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Passer les canons en revue. Les échanges culturels dans les revues littéraires (domaines francophones, anglophones et germanophones), XIXe-XXe s.

Passer les canons en revue. Les échanges culturels dans les revues littéraires (domaines francophones, anglophones et germanophones), XIXe-XXe s.

Publié le par Marc Escola (Source : Guillaume Cousin)

      Passer les canons en revues
     

Les échanges culturels dans les revues littéraires (domaines francophones, anglophones et germanophones) - XIXe - XXe siècles
 

« Par leur capacité de résonance, c’est-à-dire la possibilité de rendre compte, [les revues] constituent une sorte de “mémoire immédiate” ; et en même temps, elles ont valeur de matrice, de creuset, puisque leur revient la tâche de révéler de nouveaux talents et de donner à lire la littérature de demain »

Bruno Curatolo, Jacques Poirier, Les Revues littéraires au XXe siècle

Dès le XIXe siècle, les liens se nouant entre la presse et la littérature redéfinissent le métier de journaliste, mais aussi celui d’écrivain, qui, par le biais des revues littéraires, pense et fait l’actualité littéraire et culturelle, si ce n’est politique, de son époque. En témoignent les nombreux écrivains-journalistes, reporters littéraires et autres auteurs de prose documentaire : pensons à Friedrich Schiller, Francis Jeffrey, Stendhal, Honoré de Balzac, Théophile Gautier, Delphine de Girardin, Heinrich Heine, Barbey d’Aurevilly, Adolf Wilbrandt, Léon Bloy, Émile Zola, Edgar Allan Poe, Jack London, Albert Londres, George Orwell, les frères Bonneff, Joseph Kessel, Egon Erwin Kisch, Colette, Andrée Viollis, Magdeleine Paz, Nelly Bly, Simone de Beauvoir ou encore Tom Wolfe.

Le monde des revues littéraires mène à considérer les champs et sous-champs littéraires qui se composent autour de réseaux – qu’ils soient informels ou institutionnalisés (Sapiro, « Réseaux, institution(s) et champ », 2004) – permettantde percevoir la création d’une canonisation en cours de l’histoire littéraire à une échelle mondiale. D’emblée, une conception transnationale des revues littéraires en font des vecteurs de transferts culturels par le biais des traductions, des échanges ou des critiques, en Europe et outre-Atlantique, créant ainsi des instantanés de l’histoire littéraire pour mieux en apprécier les complexités et les nuances.

Penser de manière pluriséculaire et transnationale les revues littéraires, comme nous nous proposons de le faire dans ce colloque, tant les savantes que celles qui font un travail de vulgarisation, permet enfin de révéler les liens entre le monde académique, le monde artistique et les « amateurs » ou les militants des lettres (Grignon et Passeron, Le Savant et le populaire, 1989).

Le début du XIXe siècle est marqué par l’apparition du format médiatique de la revue, d’abord d’intérêt général puis consacrée à des domaines spécifiques, notamment culturels. Par sa nature originellement critique, puisqu’elle rend compte de publications nouvelles (les reviews), la revue devient rapidement un vecteur de circulation des idées et des textes. Un exemple représentatif est fourni par Stendhal : en 1825-1826, il envoie au London Magazine, depuis Rome, deux articles sur la littérature italienne écrits en français, ceux-ci sont traduits en anglais pour publication, puis ces articles sont traduits de l’anglais en français pour leur reprise dans la Revue britannique. L’article de fond, la revue des nouveautés, la traduction… participent tous à la mutation des arts et des discours sur les arts. La Revue de Paris, en donnant la parole à différents écrivains et critiques, participe à une relecture de l’histoire littéraire de la France et du canon néoclassique hérités du moment 1800 – il en va de même, dans le domaine des arts, de L’Artiste.

Au fil des décennies, la revue occupe un rôle central dans le champ culturel, en littérature comme en musique, en peinture comme en danse, et chaque génération, chaque groupe possède son organe de référence, où prennent forme théories et pratiques. L’Edinburgh Review a offert un creuset de l’identité culturelle écossaise, l’Allgemeine musikalische Zeitung a dominé le champ de la presse musicale allemande tout au long du XIXe siècle et la Revue des Deux Mondes a incarné une certaine idée du magistère critique. Mais à côté de ces revues dominantes, porteuses d’un discours institutionnel, d’autres périodiques ont remodelé les canons : Robert Schumann crée ainsi la Neue Zeitschrift für Musik pour introduire une nouvelle conception de la musique en Allemagne quand The Yellow Book offre un lieu subversif aux écrivains et artistes de la fin de l’époque victorienne.

