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La Volksbühne de Berlin. Histoire, contre-culture et avant-garde théâtrale depuis 1992 (Paris)

La Volksbühne de Berlin. Histoire, contre-culture et avant-garde théâtrale depuis 1992 (Paris)

Publié le par Faculté des lettres - Université de Lausanne (Source : Corentin Jan)

Journée d’étude

Sorbonne Nouvelle - Université Paris 8 Vincennes/Saint-Denis

Paris, 22 novembre 2024

De 1992 à 2017, le mandat de Frank Castorf à la tête de la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz à Berlin a su faire de ce théâtre l’un des lieux de création les plus importants de la scène berlinoise, allemande et internationale contemporaine. Alors que nous déplorons la disparition soudaine de René Pollesch, figure majeure de ce théâtre qui en était le nouveau directeur depuis 2021, ce projet de recherche entend saisir la singularité de l’expérience artistique qui s’y est déployée. Le but est cependant moins de réaliser un bilan d’une ère Castorf qui toucherait à sa fin, que d’être attentif.ve aux ramifications d’un projet contre-culturel, dont certains aspects sont encore trop peu connus en France. Malgré de nombreuses recherches monographiques consacrées à tel ou tel artiste (Castorf bien sûr, Marthaler…), la Volksbühne n’y a en effet que peu été étudiée dans la globalité, la cohérence et les contradictions de son identité artistique. C’est ce manque qu’une première journée d’études, qui se tiendra le vendredi 22 novembre 2024 à Paris, entend commencer à combler, avant un colloque international prévu pour fin 2025/début 2026.

Les propositions de communication, d’une page maximum et accompagnées d’une courte bio-bibliographie, devront être adressées avant le 1er septembre 2024 à corentin.jan@sorbonne-nouvelle.fr et heli.lestringant@gmail.com.

Afin d’orienter le propos, les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes suivants, sans forcément s’y limiter :

“L’ère Castorf” : cohérence et contradictions d’un projet artistique et politique

Depuis 2017, la fin de « l’ère Castorf » a pu mettre en lumière, par la négative, ce qu’avait été cette aventure théâtrale de vingt-cinq ans. Lors de son discours de départ, en juin 2017, depuis son estrade installée sous une pluie battante devant la Volksbühne, le metteur en scène et directeur lançait une diatribe contre la “macronisation de la société”, souhaitant indiquer par-là que le théâtre qu’il avait défendu s’était efforcé d’échapper aux diktats du grand public. Dès l’arrivée de Castorf en 1992, la Volksbühne a tenté de mener, dans le cadre institutionnel d’un théâtre municipal allemand, une recherche artistique expérimentale et en dialogue constant avec les contre- et subcultures berlinoises des années 1990. Si l’on a pu insister sur le fait que cette recherche se fondait sur un rapport particulier à l’Histoire, aux affres de l’unification allemande et de la situation de l’après-Wende, il faut aussi noter qu’elle s’incarne dans un rapport souvent conflictuel ou dissensuel au public. Nombreux ont été les metteurs en scène qui y ont ainsi réalisé des spectacles sans l’adoubement des spectateurs et de la critique, de Castorf lui-même à Christoph Schlingensief, en faisant de cette possibilité de déplaire et d’irriter, voire de diviser le public, leur marque de fabrique même. Aussi est-il nécessaire de se demander si cette institution a réussi à relever le pari d’un théâtre politique adapté à son temps. Pour aborder les différents aspects de ce projet artistique et politique, on pourra s’intéresser aux phénomènes suivants :

