Algérie : chemins non empruntés, chemins ouverts et (re)transcriptions photographiques (revue Expressions Maghrébines, vol. 24.2, 2025)
Appel à contributions pour la revue Expressions Maghrébines (vol. 24.2, 2025)
Algérie : chemins non empruntés, chemins ouverts, et (re)transcriptions photographiques
Dossier coordonné par Ariella Aïsha Azoulay et Adel Ben Bella
Date limite de soumission des articles : 31 janvier 2025
Parution : novembre 2025
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1962, 1830, 1961, 1847, 1865, 1954, 1969, 1871, 1912, 1939, 1942, 1921, 1965, 1945... Ces dates, et d’autres, sont souvent organisées dans un ordre chronologique servant d’échafaudage à des récits historiques par lesquels ces chronologies imposées fonctionnent comme une sorte de piège ou encore une force d’effacement d’autres chemins possibles, chemins qui auraient pu être empruntés. Cependant, que se passerait-il si nous interagissions différemment avec ces moments, ou avec d’autres moins emblématiques ? Si nous nous attardions sur chacun d’entre eux séparément, sans passer immédiatement au moment « décisif » suivant dans une marche « inéluctable » de l’Histoire ? Un élan d’imagination(s) est ainsi nécessaire pour refuser la séduction d’une logique linéaire et progressiste qui enchaîne ces dates de l’histoire récente de l’Algérie – et de la colonisation du Maghreb et de l’Afrique en général – les unes aux autres ; cet élan est aussi nécessaire pour se joindre à d’autres personnes qui à ces moments mêmes, ont aspiré à des réalités différentes et libératrices, éclipsées par des récits hégémoniques, et qui les ont considérées comme possibles.
Le récit accepté sur la photographie dans l’Algérie coloniale se concentre sur le fait que celle-ci fut une entreprise essentiellement française. Dès le début de la colonisation, l’Algérie a ainsi été transformée en un terrain sur lequel les appareils photographiques européens prirent le dessus sur toute autre perspective, dans une gigantesque entreprise visant à accumuler une richesse visuelle et concevoir et perfectionner des technologies de gouvernementalité par l’entremise de l’image. L’Agence Générale des Colonies, qui a fonctionné comme arme principale de la propagande coloniale, en est le parfait exemple. Pourtant, si nous changeons notre perspective et détournons notre regard de ceux qui ont accaparé les moyens de fabrication des images pour le tourner vers les personnes photographiées – des Algériens pour la plupart – et / ou vers d’autres participants à ces événements photographiques, cette entreprise n’est plus dès lors une affaire purement française et nous pouvons commencer à y discerner, y compris dans les canons établis, l’inscription des algérien.nes comme acteurs et actrices, muni.es d’autres rêves, d’autres visions et d’autres ambitions. Il devient dès lors possible de prêter attention à d’autres actions et activités, d’autres gestes et aspirations avec lesquels nous pouvons interagir à nouveau. Ainsi, ce qui pouvait sembler définitivement passé ne l’est plus et ces chemins restent ouverts et disponibles à notre spéculation, afin de les entretenir et de les (pour)suivre jusqu’à leur possible restauration et (ré)actualisation.
Comment dès lors actualiser ces inscriptions photographiques comme potentialités d’aller à l’encontre des conditions coloniales et postcoloniales ? Qu’est-ce que les personnes ou les objets photographiés ont à nous dire que l’histoire nous a fait oublier ou négliger ?