La revue est à la fois un lieu d’élaboration et d’enregistrement des canons, au double sens de « normes esthétiques injonctives » et de « listes canoniques d’auteurs consacrés ». José-Luis Diaz, dans son introduction au volume de la RHLF consacré au « XIXe siècle face au canon littéraire », distingue trois « logiques distinctes mais conjointes » : la persistance des canons, leur remise en cause et leur transformation. Si les forces de réaction « trouvent des organes puissants auprès de véritables gendarmes médiatiques » (Diaz, 2014) comme les revues dominantes et institutionnelles, les forces d’évolution voire de révolution usent elles aussi de l’arme médiatique qu’est la revue.

Le XXe siècle littéraire est fertile de ces revues (Curatolo et Poirier, 2002). Les années 1920 voient par exemple la création des Nouvelles littéraires qui vont institutionnaliser la notion « d’actualités littéraires » (Houssais, « Les Nouvelles littéraires ou l’invention de l’actualité », 2011) mais aussi offrir à un lectorat éclectique, et pas seulement savant, des analyses et informations culturelles transnationales, puisque Les Nouvelles littéraires font la part belle aux littératures étrangères et francophones.

Pendant l’entre-deux-guerres, des revues tenues par les grandes plumes du monde littéraire côtoient une multiplicité de « petites » revues littéraires, politiques et d’avant-gardes qui ne se pensent pas au sein des frontières nationales. Que ce soit Europe, avec son nom programmatique, Monde et ses échanges culturels constants avec l’Allemagne, ou Dada, Blast, Der Aktion, toutes se pensent comme appartenant à un champ littéraire transnational.

C’est également à cette époque que le développement d’une littérature politique internationale, liée à l’U.R.S.S., va réunir de nombreux champs et sociabilités littéraires autour des revues : c’est le cas pour Nouvel Âge Littéraire, mais également New Masses (Tadié, 2017), la Partisan Review ou Der Sturm, pour ne citer qu’elles, qui développent un réseau de diffusion et de traducteurs par le biais d’échanges culturels et de correspondances. Le cas de la revue International Literature, avec quatre comités éditoriaux en quatre langues (français, anglais, allemand et russe) pour une diffusion simultanée, est un exemple symptomatique de ces enjeux politico-littéraires.

Post-guerre, des revues ont véritablement façonné la manière dont nous envisageons les canons culturels au XXe siècle, comme Tel Quel, Les Temps modernes ou Les Cahiers du cinéma, mais aussi The London Magazine en Grande-Bretagne, assumant, selon le mot d’Eliot, « l’existence d’un lectorat intéressé par la littérature sérieuse » (The London Magazine, no 1, 1954). En Allemagne, les revues littéraires participent aussi d’une redéfinition culturelle et politique alors que le pays est séparé entre l’Ouest et l’Est, opposant des revues comme Akzente et la Neue Deutsche Literatur. Bien avant le XXIe siècle et de la démocratisation d’internet, les revues culturelles ont véritablement pensé le champ culturel comme un réseau mondialisé. 

Ce colloque a pour but d’étudier le rôle des revues dans l’évolution des canons littéraires et artistiques. Si les forces de réaction « trouvent des organes puissants auprès de véritables gendarmes médiatiques » (Diaz, 2014) comme les revues dominantes et institutionnelles, les forces d’évolution voire de révolution usent elles aussi de l’arme médiatique qu’est la revue. Nous aimerions proposer des journées de réflexion sur les échanges culturels au sein des revues, dans une perspective transnationale, translittéraire et pluriséculaire. 

Le colloque se déroulera à l’Université d’Artois (Arras) les 12 et 13 juin 2025. 

Les intervenantes et intervenants sont invités à développer les thèmes suivants, sans s’y restreindre : 

* Quelles formes prennent les diffusions et échanges culturels entre ces revues, au XIXe et au XXe siècle ?

* Quels sont les réseaux de circulation et de diffusion de ces revues, à un niveau européen et états-unien ?

* Comment les revues culturelles permettent-elles de donner accès à l’état du goût à une époque donnée ? Comment penser les différences, souvent importantes, entre les auteurs présentés dans ces revues et ce dont nous nous souvenons aujourd’hui du canon ?

* En quoi les revues à dominante littéraire nous permettent-elles de penser l’hétérogénéité d’une « bibliothèque mondiale » ? Comment les chercheurs et chercheuses peuvent-ils s’emparer des revues pour revisiter les continents oubliés de l’histoire littéraire ?  