  • La Volksbühne et l’identité berlinoise et allemande
  • Le travail sur l’héritage est-allemand, et plus largement sur l’Histoire allemande et mondiale, ainsi que sa mise en œuvre dans les spectacles
  • Le traitement du canon littéraire et de la langue allemande dans les gestes artistiques de Castorf, Marthaler, Pollesch…
  • La Volksbühne de Castorf a toujours revendiqué un projet contre-culturel, à l’écart du champ théâtral et de l’atmosphère politique de son époque. Comment évaluer le succès ou non de cette revendication ? Comment l’établissement dialogue-t-il avec les subcultures berlinoises de son temps ? Quels rapports entre art et politique dans le contexte berlinois de l’après-1989 ?
  • Quelles évolutions observe-t-on dans ce projet artistique et politique sur les 25 ans de ce mandat ? A-t-on assisté à une forme de normalisation ou au contraire à une constante reformulation et adaptation aux données culturelles et politiques de l’époque ?
  • Le travail de Frank Castorf avant et après la Volksbühne

La Volksbühne au-delà de son directeur : lieux, artistes, collectifs de travail

La figure de Frank Castorf ne doit pas éclipser le fait que son mandat repose sur un écosystème artistique et un certain esprit collectif, dont il est nécessaire de rendre compte du fonctionnement. Les exemples de ce travail où chacun est appelé à déployer sa liberté au sein du collectif ne manquent pas, de l’identité visuelle proposée par le scénographe Bert Neumann dans les spectacles, au markéting ou à l’aménagement du théâtre, en passant par la très grande liberté et autonomie artistique accordées aux metteur.euses en scène et aux comédien.ne.s de la troupe. Par ailleurs, la Volksbühne a été un terrain d’expérimentation institutionnelle dans le paysage scénique allemand. Théâtre municipal avec sa troupe et son travail de répertoire, l’établissement a très tôt opté pour une politique de programmation singulière ouverte à d’autres arts et pratiques culturelles. Cette ouverture a aussi été possible grâce à la mobilisation de différents espaces à l’intérieur ou à l’extérieur du théâtre, des Grüner et Roter Salons jusqu’au Prater. Les contributions pourront ainsi aborder les enjeux suivants :

  • Modes de travail au sein de la Volksbühne et rôle des métiers spécifiques dans l’établissement (mise en scène, dramaturgie, jeu, scénographie…)
  • Politique de programmation, rapport à l’institution du théâtre municipal allemand
  • Théâtre et autres arts à la Volksbühne (Tanztheater, musique…)
  • Ouverture de la Volksbühne à la freie Szene (Gob Squad…)
  • Plus généralement, le travail de groupes artistiques autonomes à l’intérieur du théâtre (P 14, la troupe de danse de Johann Kresnik, Die Ratten…)
  • La Volksbühne et ses espaces (grande salle, bâtiment, Grüner et Roter Salons, Prater, “3. Stock”, rollende Road Show…)
  • L’esthétique visuelle du théâtre (bâtiment, supports de communication…), en lien avec le rôle joué par le scénographe Bert Neumann
  • Les contributions pourront également prendre pour objet des artistes majeurs de la Volksbühne, qui ont cependant trouvé moins d’écho sur la scène et dans la recherche francophones (René Pollesch, Christoph Marthaler, Christoph Schlingensief…)

La Volksbühne, avant et après, à Berlin et ailleurs

Afin d’inscrire le mandat de Frank Castorf dans un horizon historique plus large, les contributions pourront également s’intéresser à l’Histoire plus ancienne ou plus récente de la Volksbühne. On observera ainsi la façon dont l’ère Castorf a pris appui sur des modèles historiques, de la tradition des scènes populaires allemandes nées à la fin du XIXe siècle à celles d’avant-gardes théâtrales incarnées par les mandats d’Erwin Piscator ou de Benno Besson. On se demandera également comment, durant les années qui ont suivi le départ de Castorf, le théâtre a tenté de composer avec cet héritage historique massif. De la même manière, une partie des contributions pourra se focaliser sur le rayonnement international de l’établissement. L’esthétique des spectacles de la Volksbühne a très tôt retenu l’attention de la critique, qui, à la suite des analyses de Hans-Thies Lehmann, a vu en elle un des lieux de développement du tournant postdramatique du théâtre contemporain. Certaines innovations (le traitement du matériau littéraire ou l’usage de la vidéo en direct chez Frank Castorf…) ont fait date. Par ailleurs, la réputation de l’établissement a largement dépassé, à l’occasion de tournées en Europe et dans le reste du monde, les frontières allemandes. On pourra ainsi s’interroger sur l’empreinte laissée par le théâtre sur la scène théâtrale internationale et sur les évolutions esthétiques qu’elle a connues depuis les années 1990. Les contributions pourront se pencher sur les points suivants :