Nous vous invitons pour ce volume à approcher la photographie en tant qu’activité plurielle qui ne serait pas seulement définie par les puissances coloniales, le photographe ou le dispositif technologique lui-même et qui ne nous raconterait pas un passé nécessairement immuable. Nous vous invitons à utiliser la photographie, sans être nécessairement spécialistes du médium, car nous considérons celle-ci comme n’étant pas un domaine de connaissance distinct mais bien imbriqué dans de nombreuses autres activités. Nous considérons la photographie comme une source parmi d’autres, une source pouvant susciter l’émergence de souvenirs, de provocations et d’énoncés inattendus – les vôtres et ceux des autres dont la présence a été enregistrée ou rendue absente, délaissée ou fait l’objet d’une attention déficiente, par le biais de la photographie. Vous pouvez ainsi utiliser des photographies de tous types : albums de famille ou collections privées, photographies de presse ou provenant d’autres types de publications, photographies conservées dans les musées et les archives, photographies officielles, photographies évoquées au cinéma ou dans la littérature, que celles-ci soient réelles ou imaginées, et ce afin de (re)cueillir ces mémoires dormantes pouvant potentiellement vous guider dans l’excavation et la narration de différents récits de chemins non empruntés et toujours ouverts. Les photographies concentrent en elles bien plus de réalité(s) que la signification, hégémonique et acceptée, qui leur est attribuée. S’intéresser aux différents événements auxquels la photographie nous donne accès signifie changer le rapport de pouvoir entre les personnes photographiées, le contexte de production, le photographe, le dispositif technologique et l’objet matériel et esthétique produit, c’est-à-dire les photographies elles-mêmes et de revendiquer ou réclamer ainsi un autre équilibre. Nous proposons donc de libérer et d’explorer ensemble le pouvoir de la photographie comme moyen d’enquêter sur le réel dans un monde partagé avec d’autres.
A travers ce numéro, nous invitons les contributeurs et contributrices à choisir une photographie ou une série de photographies par lesquelles les chemins possibles ayant été supprimés de notre imaginaire peuvent être à nouveau tracés et empruntés. Notre objectif n’est pas de produire une histoire de la photographie en Algérie, ni une histoire photographique de l’Algérie, mais plutôt d’inviter chercheurs et chercheuses, écrivain.es, artistes visuels et autres à s’intéresser à la photographie à travers son large éventail d’utilisations depuis la conquête coloniale jusqu’à l’Algérie d’aujourd’hui et à tirer parti des imaginaires anticoloniaux et décoloniaux pour poser ensemble les questions suivantes : Quels sont ces chemins non empruntés ? Quel travail nous revient-il d’accomplir, afin d’imaginer, de spéculer et de potentialiser l’histoire, pour nous permettre de reconnaître ces chemins, de les actualiser, et de pouvoir les considérer comme étant encore ouverts ? Comment manœuvrer et tirer parti de la photographie pour nous aider dans cette tentative de dé-généralisation et de dé-hégémonisation de l’histoire récente de l’Algérie dans le contexte du Maghreb et de l’Afrique ? Comment cela nous aidera-t-il à prendre en compte les imaginaires locaux et régionaux de liberté ainsi que les différents groupes qui n’ont pas vécu la colonisation et la décolonisation de la même manière, et qui ont été laissés à l’arrière ou tout simplement en dehors des récits prédominants ? Comment pouvons-nous accéder à d’autres formes et formations d’un mode d’être dans le monde ayant précédé la colonisation et y ayant survécu, mode et monde persistant malgré les assauts continus de celle-ci ? Comment transmettre ces autres modes d’être au monde, les revitaliser, les amplifier et les enrichir comme des imaginaires qui permettent une sortie de ce monde que le colonialisme a laissé derrière lui ?
Nous vous invitons à expérimenter avec un ou plusieurs « et si… », non pas nécessairement pour inventer des futurs possibles et plausibles, mais plutôt pour revitaliser des chemins non empruntés, oubliés, interdits, réduits au silence, refoulés et pourtant potentiellement réparateurs.
· Et si… ?
· Qu’aurait-il pu se passer si… ? Que pourrait-il encore se passer si… ?
· Était-il vraiment inéluctable qu’un tel chemin soit emprunté à la place d’un autre ? À quel(s) coût(s) ? Et à qui a-t-on demandé d’en payer le prix ? Pourquoi eux et pas d’autres ?
· Qu’est-ce que cette ou ces photographie(s) révèle(nt) d’une possibilité particulière qui s’est concrétisée aux dépens d’autres ?
