Les littératures des mondes de l’Islam à l’épreuve des contestations. Représenter, d’Europe en Orient, le refus de la norme (Lille)
Université de Lille, jeudi 27 et vendredi 28 février 2025
Les propositions de communication, d’environ 300 mots, assorties d’un titre et de quelques lignes de présentation bio-bibliographique, seront à envoyer par courriel au plus tard le 1er septembre 2024 à l’adresse mail de l’événement.
Après évaluation des propositions par le comité scientifique, les notifications d’acceptation seront communiquées mi-octobre. Une publication des actes est à prévoir.
Comité scientifique :
Anis Baghi (Université de Lille/ALITHILA)
Joséphine Ravix-Antelmi (Université de Lille/ALITHILA)
Aurélien Roche (Université de Lille/ALITHILA)
Émilie Picherot (Université de Lille/ALITHILA)
Fiona McIntosh-Varjabédian (Université de Lille/ALITHILA)
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Appel à communications :
Si les rapports entre écriture et contestation [1] ont fait l’objet d’un certain nombre de travaux académiques ces dernières années [2], la recherche française s’est peu intéressée aux corpus extra-européens. En se concentrant sur les littératures des mondes de l’Islam [3], mises en regard avec les textes européens, ce colloque de littérature comparée aura pour but de décentrer la réflexion sur le phénomène des contestations : il s’agira d’interroger les spécificités de l’opposition aux normes dans les littératures d’un espace traversé par des dynamiques politiques, sociales, religieuses et culturelles proches.
La représentation des résistances aux normes rythme en effet l’histoire littéraire des corpus en langues arabe, persane et turque, que l’on pense aux textes du mujūn (attitude de l’élite arabo-persane qui cultive un mépris frivole des normes de la morale musulmane) écrits aux premiers siècles de l’époque abbasside (VIIIe - Xe siècle) ou aux satires sociales iraniennes du XXe siècle. Adopter une perspective comparatiste permettra de se demander si la mise en forme textuelle de la contestation est semblable dans ces corpus et dans les littératures européennes, et ainsi de s’interroger sur les raisons contextuelles des différences entre les productions de multiples espaces linguistiques et géographiques. Ce colloque aura également pour vocation d’étudier les textes d’auteurs européens qui adoptent une posture critique sur les normes de cet ensemble de peuples et de territoires, ou dont les discours s’opposent frontalement aux postulats critiques occidentaux sur l’Islam et ses littératures. Les disputes entre humanistes autour de la question de la hiérarchie des langues ou encore les débats postcoloniaux et déconstructionnistes actuels sur la notion d’Orient [4] sont des exemples parmi d’autres des enjeux épistémologiques que nous souhaitons prendre en compte dans une réflexion générale sur les contestations. Sur cette base, le colloque explorera des œuvres littéraires de différentes cultures et époques, abordant les multiples facettes du phénomène de la contestation.
Les interventions pourront porter sur les orientations de recherche suivantes :
La représentation des contestations
1. Motifs littéraires et expressions des contestations : Comment l’événement contestataire est-il mis en fiction ? Quels sont les procédés stylistiques et esthétiques mis en œuvre par les écrivains pour l’exprimer ? Un même motif peut apparaître dans différentes littératures d’espaces géographiquement distants : comment interpréter cette communauté partagée de motifs pour renvoyer à une réalité plus ou moins similaire (emprunts explicites, tradition culturelle…) ? Qu’en est-il de l’opinion, partagée ou divergente, des auteurs ? Sur le plan de l’auctorialité, comment des figures engagées se démarquent-elles par leurs prises de position au sein du texte littéraire ?
