rôle décisif joué par les disciplines des sciences humaines et sociales dès lors qu’il s’agit de proposer une mise en perspective de ces grands défis sociaux. L’œuvre d’art offre alors un mode de présence spécifique au monde, tendu entre empathie et distanciation. Les artistes en général, les écrivains en particulier, font des propositions de mondes, inventent d’autres régimes d’attention. La créativité sociale reste inséparable de la création artistique. Nous partirons ainsi de l’idée selon laquelle les « nouveaux récits » dont nous aurions besoin sont bien souvent des récits anciens, méconnus, oubliés, ou vaincus par les récits dominants. Une contre-histoire de la « révolution industrielle » occupe l’histoire socio-environnementale actuelle, avec, par exemple, les travaux de Serge Audier, Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz ou François Jarrige ; cette nouvelle historiographie pourrait passer par la « cité-jardin », concept forgé en 1908 par Ebenezer Howard, sur fond de misère ouvrière, de pollution des villes, d’insalubrité, et de surpopulation urbaine, avant que le romancier Régis Messac n’écrive sa « Cité des asphyxiés » (1937). Ce concept urbanistique, inséparable des réalisations concrètes qu’il a pu inspirer, à commencer par celle de Letchworth, Garden-City située à une cinquantaine de kilomètres de Londres, constitue une « étape essentielle dans la pensée sur la végétalisation urbaine au XXe siècle » (Mathis, Pépy, 2017).
De fait, cela est bien connu, depuis La République de Platon, jusqu’à l’Ecotopia de Callenbach (1975), en passant par l’utopia de Thomas More, il existe tout un corpus de textes situés sur les frontières du littéraire, dialoguant avec l’histoire de l’architecture, l’économie, la philosophie politique, l’urbanisme, qui ont posé la question de la réforme sociale, de la « Cité idéale ». Ce colloque repose sur la conviction que notre temps peut ou doit réhabiliter le « principe espérance » (Ernst Bloch), tout en intégrant les impératifs du « principe responsabilité » (Hans Jonas). Il conviendrait alors d’analyser comment l’idée de « combinaison Ville-Campagne » pensée par Howard dans un contexte spécifique, celui de l’hygiénisme et du « besoin de soleil », de l’associationnisme et de la « question sociale », peut trouver des échos dans une autre épistémè, marquée par « l’événement Anthropocène », tout en montrant la continuité historique liant « l’économie sociale » du temps de Charles Gide, qui célébra l’idéal de la « cité-jardin » à « l’économie sociale et solidaire » actuelle, qui ne peut ignorer les bienfaits tout à la fois égalitaires et bioclimatiques de la végétalisation urbaine. Il faut rappeler qu’une stratification sociale s’observe dans chaque ville en ce qui concerne l’accès aux espaces publics ouverts (« verts », « bleus », « blancs »). Les groupes socio-économiques les plus modestes disposent souvent d’un accès limité tandis qu’ils subissent les effets néfastes les plus marqués des anomalies du climat urbain physique et social : médiocre qualité de l'air, exposition aux îlots de chaleur, niveaux élevés de stress psychologique (Weber et al., 2015).
Nous voici alors conduits à repenser en profondeur non seulement notre manière de nous loger, pour reprendre la grande distinction posée par Heidegger qui inspire encore, entre autres, un Augustin Berque – « l’habiter humain est toujours plus qu’un habitat » (Berque, 2016) –, mais encore et surtout notre manière d’habiter. Cette habitation du monde fondée sur la coévolution du vivant humain et non-humain, attendue, émergente, projective, peut dialoguer avec « l’habitation poétique du monde », que tout un pan de notre histoire culturelle a pu explorer, en marge du « naturalisme » (Philippe Descola), qui sépare l’humain du non-humain, qui concevrait surtout la ville comme arrachement à « la nature », avec en particulier un processus historique d’externalisation de son mode de subsistance. Le concept de « métabolisme urbain » introduit par A. Wolman (1965), aujourd’hui redécouvert à travers une certaine lecture « écologiste » de Marx, repose sur une analogie avec le métabolisme des organismes voire avec les écosystèmes. Les villes sont ainsi semblables aux organismes vivants dans la mesure où elles consomment des ressources de leur environnement et excrètent des déchets. Autant de flux de masse ou d’énergie qu’il est possible de quantifier avec in fine l’idée d’améliorer les bilans (GES notamment) et de tendre vers ‘la ville idéale’. Ces travaux quantitatifs sont particulièrement appréciés des gouvernements locaux (Kennedy et al., 2011).
Quand il préface ses Villes invisibles en 1983, le romancier Italo Calvino diagnostique une « crise de la vie urbaine », à laquelle il répond par l’imaginaire, un « rêve qui naît au cœur des villes invivables » ; il ajoute : « On parle actuellement avec la même insistance de la destruction du milieu naturel et de la fragilité des grands systèmes technologiques (…). La crise des villes trop grandes est le revers de la crise de la nature ». C’est bien ce double mouvement que nous nous proposons d’étudier après d’autres, depuis le champ intellectuel et matériel des mondes possibles, entre création artistique et expérimentation sociale, utopie livresque et « utopie concrète » (Ernst Bloch), utopie littéraire et « utopie rationnelle », à ceci près qu’il convient d’ajouter l’impensé de Calvino, les villes trop chaudes.
