Appel à communication
Colloque Jeunes Chercheurs PLH
Université Toulouse II Jean Jaurès
15-16 mai 2025
Saveurs du temps : relecture(s) sensible(s)
« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin, à Combray […], ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; […] Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, […] l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1913.
Ce très célèbre passage de la littérature a donné naissance à l’expression « madeleine de Proust », qui correspond au phénomène déclenchant une impression de réminiscence chez un individu. Il peut s’agir d’un souvenir étrangement banal et personnel, comme un objet – les clochers de Martinville – un espace – une promenade autour de Balbec –, une personne – la tante Léonie – qui ressurgit, dès lors qu’il convoque des sensibilités associées à un temps révolu. Mais, le souvenir ainsi réactivé dans la mémoire du concerné, l’expérience sensible d’un passé qui redevient présent, abolissent-ils l’ordre du temps ?
La perspective de ce colloque porte sur les sensibilités, autrement dit sur la manière de réagir spécifiquement aux stimuli internes et externes, aux sensations éprouvées par le biais du système nerveux et de ses récepteurs qui, après avoir traité l’information, provoquent des réactions fluctuantes d’un individu à l’autre. On y intègre aussi bien les sens que les émotions – qui sont l’expression spontanée d’un état affectif dont les troubles se reflètent dans l’attitude et les réactions, au travers du corps – et, plus largement, les sentiments – exprimant un état affectif plus stable et durable, qui apparaît parfois après un épisode émotif particulier.
La relecture du temps peut mobiliser – ou être conditionnée par – ces différentes sensibilités. En effet, la lecture d'une œuvre ou la compréhension d’un événement a posteriori est nécessairement une expérience du temps. Elle intègre à la fois un rapport au passé, mais aussi au futur et, naturellement, au présent. Plus précisément, notre compréhension repose sur la capacité que nous avons à relier ce qui a déjà été lu et à anticiper ce qui va suivre : une capacité de rétention rendue possible par la mémoire. La signification ne se trouve alors plus dans l'écrit lui-même, mais dans ses multiples interprétations. C’est dans cette perspective qu’il nous a semblé nécessaire d’ajouter le préfixe -re au sous-titre du colloque. Il marque, à la fois la répétition, l’idée d’un retour en arrière, mais aussi une forme d’idéalisation de ce qui fut.
Pierre Laborie, dans son ouvrage Penser l’événement : 1940-1954 (2019) aide à mieux saisir la construction de ce dernier, et donc, indirectement, la perception du temps. Il considère l’élaboration d’un événement comme faisant suite à trois étapes consécutives : sa réception, sa (re)construction et sa représentation, utile à sa transmission. Après l’expérience directe, s’ensuit le moment de la révélation, puis la restitution d’un moment passé, réinterprété selon une temporalité autre, qui renouvelle et approfondit la réflexion portant sur ce fait qui n’est plus. Dès lors, la prise de conscience conduit à des formes d’appropriation(s). Les trois étapes distinguées par Laborie peuvent être rapprochées de la triple mimèsis de Ricœur, où Mimèsis I capture la nature narrative de l'expérience humaine, Mimèsis II structure le récit avec ses codes, et Mimèsis III reconfigure la réalité par la lecture. De fait, un événement ne peut qu’être protéiforme, par la multiplicité de perceptions et d’enjeux engagés.
Ainsi, l’histoire, la littérature et l’art entretiennent-ils des relations privilégiées avec le temps ; il s’inscrit dans les productions culturelles et artistiques dans leur ensemble, de l’Antiquité à nos jours. Ce colloque jeunes chercheurs, à vocation pluridisciplinaire, permettra donc d’interroger le rapport sensible des sociétés à la temporalité : par quels moyens et selon quelles motivations sont-elles amenées à se souvenir d’une lecture d’un événement, d’une période, d’un courant au détriment d’un autre ? Depuis leur être sociopolitique, des corps aux émotions, les membres d’une communauté investissent le temps sous toutes ses formes.
- AXE 1 : Remettre "au goût du jour" : retour et réceptivités nouvelles
Cet axe invite à réfléchir aux motivations et aux moyens qui poussent les individus et les sociétés à “remettre au goût du jour” certains courants ou productions artistiques, aussi bien littéraires que plastiques ou encore cinématographiques. Ils proposent toujours une réadaptation et ainsi relisent, à l’aune du présent et au miroir de préférences et de valeurs nouvelles, certaines productions passées. Ce processus ne témoigne-t-il pas de perceptions renouvelées dans les domaines culturels et esthétiques, et donc dans l’institution de normes ? Comment les adaptations modernes modifient-elles la perception des œuvres originales et dans quelle mesure la tension entre authenticité et actualisation peut-elle être fructifiante ? Ces procédés permettent de visibiliser, de rendre accessible et donc sensible des créations (dé)passées ; ainsi leur permettent-ils de traverser le temps.