2. Genres littéraires : y a-t-il des genres littéraires propres à certains pays dans l’expression de la contestation (satires, traités, pamphlets, etc.) ? Les mouvements de contestations sont accompagnés d’une prise de conscience qui change la vision du monde des individus et ont de fortes répercussions sur le champ littéraire. Ainsi, la structure d’un genre canonique peut évoluer au rythme d’un mouvement de contestation politico-social. Le cas de la littérature persane moderne est éloquent : à l’aune du mouvement constitutionnel au début du xxe siècle, la prose se substitue à la poésie classique, seul genre canonique durant les siècles précédents. C’est notamment par le roman et la nouvelle, devenus les nouveaux genres de prédilection, que passent les satires et les critiques sociales. Le choix d’un genre particulier, qui s’oppose au genre traditionnel d’une société, peut constituer une manifestation du refus des normes.
3. Sens des discours contestataires : Le lecteur doit-il prendre au pied de la lettre tout écrit prônant une volonté de changement politique, social ou religieux ? Peut-il toujours savoir si un discours contestataire est une provocation authentiquement subversive ou un jeu d’esprit bouffon ? Nous devrons ainsi réfléchir à la question de la canonisation des corpus : quel sens donner aux passages contestataires d’œuvres lues à leur époque et devenues des classiques malgré des contextes de pressions politiques et religieuses importantes ? Qu’est-ce que la popularité des discours contestataires dit de la société et de la culture qui produisent de telles œuvres ?
La construction des discours contestataires
1. Contextes historiques d’écriture : contestation et censure. Quelles stratégies les écrivains mettent-ils en œuvre pour contourner la censure ? Peut-on comparer la manière dont ils réélaborent leur discours selon les différentes modalités de censure (par exemple, sous l’Ancien Régime en France, et sous les régimes autoritaires contemporains) ?
2. Questions linguistiques : le choix d’une langue d’écriture au détriment d’une autre peut symboliser la contestation d’une norme linguistique ou nationale, mettant à jour des rapports de domination ou des stratégies auctoriales. Les questions d’hybridité linguistique visant la remise en cause d’une norme ou d’une autorité pourront également être envisagées, notamment dans le contexte postcolonial.
3. Choix de traduction : il s’agira d’étudier les possibles instrumentalisations de textes littéraires par l’orientation de leurs traductions, dans une visée contestataire. La question de la circulation des textes, via leurs traductions, et leur réception, est également pertinente à évoquer.
4. Axe épistémologique :
- La question de la controverse, littéraire ou intertextuelle, pourra être explorée (par exemple, la réfutation de sources arabes, les textes de controverse théologique avec l’islam ou la question de la hiérarchie des langues orientales à la Renaissance en France).
- On pourra également interroger la pertinence du transfert de concepts et outils critiques d’un corpus à un autre. Par exemple, peut-on appliquer le concept de carnavalesque de Bakhtine, forgé pour la geste rabelaisienne, à des textes arabes, turques ou perses ? Peut-on étendre la notion de libertinage, élaborée pour qualifier les poètes considérés comme irréligieux au XVIIe siècle en France, aux poètes hétérodoxes arabes du VIIIe - IXe siècles ?
- Les discours déconstructionnistes de l’Occident sur l’Islam pourront être pris en compte : il faudra envisager la manière dont certains discours, européens ou moyen-orientaux, n’hésitent pas à contester des postulats critiques sur l’Islam et ses littératures.
D’autres orientations pourront être envisagées, mais elles devront contribuer de manière significative à notre réflexion comparatiste, et inclure les littératures des mondes de l’Islam dans leur objet d’étude.
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Mots-clés : Littératures comparées - contestations - normes - hétérodoxie - révolutions -critique sociale - représentations - littérature arabe - littérature turque - littérature persane
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Bibliographie indicative :
BALAŸ, Christophe, La Crise de la conscience iranienne. Histoire de la prose persane moderne (1800-1980), Paris, L’Harmattan, 2017.
–, La Genèse du roman persan moderne, Téhéran, Institut français de recherche en Iran, 1998.
BASCH, Sophie, Les Sublimes Portes. D’Alexandrie à Venise, parcours dans l’Orient romanesque, Paris, Honoré Champion, 2004.