* En quoi les revues culturelles ont-elles pu être des vecteurs politiques ?

* Comment penser les sociabilités et le potentiel transnational des revues culturelles, des groupes de sociabilité du XIXe siècle à un événement comme Ent’revues, fondé à la fin du XXe siècle ?

Les propositions de communication, de 500 mots maximum, devront être envoyées avant le 01/10/2024 à guillaume.cousin@univ-artois.fr et victoria.pleuchot@univ-artois.fr.

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Comité scientifique :

Patrick Berthier (Université de Nantes, LAMO), Diana Cooper-Richet (Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines/Paris Saclay, CHCSC), Florence Fix (Université Rouen-Normandie, CÉRÉdI), Ralf Junkerjürgen (Universität Regensburg, Ratisbonne), Michel Lacroix (UQAM, Montréal), Martine Lavaud (Université d’Artois, Textes et Cultures).

Bibliographie indicative :

Aron Paul, « Entre journalisme et littérature, l'institution du reportage », COnTEXTES, 2012.

Aron Paul, « Postures journalistiques des années 1930, ou du bon usage de la “bobine” en littérature », COnTEXTES, 2011.

Auzoux Amélie et alii, Des revues et des femmes : la place des femmes dans les revues littéraires de la Belle Époque jusqu’à la fin des années 1950, Paris, Honoré Champion, 2022.

Bobeth Johannes, Die Zeitschriften der Romantik, Leipzig, Haessel, 1911.

Boucharenc Myriam, L’Écrivain-reporter au coeur des années trente, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2004.

Brooker Peter et alii., The Oxford Critical and Cultural History of Modernist Magazines, vol. III, Europe 1880-1940, Oxford, Oxford University Press, 2016.

Chevrel Yves, Lieven D’hulst et Christine Lombez (dir.), Histoire des traductions en langue française : XIXe siècle, 1815-1914, Verdier, 2012.

Christie William, The Edinburgh Review in the Literary Culture of Romantic Britain : Mammoth and Megalonyx, Londres, Pickering & Chatto, « The Enlightenment World », 2009.

Churchill Suzanne et alii, Little Magazines and Modernism: New Approaches, Aldershot, Ashgate, 2007.

Cousin Guillaume, La Revue de Paris (1829-1834) : un « panthéon où sont admis tous les cultes », Honoré Champion, « Romantisme et Modernités », 2021.

Curatolo Bruno et Poirier Jacques (dir.), Les Revues littéraires au XXe siècle, Dijon, Centre de recherches Le Texte et l'Édition, 2002.

Delporte Christian et alii, Histoire de la presse en France : XX-XXIe siècles, Paris, Armand Colin, 2016.

Diaz José-Luis, « Introduction », RHLF, 2014/1, p. 3-11.

— « La Revue des deux mondes et les canons littéraires (1831-1852) », RHLF, 2014/1, p. 67-88.

Espagne Michel, Les Transferts culturels franco-allemands, PUF, « Perspectives germaniques », 1999.

Études germaniques, 2008/3, « Franz Liszt – Musique, médiation, interculturalité », dir. Damien Ehrhardt.

Hermetet Anne-Rachel, Pour sortir du chaos : trois revues européennes des années vingt, Paris, Presses Universitaires de Rennes, 2009.

Leymarie Michel et alii., La Belle Époque des revues : 1880-1914, Éditions de l’IMEC, 2004.

Mollier Jean-Yves, Édition, presse et pouvoir en France au XXe siècle, Paris, Fayard, 2008.

Parker Mark, Literary Magazines and British Romanticism, Cambridge, Cambridge University Press, « Cambridge Studies in Romanticism », 2001.

Stead Evanghelia, Sisyphe heureux : les revues littéraires et artistiques. Approches et figures, Rennes, PUR, « Interférences », 2020.

Tadié Benoît, « “A Strange Two-Front Class War”: New Masses, Pulp Fiction and the Quest for Proletarian Literature », Revue française d'études américaines, vol. 151, no 2, 2017, p. 98‑108.

Tebbel John, The American Magazine. A Compact History, New York, Hawthorn Book, 1969. 

Verilhac Yoan, La Jeune Critique des petites revues symbolistes, Saint-Étienne, PU de Saint-Étienne, 2010.

Weinmann Frédéric, « La traduction des canons. Un respect religieux des originaux ? », Études germaniques, 2007/3, p. 681-694.