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Zone à écrire, séance 4 (Sorbonne nouvelle)

Zone à écrire, séance 4 (Sorbonne nouvelle)

Publié le par Marc Escola (Source : Zone à écrire)

La Zone à écrire se réunira le 29 juin à 10h (et non pas 11h) : habitué.e.s, inhabitué.e.s et déshabitué.e.s sont les bienvenu.e.s.

La zone à écrire serait un lieu d’hospitalité pour quiconque veut écrire, ou en parler, ou lire ce qui a été écrit, ou dire ce qui s’écrira. 

Un lieu et un moment où l’on peut écrire à l’université. 

Non pas que l'université soit un lieu plus propice à l'écriture que les autres, mais elle a le mérite – par un heureux hasard – de nous être accessible et d'être pleine de chaises, de tables, de salles chauffées aux murs assez épais pour ne pas être vu.es ou entendu.es, ou assez fins pour être traversés. 

Mais peut-être que l'écriture pourrait être propice à l'université. Peut-être pourrions-nous en écrivant interroger, transformer le cadre où nous écrivons, en saboter, au besoin, le fonctionnement actuel

La zone à écrire sera tout sauf neutre. Nous y chercherions la dimension politique de l'écriture.

Non pas parce que l’on y écrirait particulièrement sur des sujets politiques ou que l’on y serait des écrivain.e.s-engagé.e.s, mais parce que la décision d’écrire ébranle un ordre.

Désautoriser, déhiérarchiser  

Dans la zone à écrire, l’écriture serait une arme de destruction massive de l’autorité et de la hiérarchie – on n’y rencontrerait pas de grand.e.s auteur.e.s. et de grands textes, seulement des douteux, des tâtonnantes, des interrogatives, et pour les autres, les publiées, les étudiées, les établies, on s’emploiera à les faire douter. 

On y ferait droit à la collectivisation de l’écriture, à l’échange de noms et de marques, on y inventerait des auteur.e.s, on y apprendrait à ne pas signer de son nom, ou, si l’on ne veut pas renoncer à son nom, au moins à le prêter. crire seul.e ou à plusieurs, écrire pour un.e seule ou pour plusieurs, pour personne aussi.

On n’y demanderait pas la permission d’écrire, on y défiera la honte. On apprendra donc à écrire quand et où c’est interdit. On se demanderait d’ailleurs par qui, par quoi c’est interdit.  

La zone à écrire serait donc un lieu et un moment d’hospitalité pour quiconque veut écrire, créativement ou pas – d’ailleurs, c’est quoi écrire créativement, s’y demanderait-on – pour quiconque a écrit, va écrire un chef d’œuvre ou bien la liste des courses qui sera un chef d’œuvre. 

Pour s'offrir aussi le lieu et le moment d'imaginer le chef d’œuvre lui-même renversé par une possible cheffe d’œuvre, qui ne sera cheffe que pour mieux se moquer d'elle-même et assumera pleinement son désœuvrement. 

Déréaliser

Dans la zone à écrire, on pratiquera la naïveté comme un mot d’ordre. On n’y connaitrait rien en réel et en constats. Le pragmatisme deviendrait une sorte de maladie pour lequel nous chercherions un remède en écrivant des milliers d'ordonnances ; et la conjoncture, une espèce très particulière de plante qui vit en collectivité et qui donnerait lieu à l'écriture d'articles scientifiques impertinents.

L'écriture y serait donc un moyen de filouter les impossibilités et les contraintes du réel ; on se faufilerait dans les failles de l'évidence  comme on apprend à se faufiler entre les trous des mots. Parce que l’on y écrirait, on s’y méfierait des phrases toutes faites et des mots d’ordres déjà écrits, prêts à l’emploi. 

Désévaluer 

Nous y interrogerions l'insensée et incessante évaluation de tout à laquelle se livre notre société. Nous y créerions de l’inévaluable, du sur ou du sous-évaluable, du paraévaluable, ne mettrions pas de petites étoiles pour noter les livreurs de sushis sans papier, mais parfois on chercherait, sur des papiers, des phrases étoilées.

On écrirait contre la constante macabre de la note, pour la faire dérailler, pour jouer ensemble à connoter et à dénoter dans tous les sens. En somme : écrire bien, très mal, très vite, longuement, lentement, écrire et avoir fini, écrire et ne pas en fini, écrire sans prix.  

Désargenter (ou déconomiser)

On peut écrire sans argent, sans appel d’offre, sans crédits, et peut-être même sans propriété : on se poserait du moins la question.  

On y accepterait l’argent, bien sûr, mais on ne perdrait pas son temps à le demander. Il n'y aura pas de retours sur investissement ni de rapports sur nos activités. On y retrouverait le sens sympathique des mots intérêt et crédit. 

On se foutrait de l'excellence et de l’image de marque, pas des images verbales, et peut-être qu'ils paieront pour nos beaux yeux.

Déperformer et démanager

Nous écririons en loseuses. 

Dans la zone à écrire, nous reprendrions l’invention et l’innovation aux slogans néo-managériaux : notre invention n'est pas la leur.

On écrirait sans communiquer, en faisant sans faire savoir. On n'écrira pas de posts inspirants sur LinkedIn. À la rigueur de longs messages peu clairs, qui diraient seulement nos désirs et nos fragilités que nous estimons tant, pour être sûr.es de décevoir les recruteurs et les happy managers.

On désapprendrait à répondre aux appels d'offres ou on y répondrait trop tard, systématiquement. D'ailleurs nous sommes lents, généralement en retard, trop longs et trop court à la fois. 

Dans la zone à écrire, nous écririons et vivrions de l'autre côté de la deadline. 

Déportiquer

La zone à écrire poserait sa géographie dans et hors l’université. Elle accueillerait tou.t.es, sauterait, ferait sauter les frontières, les portiques, les marges, les premières de couvertures.

Protéiforme, elle épouserait le plan de celles qui s’y trouvent, se diviserait au besoin, se rassemblerait s’il le faut, occuperait un ou plusieurs lieux, la zone étant dedans comme dehors, et en particulier là où ils ne veulent pas.

Nous écririons partout, surtout là où il ne faut pas, nous écririons en lisant, en étudiant ou en travaillant, ou bien encore à la place de notre travail et/ou de nos études.