Le programme de Giono, énoncé au moment de la parution de son fameux récit de « sauvetage », L’Homme qui plantait des arbres, peut être recontextualisé dans un monde en mutation hanté par le spectre de la désertification, qui invente la controversée « mini-forêt », la « ville-nature », la « cour oasis », qui exhume des rivières urbaines, questionne la continuité entre civitas et sylva : « Je crois qu’il est temps qu’on fasse une ‘politique de l’arbre’, même si le mot politique semble bien mal adapté » (Lettre au conservateur des Eaux et Forêt de Digne, 1957). Jusqu’où penser l’hybridation entre « ville » et « nature », la « Ville nature contemporaine », comme la volonté de « ré-ensauvagement », de « renaturation », dans la perspective de l’habitabilité « durable » dirigée contre bitume et béton ? Que faire de l’imaginaire social anthropocentré marqué par les notions d’espèces « nuisibles », de « mauvaises herbes », d’« herbes folles », de « plantes invasives », dont on trouve une puissante incarnation dans le conte fantastique d’Alphonse Daudet, Wood’stone (1873), qui traverse toute l’histoire de la science-fiction et de la fantasy, mais que l’idée de « jardin en mouvement » ou de «Tiers Paysage » (Gilles Clément) reconfigure ? La régulation du climat par les plantes s’est-elle complètement affranchie du « dérèglement végétal », voire de « l’apocalypse végétale » (Volpilhac, 2021) ? Sur quelles bases s’opère le partage entre « nature légitime, artificielle, esthétisante et contrôlée » d’un côté, et « nature illégitime non maîtrisée et dangereuse » de l’autre (Hajek, Lévy, 2016) ? Par ailleurs, comment échapper à l’écueil d’une conception iréniste-édénique, en partie urbanocentrée, d’une « nature » décrite uniquement sous l’angle de ses « bienfaits », et ce dans une phase de l’histoire de notre écoumène dominée par la « techno-nature » ? C’est la vieille question du mythe de la Pastorale, ou de sa variante américaine, le mythe de la Wilderness. D’un certain point de vue, celui du « principe de la grotte de Pan » (Augustin Berque), la nature a toujours été en ville, puisque c’est la ville qui aurait inventé « la nature ». Autre question décisive : comment articuler la question de la nature en ville avec celle de l’enfant dans la ville, à travers une réflexion sur ce que Thierry Paquot nomme une « écologie enfantine » ? L’urbanisme végétal et animal, qui permet de fonder des pratiques et des « savoirs nécessaires à l’éducation du futur », pour reprendre la formule d’Edgar Morin, contribuent fortement à la lutte contre l’amnésie environnementale ; multifonctionnelles, la « cour-jardin » et la « cour-oasis » rafraîchissent l’air, le corps, l’œil, l’esprit, la main, mais aussi la mémoire : végétalisation scolaire et végétalisation urbaine vont de pair.
Le concept de « solutions d’adaptation fondées sur la nature » adopté ici dans une perspective de recherche-action alliant arts et sciences, regardant vers le biomimétisme, le géomimétisme, le carbone vivant, suppose de quitter le gigantisme artificialiste, le mécanisme, la « géo-ingénierie », la tyrannie de l’air conditionné, de tourner le dos à la longue tradition des utopies productivistes, technolâtres, pour reconsidérer les micro-utopies, les utopies « arcadiennes », « organicistes », « conviviales » (Ivan Illich), « low tech », « permaculturelles », « biorégionales », sans verser pour autant dans le sentimentalisme naïf ou l’idéalisme pastoral, sans mythifier une nature qui serait forcément inoffensive ou contrôlée, en posant la question des échelles, et des interactions entre les niveaux de l’individu, de la communauté, des collectifs, des associations, des entreprises, de l’État. Une autre poétique de la Ville – verte, bleue, blanche, étoilée – s’y dessine.
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Bibliographie sélective
-Abensour, Miguel, Le procès des maîtres rêveurs : Utopiques I (3e édition revue et augmentée), Sens & Tonka, 2013.
-Abensour, L'homme est un animal utopique : Utopiques II (2e édition revue et augmentée), Sens & Tonka, 2013.
-Abensour, L'Utopie de Thomas More à Walter benjamin : Utopiques III, Sens & Tonka, 2016.
-Abensour, L'histoire de l'utopie et le destin de sa critique : Utopiques IV, Sens & Tonka, 2016.
-Barles, Sabine, Blanc, Nathalie, Écologies urbaines : sur le terrain, Économica / Anthropos, 2016.
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-Berque, Augustin, Histoire de l’habitat idéal. De l’Orient vers l’Occident, Le Félin Poche, 2016.
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-Cabannes, Yves, Ross, Philip, « Letchworth, une cité-jardin qui soigne sa nourriture », Fumey, Gilles et Paquot, Thierry (dir.), Villes voraces et ville frugales. Agriculture urbaine et autonomie alimentaire, CNRS Éditions, 2020, p. 83-107.
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-Weber, S., Sadoff, N., Zell, E., & de Sherbinin, A., “ Policy-relevant indicators for mapping the
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-Wintz, Maurice, « La nature en ville : une réconciliation en trompe-l’œil », in « La Possibilité d’une ville conviviale », Revue du MAUSS, n°54, 2019, p. 95-107.
-Wolman, A., “The metabolism of cities”, Scientific American, 213 (3), 1965, p. 179-190.
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Cet appel à communication s’adresse aux chercheurs issus de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales. Les propositions relevant des études littéraires, de la sociologie, de l’économie, de l’histoire, de la géographie, de la philosophie, ou encore de la psychologie sont les bienvenues comme les approches qui se fondent sur un dialogue entre ces disciplines des sciences humaines et sociales. Les propositions, doivent être rédigées sur une page, en français (ou en anglais) et comporter un maximum de 300 mots (titre, résumé et mots clés inclus) ainsi qu'une bibliographie sommaire. Elles sont à adresser à Charly Machemehl, Thierry Roger et Yvette Vaguet, avant le 1er octobre 2024 aux adresses suivantes :
charly.machemehl@univ-rouen.fr
thierry.roger@univ-rouen.fr
yvette.vaguet@univ-rouen.fr