· Qu’est-ce qui n’a pas été discuté lorsque ce chemin a été emprunté plutôt qu’un autre, et qu’ont enregistré et conservé les photographies de ce moment prétendument perdu ?
· Quelle violence symbolique, ou directe, a été exercée pour limiter les imaginaires décoloniaux et empêcher toutes conversations sur la restitution, sur les réparations ainsi que sur les processus de restauration ? Et comment la photographie peut-elle dé-sceller ces imaginaires ?
· Quels chemins viables et durables auraient pu émerger après la colonisation si le progrès, l’industrialisation, la modernisation et le discours français universaliste sur les droits de l’homme n’avaient été imposés comme inéluctables, et même désirables, à travers les constantes recompositions visuelles de l’Algérie effectuées par le colonialisme ? Ces chemins sont-ils déjà inscrits dans un ou plusieurs moments de photographie ?
· Comment et que peut réactiver un imaginaire anticolonial, anti-impérial ou anti-racial-capitaliste ? Quel rôle la photographie peut-elle jouer dans cette réactivation après avoir participé à leur désactivation et à leur effacement ?
· Quels possibles nous restent-t-il, plusieurs décennies plus tard, comme héritages et cosmologies ancestrales, et comment la photographie peut-elle nous aider à les voir et à les expérimenter au présent ?
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Les articles, en anglais ou en français, doivent avoir pour point de départ une photographie – ou une série de photographies – et être envisagés comme de courtes propositions visuelles ne dépassant pas 20 000 caractères, espaces compris (environ 3 000 mots). La ponctuation, les notes de bas de page et les références doivent être conformes aux normes de la revue : https://expressions-maghrebines.tulane.edu/information/#Guide-de-rédaction.
Veuillez envoyer un résumé d’environ 250 mots, en anglais ou en français, ainsi que la photographie (ou la série) que vous envisagez d’utiliser avant le 25 août à expressions.maghrebines@ub.edu et em_algerie_cfp@brown.edu. Les réponses seront envoyées avant le 30 septembre. Les articles complets invités à être soumis doivent être envoyés à expressions.maghrebines@ub.edu et em_algerie_cfp@brown.edu avant le 31 janvier 2025.
La section VARIA de la revue lance comme toujours un appel à articles sur les cultures maghrébines : littérature, cinéma, arts...
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Expressions maghrébines publie en priorité des articles scientifiques inédits à la pointe des recherches consacrées aux diverses formes d’expression artistique — littérature, cinéma, chanson, etc. — ancrées au Maghreb et dans la diaspora maghrébine. Les articles soumis à la revue sont évalués en double aveugle par un réseau international de lecteurs externes, sous la direction du Comité scientifique et du Comité de patronage. La revue figure dans plusieurs répertoires bibliographiques internationaux et est classifiée dans la catégorie A (« high-ranking international publications with a very strong reputation among researchers of the field in different countries, regularly cited all over the world ») de l’European Reference Index for the Humanities (ERIH). Elle est aussi incluse dans le Arts & Humanities Citation Index et le Current Contents/Arts & Humanities.
Depuis 2015, la revue est accessible en version électronique sur la plateforme ProjectMuse.
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COMITÉ SCIENTIFIQUE
Edwige Tamalet Talbayev (Directrice) – Tulane University, États-Unis
Alec G. Hargreaves (Président d’honneur) – Florida State University, États-Unis
Amina Bekkat – Université de Blida, Algérie
Abigail Descombes – Londres
Hamdi Hemaïdi – Université de La Manouba, Tunis, Tunisie
Lila Ibrahim – Université Blaise Pascal-Clermont-Ferrand II, France
Anna Maria Mangia – Università di Arezzo, Italie
Zohra Mezgueldi – Université de Casablanca I-Aïn Chock, Maroc
Marta Segarra (Directrice 2005-2014) – CNRS- Universitat de Barcelona
Sonia Zlitni-Fitouri – Université de Tunis, Tunisie