  • L’histoire des débats sur le théâtre populaire en Allemagne et le mouvement des “Volksbühnen” (“scènes du peuple”), dont la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz est un archétype
  • L’histoire de la Volksbühne de Berlin, depuis le début du XXe siècle jusqu’à la fin de la RDA
  • Les mandats d’Erwin Piscator et de Benno Besson et la reprise de ces modèles d’avant-garde après 1992
  • Les enjeux de la polémique entourant le départ de Castorf et l’échec du mandat de Chris Dercon
  • Les tentatives de réinvention artistique sous la direction de René Pollesch
  • Comment expliquer le succès international de l’établissement ? Par quels canaux et quelles formes de circulations la Volksbühne a-t-elle été reconnue internationalement ?
  • Les innovations de la Volksbühne et les tendances esthétiques du théâtre contemporain depuis 1990
  • Frank Castorf, Christoph Marthaler et la France
  • “L’école de la Volksbühne” : les artistes qui ont travaillé un temps à la Volksbühne, et qui aujourd’hui encore revendiquent ce passage formateur dans leur carrière

Organisation

Corentin Jan (Sorbonne Nouvelle, CEREG)

Hélisenne Lestringant (Université Paris 8, Mondes allemands)

Pistes bibliographiques

Sylvie Arlaud, « Frank Castorf : de Kean à Hamletmaschine, ou le culte des contre-cultures », Cahiers d’études germaniques, n°64, 2013, p. 259-274.

Jürgen Balitzki, Castorf, der Eisenhändler. Theater zwischen Kartoffelsalat und Stahlgewitter, Berlin, Ch. Links, 1995.

Emmanuel Béhague, « Théâtre et identité collective. Le travail de mémoire à la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz sous l'ère Castorf », Recherches germaniques, Hors-série n°4, 2007, p. 79-94. 

Tanja Bogusz, Institution und Utopie. Ost-West-Transformationen an der Berliner Volksbühne, Bielefeld, transcript, 2007.

Matt Cornisch, Performing Unification. History and Nation in German Theater after 1989, Chicago, University of Michigan Press, 2017.

Cecil D. Davies, Theatre for the People. The Story of the Volksbühne, Manchester, Manchester University Press, 1977.

Antje Dietze, Ambivalenzen des Übergangs. Die Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz in Berlin in den neunziger Jahren, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2012.

Barbara Engelhardt (dir.), « Théâtre à Berlin - L'engagement dans le réel », dossier spécial d’Alternatives théâtrales, n°82, 2004.

Boris Grésillon, « Clap de fin pour Frank Castorf à la Volksbühne », Allemagne d’aujourd’hui, vol. 221, n°3, p. 219-237.

Thomas Irmer et Harald Müller (dir.), Zehn Jahre Volksbühne, numéro spécial de Theater der Zeit, 2003.

Klaus Lederer, Harald Müller et Erik Zielke (dir.), Vorsicht Volksbühne! Das Theater. Die Stadt. Das Publikum, numéro spécial de Theater der Zeit, 2018.

Frank Raddatz (éd.), République Castorf. La Volksbühne de Berlin depuis 1992, traduit de l’allemand par Laurent Muhleisen et Frank Weigand, Paris, L’Arche, 2017.

Hans-Dieter Schütt und Kirsten Hehmeyer, Schöne Bilder vom hässlichen Leben. Castorfs Volksbühne, Berlin, Schwarzkopf & Schwarzkopf, 1999.

Birgit Wiens (dir.), Contemporary Scenography. Practices and Aesthetics in German Theatre, Arts and Design, Londres/New York, Methuen drama, 2019.

Brandon Woolf, Institutional Theatrics. Performing Arts Policy in Post-wall Berlin, Evanston, Northwestern University Press, 2021.