BRISSON, Thomas, Décentrer l’Occident. Les intellectuels postcoloniaux, chinois, indiens et arabes, et la critique de la modernité, Paris, La Découverte, 2018.
Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°12, « Perception de la révolution française et interprétation de ses concepts : les cas turc et iranien », 1991.
CHOKR, Melhem, Zandaqa et zindīqs en Islam au second siècle de l’Hégire, Damas, Presses de l’Institut français du Proche-Orient, 1993.
CLAVARON, Yves, PICHEROT, Émilie & SCHWEITZER, Zoé (éd.), Orientalisme et comparatisme, Saint-Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2014.
GHANOONPARVAR, Mohammad Reza, Prophets of Doom. Literature as a Socio-political Phenomenon in Modern Iran, Lanham, University Press of America, 1984.
–, In a Persian Mirror. Images of the West and Westerners in Iranian Fiction, Austin, University of Texas Press, 1993.
LAGRANGE, Frédéric, Islam d’interdits, Islam de jouissance, Paris, Téraèdre, 2008.
MIGNON, Laurent, Uncoupling Language and Religion. An Exploration into the Margins of Turkish Literature, Boston, Academic Studies Press, 2021.
MUHIDINE, Timour, Istanbul rive gauche, Paris, CNRS Éditions, 2019.
NANQUETTE, Laetitia, Orientalism versus Occidentalism. Literary and Cultural Imaging between France and Iran since the Islamic Revolution, Londres et New York, I.B. Tauris, 2013.
PÉRIGOT, Béatrice, Dialectique et littérature. Les avatars de la dispute entre Moyen Âge et Renaissance, Paris, Honoré Champion, 2005.
SAID, Edward W., Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978.
SCHWAB, Raymond, La Renaissance orientale [1950], Paris, Payot, 2014.
Société des historiens médiévistes de l’Enseignement supérieur public (éd.), Contester au Moyen Âge : de la désobéissance à la révolte, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019.
SZOMBATHY, Zoltán, Mujūn. Libertinism in mediaeval Muslim society and literature, Warminster, Gibb Memorial Trust, 2013.
URVOY, Dominique, Les Penseurs libres dans l’Islam classique. L’interrogation sur la religion chez les penseurs arabes indépendants, Paris, Albin Michel, 1996.
[1] Emprunté au bas latin contestatio pour désigner dans le jargon juridique du moyen français la plaidoirie de l’accusé, le terme contestation en est venu à renvoyer, par extension, à tout désaccord portant sur une norme, qu’elle soit de nature politique, sociale, religieuse, culturelle, élaborée en fonction d’une hiérarchie de valeurs plus ou moins arbitraire.
[2] Citons, à titre d’exemple, Études françaises, vol. 54, n°1, « Écritures de la contestation. La littérature des années 68 », dir. Jean-François Hamel et Julien Lefort-Favreau, 2018, p. 5-183 ; Cahiers Tocqueville des Jeunes Chercheurs, n°7, « La contestation », appel ouvert jusqu’au 31 mai 2023, publication prévue en 2024 ; ou encore « Contester le pouvoir par l’écrit au xviie siècle », Journée d'étude de jeunes chercheurs du 16 février 2024.
[3] Contrairement au terme “islam” avec une minuscule qui désigne au sens restreint la religion révélée par le Prophète Muhammad, le terme “Islam” avec une majuscule désigne l’ensemble des territoires et des sociétés sous la domination d’un pouvoir musulman. Pascal Buresi définit l’Islam comme “un ensemble de traits matériels, culturels et sociaux durables et identifiables” (Géo-histoire de l’Islam, Paris, Belin, 2005, p. 4). Cette distinction est aujourd’hui largement partagée dans le monde de la recherche occidentale.
[4] Dans la lignée de l’ouvrage pionnier d’Edward W. Said, Orientalism, New York, Pantheon Books, 1978.