- AXE 2 : S'approprier le passé, une démarche sensible
L’usage de symboles, de lieux et de références historiques contribue à la construction d’un imaginaire collectif et à la consolidation d’une identité nationale ou communautaire. Cet axe a donc pour ambition d’interroger la place des émotions, et plus largement des sensibilités, dans l’écriture de l’Histoire. Ainsi, n’assiste-t-on pas à l’effacement, ou, à l’inverse, à l’idéalisation de certains événements ou figures historiques sous l’effet d’affects qui entrent en jeu dans ces processus ? Il s’agira de réfléchir à l’élaboration de théories négationnistes, ou plus récemment, à ce que l’on nomme la cancel culture et le storytelling. Dans quelle mesure la relecture d’un événement est-elle surtout – voire, toujours – une réinterprétation, volontairement ou involontairement, biaisée ? Les intervenants sont aussi invités à intégrer les gender studies dans leurs analyses.
- AXE 3 : Relire le passé pour lire l'avenir, entre désir et fascination
Bien qu'il soit confronté à des crises inédites, tel le dérèglement climatique, chercher à anticiper l'avenir pour mieux s’y préparer n'est pas une préoccupation réservée à l'Homme du XXIe siècle. Dès l’Antiquité, on s’est interrogé sur l’avenir. Il peut être providentiel - à l’image des récits issus de la littérature apocalyptique, dont le plus célèbre est celui de Jean -, ou bien sombre, comme l’envisagent les modèles théorisés par les soutiens de la collapsologie. La conception de l’avenir s’opère par le biais de ses propres perceptions, références et sentiments. Cet axe s’intéresse à la fois à la perception de l’avenir dans les fictions (films, récits, jeux vidéo d’anticipation), mais aussi aux travaux de certains historiens qui cherchent à comprendre, par la connaissance du passé, celle de l’avenir. Il serait intéressant de s’interroger sur la portée scientifique de cette démarche et son efficacité, mais aussi sur la représentation littéraire et artistique plus généralement du futur à l’aune du passé.
- AXE 4 : Le sentiment nostalgique ou la quête du retour
Qu’en est-il de l’influence des affects sur notre manière d’habiter le temps ? Nous nous intéresserons plus spécifiquement à la nostalgie dans cet axe. En effet, ce regard porté vers le passé - qu’il s’agisse d’une période ou d’un point isolés du temps – apparaît complexe dans la mesure où la relecture du temps semble nécessairement modifiée par le caractère irréversible de ce dernier : la nostalgie, par l’idéalisation qui lui est propre, ne provoque-t-elle pas une lecture du présent subjectivée ? Parallèlement, la nostalgie n’est-elle pas, dès l’origine, du temps inscrit dans un espace déterminé. Des regrets de la patrie, du village et de la maison familiale, à l’écosystème qui n’existe plus, il est possible d’interroger les espaces de la nostalgie et l’imaginaire qui leur est associé. En tant que relecture du temps, la nostalgie est source d’émotions ambivalentes qui peuvent même se projeter sur l’avenir. Enfin, entre la dysphorie temporelle et le plaisir doux-amer, ne trouvons-nous pas des traces scripturales de l’intensité émotionnelle de la nostalgie à travers le tempo de l’écriture, qu’elle soit transcrite, jouée ou projetée ?
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Modalités de soumission
Les jeunes chercheurs, doctorants ou docteurs ayant soutenu leur thèse depuis moins de trois ans, sont invités à décliner leurs propositions en fonction des axes donnés ci-dessus, sous la forme d’un titre accompagné d’un paragraphe de 300 signes environ.
Nous demandons aussi une courte présentation biographique : nom, prénom, situation actuelle (doctorant, jeune docteur, en poste), domaine de recherche, sujet de thèse et laboratoire de rattachement.
Les propositions de communication peuvent être envoyées jusqu’au 10 juin 2024 à l’adresse suivante : saveurs.du.temps2025@gmail.com.
Elles seront examinées par un comité scientifique.
Comité organisateur :
Camille François, Rosa Palamaris, Jimmy Poulot-Cazajous, Bastien Rouvière, Clarisse Treiber